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Un relais au cœur de la cité

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A Toulouse, le Relais accompagnement jeunes offre un lieu d'accueil et d'accompagnement aux jeunes majeurs vivant dans la rue. A travers une prise en charge globale, il propose à chacun d'être écouté et, une fois le contact établi, de reprendre la pleine possession de ses droits.

« L'errance des jeunes est un sujet occulté dans notre pays », estime Yann Taillefer, assistant social au Relais accompagnement jeunes (RAJ) de Toulouse (1). Ce service a vu le jour en janvier 1994. « Le pôle d'accueil, d'information et d'orientation de Toulouse recevait à l'époque de plus en plus de jeunes majeurs en errance, et aucun dispositif de droit commun ne permettait une prise en charge de manière pertinente », se souvient Yann Taillefer. La mission locale de Toulouse et le comité toulousain de la Croix-Rouge française décident alors de créer le Relais accompagnement jeunes avec le soutien de plusieurs institutions (voir encadré ci-contre). Celui-ci s'installe dans les locaux de la mission locale, juste en face de la gare Matabiau, lieu d'errance et de dérive par définition.

Dès le départ, il s'agit de proposer un accompagnement social global aux 18-25 ans sans résidence stable - vivant dans la rue, en squat, en foyer d'urgence, hébergés provisoirement et sans autre référent social... « Aujourd'hui encore, le premier objectif est le rétablissement du lien social. Une fois ce contact rétabli, nous travaillons sur le projet de vie ou l'accès au droit commun », explique Ana Feldman, directrice adjointe de la mission locale de Toulouse. Plusieurs axes de travail sont ensuite explorés : la régularisation de la situation administrative, les problèmes de logement et de santé, les difficultés financières...

Même s'il n'est pas forcément institutionnalisé, le travail d'écoute est tout aussi important. « Plusieurs jeunes viennent d'abord pour parler. Ils vivent seuls dans la rue, ne s'en sortent plus et nous lancent un SOS », raconte Yann Taillefer. Mais l'assistant social est clair, « les travailleurs sociaux du service ne sont pas des psychologues ». De même, ils ne vont pas dans la rue au-devant des jeunes en difficulté. C'est à ces derniers de faire le premier pas et de pousser la porte du relais. S'ils sont adressés par la permanence d'accueil, d'information et d'orientation et la mission locale - qui envoient en moyenne 23 % des demandeurs -, le sim-ple bouche à oreille fonctionne également. « Dans la rue, les jeunes se parlent. Au bout de dix ans, on est devenu un espace de référence sur la ville », se félicite Laurent Campourcy, autre assistant social du service.

Commence alors le travail de suivi. Les jeunes sont souvent sans ressources ou vivent d'une économie de rue ou parallèle. « Leur demande est rarement bien définie, explique Yann Taillefer. Ils veulent surtout un travail et un toit, mais très vite, en discutant avec eux, on se rend compte qu'ils n'ont pas de papiers ou de couverture sociale. »

Exemple en ce début d'après-midi : un jeune de 19 ans se présente. Il vient d'une autre grande ville du Sud, laissant derrière lui des problèmes familiaux. « C'était notre premier rendez-vous. Nous l'avons surtout écouté, précise Laurent Campourcy. Il vit actuellement en hébergement d'urgence à Toulouse. Nous devons lui trouver rapidement un cadre plus stable. » Au fil de la conversation, les choses se compliquent. Le jeune homme n'a pas de couverture sociale et ne possède plus de lunettes depuis six mois. Les travailleurs sociaux vont donc devoir régulariser sa situation administrative et l'orienter vers une association qui assure des consultations ophtalmologiques. Tout cela avant d'aborder son dossier strictement professionnel. Des cas de figure quotidiens.

A leur arrivée au relais, 67 % des jeunes connaissent un problème de santé physique et/ou psychologique, plus ou moins lourd selon le temps passé dans la rue. A ces difficultés, s'ajoutent des histoires affectives et familiales faites de ruptures, d'échecs et de conflits. Et bien souvent aussi des addictions (46,5 % des jeunes ont une dépendance aux drogues, à l'alcool ou aux médicaments). Si les situations sont très diverses, on peut distinguer le jeune majeur qui vit dehors depuis quelques jours à peine et est parti de chez lui à la suite d'une crise familiale. Il cohabite avec le routard qui erre, lui, depuis plusieurs années et est davantage marqué et marginalisé par la rue. Ou encore le « traveller » débrouillard qui voyage à travers les villes et les pays, et veut se poser quelque temps pour se refaire une santé physique ou financière. Pour ce dernier, le relais est alors souvent une simple halte-étape dans son errance assumée comme mode de vie. « Notre objectif n'est pas de les sortir tous de la rue et de notre seul fait, explique Ana Feldman. On ne peut agir qu'avec leur volonté et leur désir. Il faut s'adapter à chacun et saisir exactement où il en est. »

« On croise nos cultures »

Composé de deux temps plein et demi depuis 2000 - contre deux mi-temps en 1994 -, le service ne peut s'occuper en moyenne que d'une soixantaine de jeunes par an. En réalité, plus du double passent par le relais chaque année, mais plusieurs ne donnent jamais suite au premier rendez-vous. En 2003, près de 150 jeunes ont été suivis « en file active », c'est-à-dire qu'au moins deux ou trois entretiens successifs ont été menés avec eux et ont permis l'établissement d'un projet personnel.

Le partenariat atypique mission locale-Croix-Rouge est un atout pour appréhender plus globalement leurs problèmes. La mission locale apporte son éventail d'outils pour accéder à la formation professionnelle et à l'emploi. De son côté, la Croix-Rouge met à profit son expérience des publics errants et précaires. « On croise nos cultures et nos philosophies pour nous remettre en cause en permanence et éviter de nous "banaliser " », résume Ana Feldman. « C'est une plus-value pour les jeunes, mais aussi pour nous qui échappons ainsi au poids de l'institutionnel », renchérit Yann Taillefer.

Même si les jeunes en errance sont difficiles à dénombrer, la tendance, estime-t-on au RAJ, est à un accroissement du phénomène. En dix ans, le public a globalement rajeuni. Selon le rapport d'activité 2004,25 %des jeunes suivis ont entre 18 et 20 ans, et 43 % entre 23 et 25 ans. Le service a également constaté une féminisation de plus en plus forte, avec 31 % de femmes pour 69 % d'hommes. Sans parler d'une augmentation préoccupante des mineurs dans la rue. « Malheureusement, au RAJ, on ne peut que les signaler aux services compétents. Si on les reçoit en rendez-vous, nous sommes hors la loi. C'est une des contradictions du système », estime Ana Feldman. «  En France, les 16-18 ans ne peuvent officiellement jamais être en situation d'errance », précise Laurent Campourcy.

Après dix ans d'existence, le relais est toujours considéré comme un dispositif expérimental par la politique de la ville. Un sérieux handicap. « Nous n'avons pas de ligne budgétaire fixe, regrette Laurent Campourcy. Cette incertitude de financement d'une année sur l'autre est en contradiction avec notre logique de développement permanent pour nous adapter à la réalité de la rue. » Le budget propre du relais ne concerne que les salaires des deux temps plein et demi. Tout le reste est financé par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales et la mission locale de Toulouse.

Le Relais accompagnement jeunes souffre aussi du manque de structures concurrentes. « Notre public n'intéresse pas grand monde, regrette Yann Taillefer. Chaque année, il y a une prise de conscience avec l'arrivée de l'hiver et les réponses sont dictées par l'urgence au gré des rythmes saisonniers. » D'autres services existent dans la région Midi-Pyrénées, pour accueillir les jeunes à la dérive. « Mais ils sont spécialisés dans les problèmes d'emploi, de logement, ou de santé. Nous sommes les seuls à proposer un accompagnement complet. Le manque de moyens s'en fait d'autant plus sentir », explique Laurent Campourcy. Tout comme le manque de places dans les services d'hébergement dans la région toulousaine. « Récemment, un couple avec un chien est venu nous demander de l'aide. Aucun lieu d'accueil ne correspondait à leur profil. »

En 2003,94 jeunes sont sortis du RAJ : 20 % avec un contrat de travail, et 44 % avec un revenu (salaire, RMI, Assedic...). Concernant l'insertion professionnelle, deux pistes sont explorées : soit l'accès à un emploi direct, assurant rapidement la subsistance - c'est une réponse à court terme ne correspondant pas toujours au projet de vie - ; soit la mise en place d'un parcours à plus long terme, avec programme préparatoire à l'emploi avant d'envisager une formation qualifiante ou un contrat en alternance. Dans ce service, l'emploi est un objectif comme les autres mais pas forcément une priorité absolue. La réussite réside avant tout dans « la restauration des droits et l'accès à la santé de la personne », estime l'assistant social. « Le cliché "un contrat à durée indéterminée et un appartement ", d'abord c'est assez rare, et ensuite pas toujours bon. Certains jeunes ont obtenu un logement rapidement et, pourtant, sont retombés dans la détresse sociale car leurs problèmes personnels n'étaient pas réglés. » Pour Ana Feldman, « ce qui compte, c'est ce que l'on construit avec la personne plutôt que pour cette personne. Beaucoup de jeunes savent qu'ils ont des droits mais ne savent pas les exercer, par peur ou par manque d'information. Notre rôle est de leur permettre d'exercer leurs droits. »

Bastien Bonnefous

UN PROJET PARTENARIAL

Sont signataires de la convention de collaboration et constituent le comité de pilotage du Relais accompagnement jeunes : la sous-préfecture à la ville, la ville de Toulouse, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), le centre communal d'action sociale de Toulouse, la mission locale, le comité toulousain de la Croix-Rouge française, et la direction de la solidarité départementale du conseil général. Le relais emploie un temps plein et demi pour la Croix-Rouge, financé par la DDASS, et un temps plein pour la mission locale co-financé dans le cadre du contrat d'agglomération (communauté d'agglomération du Grand-Toulousain, Etat au titre de la politique de la ville et Fonds social européen).

75 JEUNES SUIVIS EN 2003

 142 personnes ont été orientées vers le Relais accompagnement jeunes en 2003 : 75 ont été suivies, 36 ne sont jamais venues au premier rendez-vous et 31 ne sont jamais revenues après le premier rendez-vous.

 A la fin de l'année, 94 jeunes sont sortis du relais. 45 d'entre eux étaient là depuis un à cinq mois, 34 depuis un à deux ans.

 A leur sortie, 33 % ont repris l'errance, 19 % ont trouvé un logement.

 72 % n'avaient aucun travail, 9 % avaient signé un contrat à durée indéterminée, 6 % un contrat à durée déterminée, 5 % un contrat d'alternance.

 56 % étaient sans ressources à leur sortie, 23 % touchaient un salaire, 10 % le RMI et 4% les Assedic.

 En moyenne, 72 % des jeunes arrivent en n'ayant pas toutes leurs pièces administratives à jour et 16 % sans aucuns papiers d'identité. 73 % quittent le RAJ avec une situation administrative totalement régularisée.

 En moyenne, 82 % des jeunes arrivent sans aucunes ressources, et 91 % sans situation professionnelle.

Notes

(1)  RAJ : 2 bis, boulevard de Bonrepos - 31000 Toulouse - Tél. 05 62 73 38 80.

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