Dans leurs relations avec des familles migrantes confrontées, en France, à des structures sociales et des pratiques souvent fort éloignées des leurs, les travailleurs sociaux peuvent se trouver dans l'embarras et voir leurs interventions mal acceptées, car mal comprises. Pour dépasser les malentendus, explique Gilles Verbunt, les professionnels doivent faire un double effort de connaissance : connaissance de soi et de sa propre culture, pour prendre conscience des représentations et préjugés qui biaisent la rencontre ;connaissance de l'univers culturel de leurs interlocuteurs pour comprendre la logique de conceptions et de comportements différents des leurs, et éventuellement s'y affronter.
Mais si les mots, gestes et attitudes mal interprétés participent, très concrètement, au brouillage des échanges, ces obstacles ne sont pas les plus difficiles à lever. Dans le registre de la politesse, par exemple, une information appropriée permet de comprendre que le fait de ne pas regarder son interlocuteur dans les yeux est un signe de respect et non d'absence de franchise, que le « oui », synonyme d'accord pour les Français, peut simplement vouloir dire « je vous ai entendu » dans d'autres cultures qui ne se servent pas du « non » mais de circonlocutions pour marquer un refus, ou bien qu'à la différence des habitudes hexagonales où le tutoiement traduit la familiarité, il peut ailleurs signifier uniquement que l'on s'adresse à une seule personne et pas à plusieurs.
Le dialogue, en revanche, s'avère plus délicat sur le terrain des valeurs. Dans ce domaine, une meilleure compréhension de visions du monde organisées en fonction de prescriptions liées à la religion ou à la tradition est bien sûr nécessaire, notamment pour appréhender ce qui se joue dans le registre des relations hommes-femmes ou des modes d'éducation. Pour autant, cette curiosité bienveillante et respectueuse d'autres façons de vivre et de faire n'évacue pas la question des limites : « jusqu'où tolérer la différence ? ». De fait, précise Gilles Verbunt, « se montrer disponible et disposé à dialoguer au sujet de pratiques que l'on juge "étranges" ne veut pas dire les approuver ». Ainsi, il serait inconcevable de transiger sur des principes comme l'égalité des sexes, la limitation du pouvoir parental ou le droit à l'intégrité physique et psychique de chaque individu, souligne-t-il. A cet égard, les travailleurs sociaux doivent « savoir hiérarchiser (et donc relativiser) les valeurs » qu'ils veulent aider à transmettre et, sans céder sur le fond, être en mesure d'aménager, avec tact, leurs interventions pour qu'elles réussissent à s'intégrer dans le paysage mental de leurs interlocuteurs.
Reste que pour jouer ce rôle de pédagogues, il faudrait que les professionnels bénéficient d'une formation spéciale à l'interculturel, insiste l'auteur. Elle leur permettrait de déjouer les pièges de l'ethnocentrisme qui consiste à tout voir à travers ses propres lunettes, et de disposer d'outils d'analyse adaptés aux situations auxquelles les confronte l'accompagnement de migrants.
La question interculturelle dans le travail social. Repères et perspectives - Gilles Verbunt - Ed. La Découverte - 18 €.