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Faut-il croire encore au travail social ?

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Le travail social n'a jamais sauvé et ne sauvera jamais personne », assène Xavier Bouchereau, éducateur spécialisé dans un service d'assistance éducative en Loire-Atlantique. Son rôle essentiel, estime-t-il, est ailleurs : faire remonter aux élus les cris des personnes en souffrance et « les vérités qui dérangent ».

« Faut-il croire encore au travail social ?Depuis que celui-ci existe, la question revient comme un leitmotiv, invitant à chaque fois les professionnels à se justifier, à répondre de leur utilité, à s'expliquer sur le bien-fondé de leur action. La question (1) demeure tendancieuse, embarrassante. A moins qu'elle ne soit trop bien posée ?Peut-être, par ce verbe "croire ", lourd de sens, en dit-elle déjà trop sur notre histoire, nos origines religieuses, nos motivations philanthropiques, conscientes ou inconscientes, nos certitudes de calotins sur ce qui est bien pour autrui, je n'ose dire pour les pauvres. L'héritage est loin d'être neutre et la dette qui s'y adjoint, la culpabilité de servir un système excluant, est loin d'être soldée !

Faut-il encore croire au travail social ? L'inter-pellation pose, impose, d'emblée une dimension magique, voire sacerdotale, au travail social. Il faudrait croire en lui comme on croit en Dieu et à ses pouvoirs divins, à sa faculté de réparer les malheurs du monde et les petites blessures de chacun. Or le travail social n'est pas Dieu, les professionnels ne sont pas ses anges. Nous sommes nécessairement décevants, jamais à la hauteur des attentes. A notre grand regret, nous sommes désespérément humains. Trop nous demander, bien plus que nous ne sommes capables de donner, c'est nous condamner à l'échec et quelquefois, malheureusement, à la vindicte publique. Lorsque le système se dérègle, c'est l'agent supposé de sa régulation que l'on met au banc des accusés.

Le procès d'intention dont certains de nos collègues ont fait l'objet récemment à propos d'affaires de maltraitance en est un témoignage éclairant. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les médias ont traité, je devrais dire maltraité, les événements en accusant de façon simpliste les services sociaux : si un enfant avait souffert, c'est que les travailleurs sociaux avaient indiscutablement failli dans leur mission. Le quidam pouvait dès lors, sans retenue, s'indigner devant tant de dilettantisme, d'incompétence, tant d'incapacité à endiguer la souffrance...

Les anges n'ont pas le droit de se tromper. Ils sont sommés de bien faire, priés de faire le bien. Et peu importe s'ils doivent le plus souvent panser sans pansement des plaies qu'ils n'ont pas causées.

Il faudra bien pourtant qu'un jour, on en finisse avec cette croyance. Le travail social n'a jamais sauvé et ne sauvera jamais personne, n'en déplaise à ceux qui, pour diverses raisons, voudraient lui faire jouer cet impossible rôle. Nous ne sauvons personne et nous ne sommes pas là pour rég (u) ler quoi que ce soit. En revanche, nous pouvons, j'en suis intimement convaincu, aider certains sujets à s'affirmer, à se dire différents, uniques, dans une parole qu'ils assument et qu'ils portent socialement. Nous pouvons les aider à être entendus pour ce qu'ils sont- ou ce qu'ils disent être - et non plus pour ce que les autres, nous autres, voulons qu'ils soient parce que cela nous dérangerait moins.

Défendre le « vivre ensemble »

Je ne pense pas qu'il faille croire au travail social au sens strict du terme. J'espère seulement que nous sommes encore capables de le défendre comme un rouage essentiel de la vie en société parce qu'il représente la matérialisation d'une certaine forme de solidarité, d'une certaine idée du "vivre ensemble ". Défendre le travail social, c'est rappeler à chacun que nous ne sommes rien sans le regard de l'autre, y compris lorsque l'autre en question est gênant, déviant, délinquant, malade, pauvre, bref un peu différent, un peu décalé, un peu bancal parfois. Défendre le travail social, c'est défendre le droit à l'altérité et donc à la part d'anormalité, à la dose d'étrangeté à laquelle chacun d'entre nous a le droit. A défaut de régulation, il y a quelque chose du dérèglement à soutenir dans notre profession!

Le travail social n'a de cesse de se défaire de son passé œcuménique. Au don de soi prôné par l'Eglise, la formation professionnelle a opposé, non sans mal, un "savoir-faire" appris, c'est-à-dire des techniques articulées autour de savoirs théoriques et empiriques. Aujourd'hui, le travailleur social est donc un professionnel diplômé, avec, normalement, un bagage technique repéré et opérant. Or cette volonté d'être pris au sérieux grâce à des savoirs théorico-pratiques, cette quête de reconnaissance par la connaissance, ne vont pas sans quelques avatars qui, à plus ou moins long terme, risquent non pas de faire disparaître le travail social mais de le dénaturer. A trop revendiquer l'aspect technicien du travail social, aspect que je défends sans ambages, nous tombons progressivement dans un "technicisme" déshumanisé et déshumanisant. Nous nous enfermons, doucement mais sûrement, dans l'application de recettes socio-éducatives qui ne rendent plus compte de la complexité des relations humaines et de l'engagement subjectif qu'elles réclament de la part des professionnels. Comment peut-on, en effet, faire face à la souffrance, à la misère, sans être touché ? Que peut susciter chez une personne en grande difficulté un professionnel neutre, sans émotion, qui lui explique que sa situation va se résoudre comme on résout une équation mathématique ? Cela nous promet de belles explosions mais, surtout, et c'est beaucoup plus grave encore, un fossé qui, déjà, se creuse entre les populations démunies et ceux qui s'en occupent, en l'occurrence les professionnels du social !

Alors quelles alternatives ? Pour ma part, je n'en vois qu'une, l'affirmation de positionnements politiques clairs, assumés, visibles mais surtout audibles. J'entends par politique ce qui concerne la cité, le citoyen et donc la démocratie. Celui qui ne s'intéresse pas à la chose politique, à ce qui, in fine, oriente notre pratique de tous les jours, se condamne à n'être qu'un exécutant du social. Dès lors, rien n'exclut, a priori, que des professionnels se mettent au service des causes et des systèmes les plus injustes. Ceux d'entre nous qui se disent neutres, loin du débat politique sous prétexte que cela ne les intéresse pas ou que, de toute façon, cela ne change jamais rien à leur quotidien, ceux-là participent à la mise en place d'un travail social "hors-social ", "déconscientisé ", sans repère déontologique et donc fondamentalement dangereux. Ceux-là finiront par faire taire la souffrance des dominés pour le confort de quelques dominants avec le sentiment du devoir accompli.

Le travail social n'est pas au service des bien lotis, il n'est pas non plus là pour servir les desseins d'un homme politique ou d'un parti en étouffant la souffrance, en la bâillonnant par je ne sais quels subterfuges qu'aujourd'hui on nomme courtoisement dispositifs. Non, notre travail est ailleurs, plus gênant, plus subversif, plus inconfortable également. Nous sommes là, entre autres choses, pour que les personnes en souffrance puissent dire, crier, voire hurler les injustices qu'elles subissent jour après jour. Nous sommes là pour faire remonter aux politiques la réalité des bas-fonds, de ces cages d'escaliers qui sentent l'urine, de ces parents qui boivent pour oublier l'absence d'avenir, de ces mères humiliées qui nourrissent leurs enfants avec des colis tamponnés "Restos du cœur ". C'est aussi cela le travail social, faire remonter les vérités qui dérangent vers ceux qui décident et qui ont le courage de les écouter. »

Xavier Bouchereau Educateur spécialisé :1, rue du Taillis - Bât. A - 44700 Orvault - Tél.06 25 97 61 72.

Notes

(1)  Posée par les ASH à l'occasion de la IIIe journée francilienne du recrutement de l'action sociale qu'elles organisaient le 3 décembre à Issy-les-Moulineaux (Hauts- de-Seine).

TRIBUNE LIBRE

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