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L'hébergement hivernal des SDF : une urgence rituelle

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Educateur spécialisé, anthropologue et responsable de projet à Buc Ressources, Stéphane Rullac (1) s'interroge sur les fondements de la mobilisation saisonnière en direction des personnes sans domicile fixe. Pour lui, lorsque la rigueur du climat accentue leur souffrance, la société juge nécessaire - tacitement et inconsciemment - d'alléger la punition sociale qu'elle leur inflige en des temps plus cléments.

« Le froid s'invite à nouveau dans nos rues et ramène dans son sillage l'intérêt social pour l'hébergement hivernal des sans domicile fixe. Dans cette perspective, les procédures d'hébergement d'urgence liées au plan grand froid sont révisées et prêtes à être réactivées en temps voulu (2). Les pouvoirs publics, les associations, les professionnels, les bénévoles et les médias sont déjà prêts à s'investir dans une mobilisation qui s'impose au fil du temps comme une cause nationale. Cette année encore, l'intérêt saisonnier pour la question SDF ne se dément pas et, avec lui, le temps de l'urgence s'impose à tous. Mais au fond de quelle urgence s'agit-il ? Il ne s'agit pas de remettre en question la nécessité d'aider les SDF à se loger mais bien de questionner le fondement d'une mobilisation saisonnière qui, en devenant rituelle, n'est plus questionnée.

« Toute rencontre avec un SDF provoque une sentiment ambivalent qui associe intimement la compassion et le rejet d'un individu qui, en échouant à gagner sa vie, rompt le contrat social et finalement menace la cohésion sociale. Ce double visage de "l'exclu des exclus" explique la tendance historique à maltraiter les SDF qui, jusqu'en 1992, ne bénéficiaient pas du droit pourtant fondamental d'aller et venir à temps complet dans les rues, ni de solliciter de l'argent. Depuis cette date, l'évolution est nette puisque la personne privée de domicile est reconnue comme une victime sociale en danger et bénéficie de ce fait d'une assistance respectueuse ; les SAMU sociaux incarnent cette responsabilité sociale en mettant en œuvre chaque jour une relation de haute qualité avec ses usagers. Pourtant, l'hébergement d'urgence proposé aux SDF n'est toujours pas un droit garanti puisque la majorité des demandes demeure aujourd'hui insatisfaite. Le central de réservation téléphonique (115) ne peut répondre à la masse des demandes. Puis, une fois obtenu, le lit tant convoité est la plupart du temps attribué à la nuit et nécessite inlassablement de retenter sa chance à ce qui s'apparente à une loterie nationale. C'est en ce sens que la maltraitance sociale des SDF perdure puisqu'elle s'inscrit dans les dispositifs d'assistance qui, en répondant par l'urgence à des situations chroniques, précarisent encore davantage les sans-abri.

« Cette économie relationnelle ancestrale basée sur la culpabilité symbolique des SDF est fluctuante en fonction des saisons et détermine le degré d'assistance proposé : lorsque les affres climatiques accentuent la souffrance des sans-abri, nous allégeons tacitement et inconsciemment la punition sociale qui, en imposant un seuil minimal de souffrance, nous permet de tolérer ce groupe pourtant "hors la loi ". Ainsi, l'hiver venu, il devient urgent d'augmenter l'offre d'assistance pour équilibrer la souffrance qui pèse sur les SDF et la maintenir en deçà du seuil de l'acceptable. C'est dans cette logique que la mort d'un SDF dans la rue l'hiver est intolérable alors qu'au printemps elle passe inaperçue. Le drame consiste moins à déplorer la perte d'un être humain que d'échouer dans notre volonté collective et circonstancielle d'éviter de tels phénomènes.

« Il est temps aujourd'hui de sortir de cette économie relationnelle qui est moins centrée sur les besoins d'un groupe en grande souffrance que sur ceux d'une collectivité peinant à supporter une frange d'elle-même qui, en tordant le contrat social, menace fantasmatiquement la cohésion de la majorité. Il est temps de rétablir en France le droit d'asile qui garantit à chacun la possibilité de dormir chaque nuit dans un lit qu'il fasse froid ou non. Il est temps d'accepter nos SDF et, enfin, de leur donner les moyens de vivre leur vie décemment : ce n'est qu'en permettant aux SDF de vivre le mieux possible leur condition que nous leur garantissons la possibilité d'en sortir. »

Notes

(1)  Contact : Buc Ressources - 1 bis, rue Louis-Massotte - 78530 Buc - Tél. 01 39 20 78 69 - stephane.rullac@gni.asso.fr - Stéphane Rullac est également l'auteur de L'urgence de la misère : SAMU social et SDF - Ed. Les 4 chemins, 2004.

(2)  Voir ASH n° 2379 du 29-10-04.

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