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Coup de pouce européen à l'insertion économique des gens du voyage

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Dans le cadre du programme européen Equal, huit associations réparties sur toute la France participent au projet Codipe (contre la discrimination, pour l'emploi) en faveur de l'insertion économique des gens du voyage. De Lorient à Toulouse en passant par Annecy, tour d'horizon de ces initiatives innovantes d'accompagnement.

Illettrisme marqué, transmission des savoirs de père en fils, fréquence des déplacements, repli sur la sphère familiale ou encore faiblesse des revenus, les freins à l'entrée des gens du voyage dans le marché de l'emploi ne manquent pas. Mais les moyens de favoriser leur insertion économique diffèrent souvent d'un département à l'autre, d'une association à une autre. Il faut dire que l'exercice est délicat : comment accompagner cette population vers l'emploi salarié ou indépendant sans renier sa culture et son mode de vie ?

C'est dans ce contexte que l'Union nationale des institutions sociales d'actions pour les Tsiganes (Unisat) (1) et sept associations locales (2) ont décidé de travailler ensemble dans le cadre du programme d'initiative communautaire Equal (voir encadré ci-contre). Le projet, baptisé Codipe (contre la discrimination, pour l'emploi) propose de développer la reconnaissance des savoir-faire des Tsiganes, de rechercher de nouvelles formes d'activités économiques et de rétablir des passerelles vers le droit commun. Sur le terrain, ces objectifs ambitieux se déclinent en trois types d'initiatives : l'instauration de formations adaptées, la création de structures innovantes et l'accompagnement socio-économique. Coût de leur mise en œuvre : un million d'euros, financé à parité par les institutions françaises, notamment les collectivités locales, et le Fonds social européen (3).

La mise en place de formations adaptées concerne aussi bien l'accès au système salarial classique que l'exercice d'une activité indépendante en toute légalité. A Lorient (Morbihan), le service des réseaux d'accueil (4) a proposé aux femmes une formation à la gestion des micro-entreprises de leurs conjoints, afin d'apprendre à tenir à jour la comptabilité, en vue de payer des cotisations. « Elles ont un rôle non négligeable dans l'activité économique de leur conjoint, souligne Nathalie Nicol, formatrice au sein de l'association. Ce sont elles qui remplissent les papiers administratifs et les hommes ont parfois tendance à se décharger sur elles. » Cette formation, suivie par dix femmes en 2003 et trois en 2004, « leur a permis de se sentir mieux reconnues au sein de la famille ». Les associations comptent d'ailleurs interpeller les pouvoirs publics sur la reconnaissance du conjoint collaborateur (non marié), qui ne possède aucun statut, et par conséquent aucun droit. Concernant l'accès au salariat, et notamment l'intérim, l'association bretonne a organisé avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) une formation au permis de cariste. « Nous avons un rôle de médiateur entre les gens du voyage et l'organisme de formation, précise Nathalie Nicol. Le contenu de la formation doit être aménagé pour que les voyageurs la suivent jusqu'au bout. Et il faut sans cesse les travailler au corps pour être certains qu'ils y participent. » Pour accompagner ce public fragile, parfois insaisissable, l'Association régionale des Tsiganes et leurs amis gadgés (ARTAG), basée à Vaulx-en-Velin (Rhône), a élaboré une « pré-formation » destinée à faire découvrir l'emploi salarié aux gens du voyage, de la construction d'un curriculum vitæ à la connaissance des métiers. « Il est très intéressant de reconstituer sur papier les expériences d'un voyageur, remarque Xavier Pousset, directeur de l'association lyonnaise. Ce n'est pas évident pour ceux qui vivent dans l'instant présent et ne se projettent ni dans le passé, ni dans le futur. » La reconnaissance de leurs compétences professionnelles pose elle aussi problème. Là encore, les associations partenaires entendent interpeller les pouvoirs publics sur l'adaptation du système de la validation des acquis de l'expérience (VAE) aux gens du voyage.

La deuxième voie explorée par les porteurs du projet consiste en la création de structures innovantes, adaptées aux spécificités des gens du voyage et capables de les faire basculer en douceur vers le droit commun. L'Association logement accueil et promotion des travailleurs et familles (ALAP) en Haute-Savoie travaille ainsi à la création d'une société coopérative d'intérêt collectif (5). Au sein de cette structure, elle envisage la mise en place d'un atelier solidaire regroupant les travailleurs ambulants bénéficiaires du RMI. L'idée est de les inciter à s'inscrire au registre du commerce, à consolider leur chiffre d'affaires et, à terme, à sortir du dispositif. « Nous avons enfin pu nous consacrer entièrement à l'insertion économique en recrutant une personne chargée de cet accompagnement, se réjouit Odile Aubel, responsable de l'action sociale à l'ALAP. Cela a permis d'évoquer la sortie du RMI de familles qui retrouvent une identité en devenant des commerçants affirmés et affichés. Cela ne leur permet pas de gagner plus d'argent, ce qui est parfois difficile à gérer, mais cela leur donne une crédibilité, notamment auprès des élus locaux. » Au sein de cette coopérative, l'association espère également embaucher à mi-temps dix femmes de la région d'Annemasse qui, après avoir suivi une formation à la couture, pourraient fabriquer et vendre du linge de maison.

Enfin, troisième initiative, l'accompagnement socio-économique, visant à produire des outils adaptés et simplifiés de gestion du travail indépendant. L'association Solidarité avec les gens du voyage de Tarbes (SAGV 65) a par exem-ple imaginé la mallette du travailleur indépendant. Distribuée à une cinquantaine de personnes suivies par l'association, elle comprend un classeur de rangement, un livre de recettes pour tenir à jour les comptes de l'entreprise, un calendrier de paiements des cotisations, un stylo et une calculatrice miniature.

Au-delà de ces expérimentations, le projet a donné un nouveau souffle aux associations de terrain. « L'avantage des programmes européens, c'est de pouvoir donner du temps aux associations, estime Fabienne Hétier, responsable de la formation à l'Association des amis des voyageurs de Gironde (ADAV 33). Dans le social, on a trop souvent la tête dans le guidon. » Les responsables des associations partenaires estiment même que Codipe a modifié leurs manières de travailler. La logique du réseau, renforcée par une coopération transnationale avec l'Irlande (voir encadré ci-dessous), a permis aux uns et aux autres de mutualiser les bonnes pratiques. « J'ai l'impression que nous sommes devenus de meilleurs techniciens, grâce à l'échange de tuyaux, d'outils de travail », confirme Véronique Lemporte, chargée de formation à l'Association départementale des gens du voyage de l'Essonne (ADGVE). A tel point d'ailleurs que les trois associations du Sud-Ouest viennent de créer leur propre réseau.

L'autre apport majeur du projet Codipe vient de la plus grande participation des Tsiganes à la conception des actions. Une nécessité pour André Rajot, chargé de formation à l'ADGVE, la parole des gens du voyage ayant trop souvent été portée par d'autres. Enfin, ce projet à dimension nationale et européenne a permis de motiver les financeurs locaux. « Les missions locales se sont déplacées sur les terrains des voyageurs et les ANPE ont mis en ligne des propositions d'emplois saisonniers, ajoute Odile Aubel. Les choses sont en mouvement entre les voyageurs et les services de droit commun. »

Doutes et impatiences

Mais l'élaboration du projet a parfois suscité des doutes, des impatiences. « La mise en place des actions est longue et je ne sais pas si les partenaires s'attendaient à cela, confie Mathioda Coatanhay, coordinatrice du projet au sein de l'Unisat. Il a fallu quelques mois de latence pour que les gens se connaissent et apprennent à travailler ensemble. » Confirmation de Xavier Pousset, directeur de l'ARTAG : « On passe beaucoup trop de temps à rédiger des comptes rendus, fournir des documents, des justificatifs... » Autre effet bloquant, la nécessité d'avancer les fonds nécessaires à la mise en œuvre des actions (6). « Certains partenaires sont partis en cours de route car ils n'avaient pas les reins assez solides pour nous suivre », estime Mathioda Coatanhay. Enfin, le programme Equal oblige à élaborer des critères d'évaluation difficiles à définir dans le cadre du soutien à une population si fragile. « Certes, on peut recenser le nombre de personnes formées mais la plupart des bénéfices de Codipe ne sont pas chiffrables », souligne la coordinatrice. Pas de chiffres donc, mais des avancées non négligeables en termes d'image. « Ce projet permet de nous sentir reconnus, et de montrer que nous aussi, nous travaillons », témoigne Olga Spade, voyageuse dans la région lyonnaise et membre de l'ARTAG. Pour Didier Botton, directeur de l'Unisat, « ce projet porte une forte charge symbolique dans le sens où il permet de positiver les caractéristiques des gens du voyage ». Une visibilité salutaire pour une population en manque de reconnaissance.

Florence Pagneux

EQUAL, UN LABORATOIRE D'EXPÉRIMENTATIONS EUROPÉENNES

Le programme d'initiative communautaire Equal vise à promouvoir de nouvelles pratiques de lutte contre toutes les formes de discrimination et d'inégalité dans la sphère du travail et de l'emploi. En 2001, un premier appel à projets a permis de cofinancer, en France, 230 projets pour un montant global de 150 millions d'euros. Tous les projets retenus ont un caractère expérimental. Les porteurs de projet doivent s'efforcer d'appliquer les grands principes d'Equal : innovation, égalité entre hommes et femmes, « empowerment » (implication), évaluation et « mainstreaming » (diffusion). Différents thèmes sont proposés : accès au marché de l'emploi (thème A), lutte contre le racisme et la xénophobie (B), création d'entreprises (C), économie sociale (D), formation tout au long de la vie (E), adaptation des entreprises et des salariés (F), articulation des temps de vie (G), aide et accompagnement des demandeurs d'asile (I). Un second appel à projets a été lancé en 2004 auprès des 25 pays européens.

L'IRLANDE, PARTENAIRE TRANSNATIONAL

La coopération transnationale fait partie intégrante des initiatives Equal. Dans le cadre du projet Codipe, les huit associations françaises ont développé un partenariat avec le « Pavee Point Travellers'Centre », qui regroupe plusieurs associations irlandaises basées à Dublin et Galway. L'échange est à la fois culturel (problématiques vécues par les Tsiganes et les accompagnateurs sociaux) et méthodologique (comparaison des méthodes de travail et des outils utilisés). Voyageurs irlandais et français ont pu se rencontrer en juin dernier à Toulouse à l'occasion d'un séminaire (rencontre qui a fait l'objet d'un film réalisé par Fabien Rabeaux). Si les discriminations subies par les gens du voyage sont sensiblement les mêmes d'un pays à l'autre, les moyens d'y répondre diffèrent. Les associations irlandaises se révèlent plus militantes que les associations françaises, plutôt légalistes. Une sociologue a notamment été chargée de réaliser une étude comparative des actions menées dans les deux pays.

Notes

(1)  Qui fusionnera avec Etudes tsiganes et l'Unagev pour devenir la Fnasat-gens du voyage, au 1er janvier 2005 - Voir ASH n° 2385 du 10-12-04.

(2)  L'ADAV 33, l'ALAP en Haute-Savoie, l'ADGVE (Essonne), le service des réseaux d'accueil de Lorient, l'association SAGV 65, le comité de coordination pour la promotion et en solidarité des communautés en difficulté, Tsiganes et migrants à Toulouse (CCPST) et l'ARTAG (Rhône) composent, avec l'Unisat, le partenariat de développement du projet Codipe.

(3)  Pour animer le réseau de partenaires et centraliser les dépenses des associations, l'Unisat a pu embaucher une coordinatrice.

(4)  Le service des réseaux d'accueil de Lorient est une émanation de l'Association départementale de la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Morbihan (ADSEA).

(5)  Le statut SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif) intègre nécessairement, à côté du volet économique, un volet d'utilité sociale - Voir ASH n° 2380 du 5-11-04.

(6)  Le remboursement des dépenses engagées par les associations prend du temps. Les justificatifs des dépenses sont en effet centralisés chaque trimestre par l'Unisat puis envoyés au département Fonds social européen du ministère de l'Emploi, qui se charge de faire remonter les informations à l'échelon européen. 30 % des dépenses sont ensuite reversées en milieu d'année et les 70 % restants sont versés au début de l'année suivante.

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