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Favoriser une approche décloisonnée des problèmes de santé

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Inscrits dans les contrats de ville 2000-2006, les « ateliers santé ville » visent à réduire les inégalités sociales et territoriales en matière de santé et à améliorer l'accès aux soins et à la prévention des personnes en situation précaire. Si la démarche a permis ici ou là d'enclencher une réelle dynamique, elle bute sur l'engagement parfois frileux des institutions et la difficulté du partenariat.

14 décembre 1999 : le comité interministériel des villes vient de décider la mise en œuvre d'une démarche dite « nouvelle » et signe la naissance des ateliers santé ville (ASV). Innovation... ou dispositif supplémentaire venant se superposer à ceux existants ? « La démarche des ateliers santé ville, explique Catherine Richard, chargée de mission à la délégation interministérielle à la ville (DIV) (1), n'est pas une "nouveauté "stricto sensu . La préfiguration de leur conception était déjà à l'œuvre dans une vingtaine de sites de la politique de la ville depuis la fin des années 80, sous des formes diverses : à travers la mise en place de conseils locaux de santé, de réseaux de santé de proximité ou encore de pratiques de santé communautaire... » Les investissements restaient cependant très inégaux et les expériences étaient dispersées.

« En fait, résume la chargée de mission, durant la première phase de mise en œuvre de la politique de la ville, le volet santé n'a figuré que comme "zone d'action possible ". Les collectivités locales étaient libres d'engager ou non une politique de santé locale ou d'expliquer ou non telle ou telle orientation préconisée dans le cadre de la politique nationale de santé. »

En se présentant comme un espace de travail destiné à mobiliser les acteurs locaux autour d'objectifs et d'une méthodologie communs, « les ateliers santé ville constituent une initiative originale à l'intérieur de la politique de la ville », soutient Catherine Richard. « Outre le fait d'inscrire dans celle-ci un volet "santé ", il s'agissait de mieux identifier les réalités et les difficultés sanitaires et sociales d'un territoire donné, à savoir une ville et ses quartiers, de porter à la connaissance des acteurs l'ensemble des informations recueillies et, enfin, à partir de l'analyse de ces données, de définir, en concertation avec les habitants, les priorités à retenir afin de pouvoir mettre en œuvre des programmes d'actions plus efficaces et pertinents. » Autant d'objectifs assignés par une circulaire du 13 juin 2000 de la direction générale de la santé (DGS) (2).

Thierry Bérenger, référent politique de la ville à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) de la Seine-Saint-Denis, chargé de la déclinaison départementale des programmes régionaux de santé, partage ce point de vue : « Il existait des actions disparates, sans cohérence et sans rattachement les unes aux autres. Il était donc nécessaire de créer un lien en termes de programmation et d'organiser l'ensemble des actions. »

En 2001, la démarche est lancée dans deux régions pilotes : Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte-d'Azur, qui se sont portées volontaires et bénéficient d'un accompagnement spécifique, réalisé par l'association Recherches et évaluations sociologiques sur la santé, le social et les actions communautaires (Resscom). Un an plus tard, une trentaine de villes sont à leur tour candidates. En mars 2004, on en compte près de 130 sur l'ensemble du territoire métropolitain et des DOM-TOM.

Les ateliers santé ville se multiplient. Néanmoins leur légitimité se forge-t-elle pour autant ? « Une chose est sûre, souligne Catherine Richard, les villes ont besoin de supports méthodologiques afin d'élaborer leur politique de santé. Certaines ont pris conscience que l'atelier santé ville était un outil dont elles pouvaient se servir afin de mieux connaître l'état de santé de leurs habitants et d'en prendre soin d'une façon plus efficace. »

Parmi les conditions sine qua non de la mise en place et du développement de la démarche figurent, outre la volonté et l'engagement des élus locaux, tout particulièrement de ceux délégués à la santé, le rapprochement des DDASS (qui assurent l'application des politiques de santé de l'Etat et mobilisent les institutions) et des sous-préfets chargés de la politique de la ville. « La présence et l'implication effective de ces différents partenaires est indispensable, insiste Catherine Richard. Si l'un d'entre eux est défaillant ou peu impliqué, la démarche en est automatiquement affaiblie. »

Incertitude sur la pérennité des financements

En réalité, les choses ne sont pas toujours aussi simples... L'engagement des uns et des autres se révèle parfois frileux. Plusieurs raisons à cela : le manque de garantie concernant, d'une part, la pérennité des financements mobilisés pour les premières années de création des ASV et, d'autre part, la reconduction de la démarche à l'échéance des contrats de ville, en 2006.

« Il est certain, explique Catherine Richard, que ce flou a pu amener certaines DDASS, certains sous-préfets délégués à la ville et même certaines villes à freiner les velléités d'engagement qui pouvaient émaner des acteurs de terrain. La crainte était de voir se développer des transferts de charge contraignant indirectement les villes à assumer ces "nouvelles" dépenses ou bien les mettant dans l'obligation de modifier les priorités qu'elles avaient inscrites dans leur contrat de ville, qui tend, comme on le sait, à fonctionner, dans le meilleur des cas, à budget constant. »

Un positionnement clair des différentes instances impliquées dans la démarche est donc essentiel. L'est tout autant la cohérence qui va pouvoir s'établir entre les ressources locales existantes et les diverses actions de santé menées sur les territoires donnés. D'où l'importance du rôle du coordinateur atelier santé ville : « Notre mission porte sur l'animation, l'aide à la concertation et le soutien méthodologique aux différents projets de santé qui sont menés dans la commune, explique Nathalie Jégou, qui assure cette fonction pour la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Nous sommes, entre autres, chargés de recueillir les données qualitatives et quantitatives, de les transmettre à l'ensemble des partenaires, qu'ils soient municipaux, institutionnels ou associatifs. Par ailleurs, nous leur apportons notre soutien dans les démarches qu'ils engagent et nous incitons les habitants à participer aux projets locaux de santé. »

Création de comité de pilotage, composition de groupes de travail, réunions professionnelles régulières, élaboration commune de diagnostics et de cartographies de l'état de santé de la ville et de ses quartiers, recensement et évaluation des besoins, soutien à la création de nouveaux équipements : les formes des ateliers santé ville sont diverses.

Créer une dynamique

Au cœur de cette démarche, « la position stratégique du coordinateur est indéniable, rappelle Aline Métais, coordinatrice ASV depuis un an pour la ville de Montereau (Seine-et-Marne). Il s'agit en effet de créer une dynamique qui permette autant aux intervenants de la santé que du social, de l'éducation et de l'insertion, de travailler ensemble de manière constructive. » Et ces acteurs sont nombreux. Il s'agit des centres de protection maternelle et infantile, des centres de santé, des infirmières et des médecins de la promotion de la santé en milieu scolaire, des médecins généralistes, des intervenants en santé mentale, en toxicomanie..., des travailleurs sociaux (éducateurs de club de prévention ou de la protection judiciaire de la jeunesse, assistants sociaux...), des associations locales (parents d'élèves, antennes de quartiers, personnes âgées, jeunes...)... « Nous devons faire en sorte que tous ces partenaires puissent se réunir, faire part des situations rencontrées sur le terrain, discuter ensemble des problèmes qu'ils ont identifiés et, a fortiori , envisager ce qui pourrait être renforcé ou modifié. »

La démarche a-t-elle permis un décloisonnement des pratiques ? S'agissant des liens sanitaires et sociaux, François Roche, directeur de l'unité de formation des travailleurs sociaux de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme) et rapporteur du groupe de travail « Décloisonnement et articulation du sanitaire et du social » pour le Conseil supérieur du travail social, reste prudent : « Le décloisonnement du sanitaire et du social n'est pratiqué ni par les administrations nationales, ni par les administrations locales. Par ailleurs, les logiques de spécialisation à outrance et de "résultat à tout prix" qui prévalent font qu'aujourd'hui les professionnels répugnent à travailler sur des champs qui n'entrent pas dans ceux de leurs compétences. Le décloisonnement est donc, pour l'heure, une fausse évidence, mais, espérons-le, un champ d'avenir. »

Les partenariats, Nathalie Jégou en convient, ne sont pas toujours faciles à établir : « Dans l'ensemble, les acteurs locaux jouent le jeu, mais leur implication est parfois inégale. Les raisons sont multiples, mais ce sont avant tout l'investissement en temps et le manque de moyens humains qui sont évoqués comme frein à leur participation. » Pointée du doigt : la pénurie des professionnels de santé qui, précise-t-elle, est « un problème national urgent à prendre en compte. La démarche ASV a joué sur cette question un vrai rôle d'alerte. »

S'agissant de la mise en place des partenariats, la coordinatrice ASV de Mon-tereau précise : « Comme tout projet nouveau, cette démarche a suscité chez certains professionnels quelques réserves. Ce fut notamment le cas des médecins libéraux, peu habitués à travailler avec des acteurs publics. Progressivement, les craintes se sont dissipées. » Cependant, « un réel partenariat public-privé reste à construire ».

Peut-on établir un bilan de la démarche des ateliers santé ville ? Tous les professionnels évoquent le manque de recul dont ils disposent pour pouvoir d'ores et déjà tirer les premiers enseignements. Toutefois, les avis sont mitigés. Si certains, comme Luc Ginot, médecin référent ASV à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), considèrent qu' « elle a permis d'insuffler une véritable dynamique, de chercher de nouvelles formes de réponses aux problèmes posés » et qu' « elle a joué un rôle d'alerte sur certaines lacunes existantes », d'autres, en revan-che, sont plus sceptiques. « Est-on conscient de l'investissement que ces réunions représentent pour les professionnels et, donc, du coût financier qui est ainsi engagé ?, interroge Danielle Papiau, codirectrice du centre médico-psycho-pédagogique de Nanterre (Hauts-de-Seine). Je ne suis pas opposée au principe de créer un lieu de concertation qui permette aux professionnels de mieux se connaître, qui facilite la création de réseaux et qui ait pour vocation de faire circuler l'information, mais cela ne doit pas servir à masquer que, pendant ce temps-là, on réduit, par exemple, les crédits de la psychiatrie. La ville, à elle seule, ne peut pas tout prendre en charge. Aussi la vraie question est-elle plutôt de savoir quels sont, concrètement, les moyens humains et financiers dont nous pouvons disposer afin de mieux répondre aux besoins de la population ? »

« Les acquis sont perceptibles, souligne cependant Catherine Richard. Les ateliers santé ville sont inscrits dans la loi contre les exclusions, et à travers la loi d'orientation et de programmation pour la ville, la santé s'est vue confortée. S'agissant de la notion de territoire et de la place des politiques locales de santé (communales, intercommunales, départementales) dans le cadre de la loi relative à la politique de santé publique et de la loi relative aux libertés et responsabilités locales, des questionnements forts demeurent. Si l'on veut toucher les quartiers, il est urgent de sortir des clivages politiques entre l'Etat et les collectivités territoriales. »

Par ailleurs, une autre question se pose. Pragmatique, certes. Mais significative. Elle concerne directement la fonction de « coordinateur ASV ». Si la reconnaissance de son rôle garantit le développement de la démarche, il n'en reste pas moins que les personnes en poste ont été recrutées dans le cadre de contrats à durée déterminée de un an. Et sont dans une situation extrêmement précaire. Frilosité administrative... ou volonté encore incertaine d'engager la démarche des ASV sur du long terme ?

Alice Torres

Notes

(1)  DIV : 194, avenue du Président-Wilson - 93217 Saint-Denis-La Plaine cedex - Tél. 01 49 17 46 46.

(2)  Voir ASH n° 2173 du 30-06-00.

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