Malgré les réflexions menées en 1998 par les inspections générales des finances, des services judiciaires et des affaires sociales (1), en 2000 par la commission Favard (2) et, plus récemment, par les groupes de travail instaurés au sein de la direction générale de l'action sociale sur l'évaluation médico-sociale des personnes en difficulté, la formation et le statut des professionnels chargés des mesures de protection et enfin le financement du dispositif (3), la réforme des tutelles semblait au point mort. Les annonces du ministre de la Justice, à l'occasion d'un colloque organisé le 9 décembre sur la représentation tutélaire en Europe vont-elles modifier la donne ? Dans le secteur, le doute persiste (voir ce numéro).
Quoi qu'il en soit, pour Dominique Perben, cette « réforme d'importance s'impose » et sera « présentée au Parlement au cours de l'année 2005 », une fois les derniers arbitrages rendus, promet-il. Son ambition étant de « promouvoir un droit qui permette aux personnes âgées devenues dépendantes, aux malades mentaux ou psychiques ne pouvant subvenir seuls à leurs besoins, d'être aidés dans l'exercice de leurs droits sans pour autant être diminués ou privés inutilement de leur liberté ». Concrètement, il confirme les grands axes, pour la plupart connus, de la réforme.
Son premier objectif est ainsi de « réserver les mesures de protection juridique à ceux qui en ont besoin » et non d' « utiliser le dispositif de protection pour tenter de résoudre les problèmes sociaux ». C'est pourquoi les cas d'ouverture de la protection juridique pour « prodigalité, intempérance et oisiveté » devraient être supprimés. Dans le même esprit, seule une démonstration médicale de l'altération des facultés personnelles de l'intéressé pourra fonder l'ouverture d'une mesure de protection juridique. Enfin, dans tous les cas, la situation médico-sociale des personnes dont l'origine des difficultés ou la réponse à y apporter n'est pas clairement identifiée devra être évaluée. Ce qui suppose une coordination des acteurs sociaux, souligne le garde des Sceaux.
Toujours dans cette perspective, les principes dits de « nécessité » et de « subsidiarité » des mesures de protection juridique devraient être « rendus plus efficient s ». En clair, avant d'ouvrir une mesure de protection juridique, « il conviendra d'abord de se tourner vers la famille ».
Un autre aspect de la réforme vise à renforcer les droits de la personne protégée, notamment en leur donnant la parole. « Ainsi une mesure de protection juridique ne pourra être ordonnée par le juge des tutelles qu'après son audition », précise notamment le ministre. « L'audience sera l'occasion d'un débat avec le majeur et d'une information sur la mesure, adaptés à sa capacité de compréhension », ajoute Dominique Perben. Surtout, dans la continuité des préconisations faites jusque-là, les mesures de protection juridique devront être prononcées pour une durée déterminée qui ne pourra excéder cinq ans, a indiqué le garde des Sceaux, ajoutant qu' « à l'issue de cette période, le juge aura l'obligation de réexaminer la situation de chaque personne sur la base d'un certificat médical et après audition de l'intéressé ».
Le ministre de la Justice reprend également l'idée de créer « un mandat de protection future ». Une idée retenue avant lui par Marylise Lebranchu, alors ministre de la Justice, qui avait, en 2002, elle aussi, esquissé les contours d'un projet de réforme (4). Concrètement, une personne pourra organiser sa protection pour le jour où elle sera dépendante et ne pourra plus pourvoir seule à ses intérêts.
Autre préoccupation du ministre : prendre en compte les difficultés quotidiennes des parents d'un enfant handicapé devenu adulte. A cette fin, le dernier parent vivant pourra, selon l'avant-projet de loi, désigner devant notaire un curateur ou un tuteur pour son enfant si celui-ci devait être placé sous une mesure de protection. Cette décision s'imposerait au juge des tutelles « à moins que l'intérêt supérieur de la personne protégée ne commande un autre choix ». En outre, ces parents pourraient également avoir recours au mandat de protection future pour leur enfant. Toujours dans ce cadre, deux mécanismes pourraient être introduits à l'occasion de la réforme des successions : permettre aux parents d'avantager leur enfant handicapé pour assurer son existence matérielle lorsqu'ils seront décédés -notamment en lui donnant un bien -, ou encore de désigner un mandataire avec mission, par exemple, de gérer, après leur décès, le patrimoine transmis à l'enfant avec l'obligation de lui verser des revenus réguliers.
Dernier volet : la professionnalisation des intervenants extérieurs à la famille qui exercent les missions de protection juridique. Le ministre souhaite à cet égard instaurer le métier de mandataire de protection juridique des majeurs.
Enfin, très critiqués, les comptes pivots, ouverts par les associations pour faire fructifier les revenus des personnes protégées, devraient être supprimés, confirme le ministre.
Reste en débat le problème - et non des moindres -du financement de ces mesures « actuellement disparate et incohérent ». Sur ce point, « un financement public sera mis en place si les ressources de la personne protégée ne lui permettent pas d'en assumer le coût », explique Dominique Perben, sans plus de précision. Au total, alors que le dispositif pèse actuellement 368 millions d'euros par an et qu'il pourrait atteindre 514 millions d'euros à l'horizon 2009, le ministre escompte de la réforme une économie de 52 millions d'euros. Il a également assuré que la réforme « nécessitait des efforts financiers au-delà même de ceux de l'administration centrale de l'Etat », en particulier de la part des départements. Un point délicat sur lequel, là encore, les arbitrages ne sont pas rendus.
(1) Voir ASH n° 2094 du 20-11-98.
(2) Voir ASH n° 2168 du 26-05-00.
(3) Voir ASH n° 2324 du 12-09-03. Une expérimentation du financement par dotation globale des tutelles a également été instaurée par la loi du 2 janvier 2004 sur la protection de l'enfance - Voir ASH n° 2349 du 05-03-04.
(4) Voir ASH n° 2248 du 1-02-02.