Dans ses préconisations, la conférence de consensus rappelle que la liberté d'aller et venir dans les structures sanitaires, sociales et médico-sociales est un droit inaliénable. Toute restriction ne se conçoit que dans des conditions précises, justifiées et écrites, et elle doit être expliquée à la personne.
Le 11 janvier, le jury, présidé par la philosophe, Blandine Kriegel, a rendu publiques ses recommandations formulées à l'issue de la conférence de consensus organisée les 24 et 25 novembre dernier sur le thème : « Liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité » (1). Initiée par la Fédération hospitalière de France, cette réunion publique s'est appuyée sur un comité d'organisation rassemblant des associations représentant les personnes âgées, handicapées, les professionnels de la gériatrie, de la psychiatrie et du travail social et sur les avis d'un groupe d'experts.
Mais parce qu'il s'agissait de réussir à concilier les principes, apparemment opposés, que sont la liberté et la sécurité dans les établissements et que ces questions renvoient à des considérations philosophiques qui dépassent les problématiques médicales habituellement traitées par les conférences de consensus, un document simple de « recommandations » a été difficile à établir. Aussi les préconisations, qui traitent de nombreux aspects au détriment parfois d'une vision globale, tendent-elles surtout à fournir une réflexion sur le sens des principes et à interpeller les responsables et professionnels sur leurs pratiques.
D'emblée, le jury défend « le droit inaliénable » que constitue la liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux. Tout doit être mis en œuvre pour affirmer le respect des droits du malade et de l'usager affirmés par les lois du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Mais qu'entend-on par la « liberté d'aller et venir » ? Le jury la définit de façon extensive : elle ne s'arrête pas seulement à la liberté des déplacements de la personne accueillie à l'intérieur de l'établissement sanitaire ou médico-social, mais elle englobe également la possibilité pour elle de mener une vie ordinaire au sein de la structure qu'elle a elle-même choisie. Elle prend donc appui sur les notions d'autonomie, de vie privée et de dignité de l'usager.
Le message est clair : la préservation de cette liberté doit se fonder sur un principe d'évaluation et de prévention individuelles du risque et non sur une règle de précaution générale. Elle ne saurait donc être restreinte de manière systématique en fonction d'un risque simplement supposé. En revanche, estime le jury, une fois ce risque (physique, psychologique ou en rapport avec des contraintes architecturales) objectivement identifié et évalué, des réponses concrètes et des actions de soutien individuel et collectif visant à préserver l'exercice de la liberté d'aller et venir peuvent être recherchées (2). Les recommandations visent ainsi à « l'établissement de protocoles garantissant fermement les libertés et la sécurité des patients dans le cadre des nouvelles contraintes dues à l'allongement de la vie humaine et à l'accroissement de la vulnérabilité ».
Les obstacles rencontrés par les personnes sont divers : problèmes de déplacement du fait d'un handicap moteur ou sensoriel et/ou difficultés temporaires ou durables à exercer leur consentement à cause d'un trouble du discernement ou d'un trouble mental. Le jury estime nécessaire, dans les réponses à apporter pour préserver la liberté d'aller et venir, de ne pas mettre le trouble du discernement ou le trouble mental sur le même plan que le handicap moteur ou sensoriel, car ils ne nécessitent pas les mêmes soins et accompagnement. Quant à la situation des personnes âgées vulnérables, souvent privées de leur liberté d'exercer leur consentement, et ne bénéficiant d'aucun groupe de pression, elle « doit faire l'objet d'une réflexion à elle seule ».
Bon nombre de raisons sont invoquées pour justifier les restrictions au principe d'aller et venir : la répartition territoriale des établissements, l'architecture, l'organisation, la sécurité... Il est clair, aux yeux du jury, que l'offre de soins et d'hébergement médico-social doit être mieux planifiée et sous-tendue par les principes de proximité et de libre choix des usagers. De même, le projet de vie des personnes doit être le critère principal de l'implantation des établissements et de l'évolution de l'architecture.
Sur l'organisation interne des établissements, le jury est très ferme : elle ne doit en aucune façon justifier, à elle seule, des limitations systématiques. Si, dans les établissements sanitaires, des restrictions peuvent être décidées pour assurer l'obligation de soins, dans les établissements médico-sociaux, le projet de vie doit rester la préoccupation centrale. Et c'est le règlement intérieur, évolutif et élaboré en concertation avec l'ensemble des professionnels et les représentants des familles et usagers, qui doit codifier les restrictions à la liberté d'aller et venir.
De même, la sécurité ne saurait être avancée systématiquement pour restreindre la liberté. Or la tendance est « de tout prendre en charge pour que la personne ne prenne plus de risque ». Selon le jury, les atteintes à la liberté d'aller et venir pour protéger la personne contre elle-même et contre autrui ne se conçoivent que dans des conditions précises et justifiées, déclinées dans le réglement intérieur et/ou détaillées après information dans le contrat de soins ou le projet individualisé. Elles concernent les contraintes liées à la réalisation des soins, le contrôle de la thérapeutique et les raisons d'hygiène, la protection de la personne ou des tiers en cas de comportements dangereux de l'usager, la protection de la vie collective, la sécurité des lieux. En cas de limitations pour raisons médicales, l'expression du consentement de la personne doit être recherchée. Sachant que « les difficultés d'expression d'un consentement ne doivent jamais être attribuées à un état définitif et le pari d'une possible amélioration clinique, comportementale et psychosociale doit toujours être fait ». Des raisons financières sont également évoquées pour justifier les restrictions : or la personne doit pouvoir disposer librement de ses ressources qui n'ont pas à être confisquées pour des motifs sécuritaires, médicaux ou administratifs, estime le jury. Il recommande d'ailleurs, le versement direct de l'allocation personnalisée d'autonomie à ses bénéficiaires, son attribution mutualisée aux établissements ne devant rester qu'exceptionnelle.
D'une façon générale, la situation de la personne et l'évaluation du risque ne doivent pas s'analyser selon une approche fondée sur le diagnostic médical, mais à partir de l'évaluation des capacités de la personne. « Les difficultés motrices, sensorielles, cognitives ou mentales ne doivent pas conduire à une restriction systématique de la liberté d'aller et venir, mais ont une influence sur son exercice », affirme le jury. D'où l'importance que le projet de vie de la personne, même quand son état est initialement ou devient sévèrement altéré, tende vers la récupération ou le maintien au maximum de ses capacités par des actions programmées de soutien individuel et collectif.
Dans tous les cas, affirme le jury, aucune restriction à la liberté d'aller et venir, dans et en dehors de l'établissement, ne peut être appliquée, tant à l'admission, au cours de la période d'adaptation que durant le séjour, sauf celles justifiées par les nécessités de la prise en charge médicale et paramédicale et les règles de la vie collective consenties à l'entrée de l'établissement. Toute limitation doit être expliquée et le consentement ou la participation à la décision de la personne, comme de son entourage, doit être recherchée par tout moyen. Le jury souhaite d'ailleurs qu'une réflexion soit engagée d'une part sur les pratiques du consentement à l'admission des personnes vulnérables et d'autre part sur l'opportunité de modifier les textes législatifs afin d'accroître leur protection.
Les participants se sont également interrogés sur les craintes des professionnels de voir engagée leur responsabilité, ce qui les amène à des pratiques de surveillance ou d'assistance. Pour de nombreux juristes, cette perception d'une judiciarisation croissante ne correspondrait pas à la réalité. Le jury propose donc la réalisation d'une enquête afin de déterminer l'importance quantitative des accidents liés à la prise de risque, des demandes d'indemnisation civile et des poursuites pénales.
Autre grand principe affirmé : il faut que l'aspect relationnel et humain prime les moyens techniques. « Une intervention humaine et un aménagement architectural sont préférables à un dispositif de surveillance électronique ou à une fermeture automatique des locaux ou encore au recours à des moyens de confinement. » Le jury se dit hostile à des lieux fermés et considère les dispositifs et les contrôles d'accès électroniques comme « un pis-aller ». Il souhaite d'ailleurs que la Haute Autorité de santé élabore des recommandations sur les alternatives à la fermeture des services et des lieux de vie. Dans le même esprit, il préconise l'instauration de règles de bonnes pratiques sur les modalités de prescription des psychotropes chez la personne âgée.
Lorsque la règle est transgressée, la réponse doit être éducative et non répressive, « en particulier chez les personnes ayant un handicap mental pour lesquelles les réponses doivent avoir un sens ». Le jury est également hostile à la contention systématique, qui ne réduit pas les risques de chute des personnes de plus de 65 ans, et « doit être interdite ». Il recommande à ce sujet la diffusion dans le champ médico-social des recommandations de l'ANAES pour limiter les risques de la contention physique (3) et le lancement d'un plan national de recherche d'alternatives à la contention.
Hormis les dispositions de la loi du 27 juin 1990 relative à l'hospitalisation sous contrainte et de deux articles du code de la santé publique (L. 3110-1 et L. 3114), il n'existe pas de base légale à la restriction de la liberté d'aller et venir, martèle encore le groupe de personnalités. Aussi, toute restriction d'aller et venir n'est envisageable que si son bénéfice l'emporte sur les risques éventuels induits par le maintien de cette liberté. Toute décision de confinement doit donc faire l'objet d'un protocole précis, être motivée, portée au dossier de la personne, écrite sur un registre consultable par les autorités de tutelle et faire l'objet d'une information rapide de l'entourage.
Par ailleurs, le jury souhaite que la réglementation prenne toujours en compte le droit au respect de la vie privée de chaque personne (qui se prolonge à son intimité et à son intégrité corporelle) et la recherche du consentement sous toutes ses formes (écrit, oral, verbalisé ou non) qui constitue « un principe absolu ». « Chaque établissement doit être à même pour chaque admission sans le consentement de la personne d'expliciter les procédures suivies pour y aboutir. »
Mais le respect des droits fondamentaux de la liberté d'aller et venir doit également être une préoccupation des autorités de contrôle et faire l'objet de vérifications. Il est ainsi recommandé que des procédures permettent localement aux usagers et à leurs représentants de déposer un recours en cas de restriction abusive de liberté. Enfin, outre le renforcement de la formation des professionnels pour mieux évaluer les risques à prévenir et mieux y faire face, le jury demande que l'Université, l'Inserm, le CNRS et la DREES lancent un programme concerté de recherches cliniques et de recherches-actions sur les personnes vulnérables. Et rattrapent ainsi le retard de la France en la matière.
Isabelle Sarazin
(1) Disponible sur
(2) Le champ de la conférence n'incluait pas les risques d'actes criminels.
(3) Limiter les risques de la contention physique de la personne âgée. Evaluation en établissements de santé - ANAES, 2000