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Foyers de travailleurs migrants : une situation inacceptable... mais tolérée par tous

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« Tout le monde sait que la situation est aberrante, mais personne ne fait rien. » Les six inspecteurs mobilisés par une lettre de mission des ministères de l'Intérieur, de l'Equipement et des Affaires sociales pour examiner la situation des foyers de travailleurs migrants à Paris sont vite tombés d'accord sur ce constat. Ils n'ont livré qu'un texte bref, d'un genre peu habituel, jugeant inutile de rédiger un nouveau rapport détaillé : il existe déjà. En septembre 2002, en effet, l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), mandaté par la préfecture et la Mairie de Paris, a publié une étude précise sur les 46 foyers que compte la capitale, accompagnée d'une synthèse et de préconisations (1). Après 24 visites sur le terrain, les membres de l'inspection générale de l'administration, de l'inspection générale des affaires sociales et du Conseil des Ponts et Chaussées (deux par corps), ont confirmé son contenu, et dans un style moins diplomatique. Le problème est connu, jugent-ils en substance, et si rien ne bouge, c'est faute de volonté politique. Comme pour confirmer leur propos, leur rapport remis en septembre à Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin et Gilles de Robien, est toujours sous le boisseau. C'est « Le Monde » qui a révélé son existence dans son édition du 7 janvier.

Que constatent l'APUR et les inspecteurs, sachant qu'il existe quelque 700 foyers en France et que la situation observée n'est pas une spécificité parisienne ? Seuls 12 foyers n'offrent que des chambres individuelles ou des studios, 31 comptent encore des chambres à deux ou trois lits, et trois des dortoirs. Les structures sont, comme le logement social d'ailleurs, très concentrées dans les XIIIe, XIXe et XXearrondissements, souvent « en grappes, à proximité les unes des autres ». Beaucoup font l'objet d'une suroccupation massive, avec 14 000 occupants estimés pour 8 700 lits. Le taux moyen d'occupation de 157 % recouvre de grandes variations : la fourchette va de 100 % (pour six foyers) à 400 % (pour un). Le phénomène touche essentiellement les populations originaires d'Afrique noire, qui représentent 58 % du total des résidents officiels, une part stable depuis dix ans. Deuxième groupe : celui des locataires originaires du Maghreb (19 %, en diminution de trois points) devant les Français (16 %), souvent d'origine étrangère et naturalisés.

Les foyers hébergent à la fois des actifs (60 %), des chômeurs (15 %), des retraités (8 %) et des étudiants ou stagiaires (4 %). Leur population vieillit, avec 17 % de résidents de plus de 60 ans et 64 % de plus de 45 ans. Le taux de rotation est de 9 % par an.

« Dans les foyers où résident les Africains, un mode de vie communautaire s'est développé », note l'APUR. Ce qui se traduit par la suroccupation déjà évoquée, traditions d'hospitalité obligent, par la transformation des salles polyvalentes en salles de prière qui accueillent les fidèles du quartier, parfois en très grand nombre, par le développement d'un ensemble « d'activités informelles, commerciales, artisanales ou de service » et par la multiplication des cuisines collectives nourrissant souvent des publics extérieurs, où ni les règles d'hygiène ni le code du travail ne sont respectés. Au total, les inspecteurs parlent du « caractère inacceptable [...] de conditions de vie d'un autre âge ».

Comme ces foyers, installés souvent depuis les années 60 et 70 (2), ne causent pas de troubles de voisinage ni de problèmes d'ordre public, personne, sauf certains gestionnaires, ne s'en mêle, relève l'inspection : ni la police, ni les commissions de sécurité, ni l'inspection du travail... ni les associations de défense des droits de l'Homme. Le statu quo arrangerait-il tout le monde ? Les résidents sont parfois les premiers à le défendre, la suroccupation étant synonyme de solidarité... et de partage du coût des loyers. Même si certains jeunes migrants commencent à contester le poids de la coutume, note l'APUR.

Cet organisme relève aussi que les travailleurs sociaux, notamment les services de la polyvalence de secteur, interviennent dans les foyers, mais pour résoudre des cas individuels. Ils y trouvent même des solutions d'hébergement de dépannage...

Il n'y a pas, bien sûr, de réponse simple au problème. Toute interdiction trop hâtive de la suroccupation aurait pour effet de jeter des centaines de personnes à la rue, mais aussi de désolvabiliser une partie des occupants en titre, souligne l'APUR. La solution passe notamment par la construction de nouveaux équipements (répartis dans tous les quartiers), qui permettrait de reloger décemment les résidents des foyers, progressivement transformés en « résidences sociales ». La liste des taudis à démolir ou à restructurer en priorité est prête.

Ce qui suppose d'y affecter des terrains et d'accélérer le montage des dossiers. Ce n'est même pas un problème d'argent, estiment les inspecteurs, mais de volonté politique. Certes, peu d'élus se précipitent pour obtenir ces équipements (3). Mais l'inspection pointe d'abord la responsabilité de la préfecture, donc de l'Etat, dans un immobilisme coupable.

M.-J.M.

Notes

(1)  Le rapport est consultable sur place ou disponible sous forme de CD-Rom à l'APUR : 17, boulevard Morland - 75004 Paris - Tél. 01 42 71 28 14 - A commander sur www.apur.org - 20 e.

(2)  Les 46 foyers parisiens relèvent de 16 propriétaires et de 8 gestionnaires différents.

(3)  Contactée par nos soins, la Ville de Paris indique que des opérations de réhabilitation sont lancées, ou amorcées, dans plusieurs foyers et qu'elle est prête à reprendre le dossier des mains de l'Etat si les textes sur la décentralisation le permettent.

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