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Pouvoir se déplacer pour s'en sortir

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L'association Vivractif, à Tonnay-Charente (Charente-Maritime), gère un programme en faveur de la mobilité des publics en parcours d'insertion. Location de mobylettes, permis solidaire, location-vente de véhicules, telles sont les trois facettes d'un dispositif dont l'intérêt est également d'introduire « une pédagogie de la responsabilité ».

« Il est nécessaire d'être mobile, de disposer d'un véhicule, d'avoir le permis. Tout le monde s'accorde sur ce constat. Mais c'est plus difficile pour ceux qui sont en situation d'exclusion », estime Henri Patois, directeur de l'association Vivractif. Comment, en effet, répondre à l'impératif de mobilité, lorsqu'on ne dispose ni du permis de conduire, ni d'un véhicule, ni des moyens pour se les payer ? Quand se déplacer représente un obstacle financier ou pratique ? « Les entreprises demandent des compétences, mais la mobilité est un prérequis », remarque Franck Conti, animateur de l'association Coordination du pays rochefortais pour l'insertion et l'emploi (Coprie), qui pilote le plan local pour l'insertion et l'emploi (PLIE). « Mais comment acheter une voiture à crédit quand on est précaire ? Et plus on est précaire, plus on est victime de conduites addictives... », remarque Roberto Castillo, directeur de Hommes et savoirs, un organisme de formation partenaire de Vivractif.

De fait, sur le bassin d'emploi de Rochefort-Tonnay-Charente, les problèmes de précarité et de transport se cumulent et se renforcent mutuellement. Chômage important, taux d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) très élevé (1 245 allocataires en 2004, soit environ 2,4 % de la population, contre 1,8 % à l'échelle du département), contrats de travail précaires... Beaucoup d'offres concernent des emplois saisonniers dans l'agriculture et le tourisme, deux secteurs qui demandent une mobilité importante, sur le littoral notamment, dans l'hôtellerie-restauration ou l'ostréiculture.

La mobilité n'est certes pas « une préoccupation nouvelle » dans la région Poitou-Charentes à forte dominante rurale, explique Sylvette Roche, coordinatrice RMI de la délégation territoriale d'action sociale (DTAS) du Pays rochefortais au conseil général. De nombreux services d'aide à la mobilité ont déjà ainsi été expérimentés : location ou prêt de deux-roues, aide au code de la route ou au permis, système de covoiturage, de « taxi social » ou de minibus collectif, « chauffeurs solidaires » se relayant à tour de rôle... Une étude réalisée en avril 2004 par le Centre régional d'étude et d'action pour les handicaps et l'insertion (Creahi) (1) recensait une trentaine d'initiatives dont la plupart concernait les cyclomoteurs et le transport collectif. Mais ces expériences restent partielles et, pour beaucoup, éphémères.

Pourtant, dès 1994, sur le bassin de Rochefort, une réflexion a été engagée à l'initiative de la DTAS : des rencontres ont été organisées autour des questions de mobilité avec des allocataires du RMI et des demandeurs d'emploi, donnant lieu au projet Mob'solidaires, confié en 2000 à l'association Vivractif. Des vélos, des cyclomoteurs ou des scooters ont alors été loués à des personnes très défavorisées, afin de leur permettre de retrouver un emploi ou, plus simplement, de se rendre à un rendez-vous d'embauche ou de suivre une formation. « Mais il fallait une multiplicité de réponses, car la location de mobylettes est un moyen limité, qui n'est pas satisfaisant pour les grandes distances, pour les femmes qui doivent déposer leurs enfants ou les personnes en surpoids, explique Sylvette Roche. D'autant que le plan de déplacement urbain adopté par la nouvelle communauté d'agglomérations n'a pas intégré la problématique des salariés en insertion ou des personnes en grande difficulté. » Et si la mise en place d'une « tarification sociale » pour les transports en commun est un pas en avant, elle ne peut pallier « une offre de transport réellement insuffisante », estime Franck Conti.

Depuis Mob'solidaire, deux autres volets du dispositif ont donc été mis en place, dont le « permis solidaire ». Actuellement, plus de 80 personnes suivent ainsi des cours de code ou de conduite dans le cadre d'un partenariat avec une auto-école de Rochefort, qui détache un moniteur à temps plein. Plus de la moitié sont des salariés en insertion travaillant à Vivractif. Les autres sont adressés par la mission locale, la DTAS et la Coprie. Les bénéficiaires doivent payer 150 € en trois fois : à l'entrée dans le dispositif, lors du passage du code, lors de l'examen de conduite. Une fiche de liaison est établie entre l'organisme prescripteur et l'association Vivractif. La formation théorique peut être adaptée, si nécessaire, aux personnes souffrant d'illettrisme, grâce à la présence d'un répétiteur pour les questions du code. Le financement complémentaire est assuré par les prescripteurs, le conseil régional et le Fonds social européen (2). En interne, Vivractif finance la formation de ses salariés « grâce à l'argent dégagé par des activités réalisées sur un marché complètement concurrentiel, comme la gestion des déchets, ce qui permet de réinvestir ailleurs et de prendre des risques » sur des activités solidaires, explique son directeur, Henri Patois.

De la location à l'achat d'un véhicule

Autre volet du dispositif, LOCA' voiture est un système de location et de location-vente de véhicules d'occasion. Achetés par Vivractif, ces derniers sont mis à la disposition des personnes pour un montant de 93 € par mois. Un partenariat a été mis en place avec un garagiste local, qui fournit des véhicules et assure l'entretien. Les « loueurs » peuvent décider d'acheter le véhicule après l'avoir utilisé pendant trois mois. « Il faut bien évaluer le poids financier que cela va représenter, pour ne pas mettre en difficulté le bénéficiaire », précise Benoît Hnatyszyn, adjoint de direction technique et de sécurité à Vivractif. Au final, les voitures reviennent à leurs acquéreurs à 1 500 € maximum. Reste que LOCA' voiture ne bénéficie qu'aux salariés en insertion de Vivractif. Les autres structures n'ont pas souhaité financer le dispositif. « Il y a une méfiance envers le public qui touche le RMI liée aux questions de responsabilité ou d'alcoolisme. Le conseil général exigeait une visite médicale obligatoire, nous nous y sommes opposés. En outre, certains se demandaient : à quoi la voiture va-t-elle être utilisée ? », relate Henri Patois. « Pourtant, la voiture, c'est une insertion au-delà de l'emploi, argumente Benoît Hnatyszyn. On ne s'arrête pas au lundi-vendredi comme dans certaines structures, il y a une vie sociale après. Si le point de départ est l'insertion professionnelle, l'objectif final est bien celui de l'insertion sociale. » « Par exemple, ajoute Sylvette Roche , dans une famille suivie par l'aide sociale à l'enfance, un salarié de Vivractif a acheté une voiture. Elle lui a permis d'accompagner ses enfants à leurs activités extra-scolaires. Ça a tout changé pour eux. »

Les règles de conduite en vigueur au cours de la location permettent également l'élaboration d'une « pédagogie du respect des règles », explique Dominique Troniou, responsable du pôle mobilité de Vivractif. Le « contrat » de location est d'abord établi pour un mois, puis un rendez-vous est organisé pour vérifier l'entretien du véhicule. Ensuite, les contrôles s'espacent si l'entretien donne satisfaction. Dominique Troniou a même mis en place un atelier pour les petites réparations des voitures et des cyclomoteurs, pour « responsabiliser » les bénéficiaires sur l'état du matériel. Le passage du permis ou l'acquisition d'un véhicule est aussi « une porte d'entrée pour aborder d'autres problèmes, comme l'alcoolisme, explique Henri Patois. Si un salarié demande à passer le permis ou à conduire certains véhicules dans le cadre des chantiers d'insertion et si l'on décèle un problème d'alcool ou de drogue, il y a une discussion. » Cette « porte d'entrée » permet de « passer du jugement de valeur à la co-responsabilité » dans la prévention des risques liés à la conduite, commente Roberto Castillo.

Ces différentes démarches d'aide à la mobilité ont donc la vertu, selon les responsables, d'introduire une « pédagogie de la responsabilité », voire d'être un outil de médiation, même si le respect des règles ne va pas toujours de soi. Pour la location de mobylettes, la caution de 76 € exigée par Vivractif peut être payée par la structure prescriptrice, comme la mission locale, ce que déplore Dominique Troniou. « Des jeunes banalisent cette caution car il n'y a pas de personne physique devant laquelle ils sont responsables. » Cependant, les vols et les impayés sont peu fréquents dans le cas des locations.

Le dispositif du permis solidaire bute en revanche sur la question du suivi des bénéficiaires. Cette action, qui s'étend sur le long terme, demande en effet un accompagnement particulier qui semble avoir manqué dans la mise en route. « Le constat, qui reste néanmoins à vérifier, est le peu d'assiduité » aux cours de code et de conduite, voire l'abandon pur et simple, remarque Michèle Bérisset. « Il faut favoriser ceux qui ont une piste d'emploi car leur motivation est plus forte », ajoute-t-elle, citant le cas d'un jeune muni d'une promesse d'embauche qui a décroché rapidement son permis.

Sylvette Roche est plus catégorique : « Si les personnes en situation fragile ne sont pas accompagnées, elles ne se mobiliseront pas toutes seules. Elles lâchent prise dès qu'il y a un grain de sable, si quelque chose ne va pas dans leur vie. Elles ne peuvent pas faire deux choses à la fois. » « Si le dispositif fonctionne bien en interne [à Vivractif], les problèmes se posent davantage avec les bénéficiaires extérieurs », explique Dominique Troniou, qui regrette que leurs prescripteurs (mission locale, DTAS, Coprie) ne les accompagnent pas davantage. Ceux-ci semblent estimer de leur côté que c'est à Vivractif, porteur du projet, de jouer ce rôle. Ou au moins de faire bénéficier le dispositif d'un animateur ayant une connaissance des caractéristiques des publics, voire une double compétence de travailleur social et de moniteur d'auto-école. Cependant, « depuis la mise en place de points réguliers avec les instructeurs RMI, les choses s'arrangent » pour les bénéficiaires envoyés par la DTAS, explique Sylvette Roche.

Dans le cas des locations-ventes, qui ne concernent pour le moment que les salariés en insertion de Vivractif, le suivi ne pose pas de problème tant que la personne est en parcours d'insertion dans l'association. « On est en train de gérer les premières difficultés avec des personnes qui ont acquis des véhicules mais qui n'ont pas fini de payer. Une fois sorties du dispositif, c'est plus difficile de les suivre », témoigne Henri Patois. Surtout si elles n'ont pas retrouvé un emploi...

Loïc Abrassart

VIVRACTIF, « ENTREPRISE SOLIDAIRE »

Vivractif est une entreprise d'insertion qui gère des chantiers d'insertion dans la gestion des déchets, la taille de pierre et l'entretien d'espaces verts, organise la collecte et la récupération d'objets qui, une fois réparés, sont vendus à « La Chinetterie ». Elle a également repris la gestion d'un camping avec accueil d'urgence. Cette « entreprise solidaire », comme elle se dénomme, a décidé de se consacrer à la question de la mobilité pour les salariés en insertion ou les personnes victimes d'exclusion. Vivractif : 81, av. de Gaulle - 17430 Tonnay-Charente -Tél. 05 46 83 19 58 - E-mail :vivractif@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Disponible auprès du Centre régional d'étude et d'action pour les handicaps et l'insertion Poitou-Charentes : 23, boulevard du Grand-Cerf - 86000 Poitiers - Tél. 05 49 88 22 00 - E-mail : siege@creahipc.asso.fr.

(2)  Les actions « mobilité » de Vivractif s'inscrivent dans le programme Equal (www.equal-france.com), dans le cadre du projet « Entreprendre en Charente-Maritime » qui réunit plusieurs structures d'insertion par l'activité économique et des organismes de formation autour d'un objectif : « optimiser l'accès à un emploi durable ». Le descriptif du projet peut être consulté sur www.olimpe.travail.gouv.fr/equal sous la référence n° 10712.

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