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Droits des usagers : l'occasion de repenser le sens des relations d'aide et d'éducation

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L'accroissement des droits des usagers découlant de la loi du 2 janvier 2002 vient interroger les représentations et les pratiques des professionnels. Un questionnement « passionnant » et « revigorant », plaide Bertrand Dubreuil, éducateur spécialisé de formation, docteur en sociologie et directeur de l'organisme de formation « Singuliers-Pluriel » (1), quelques jours après la parution du décret sur le contrat de séjour (2).

« Certains réduiront peut-être les nouvelles dispositions concernant les droits des usagers à des obligations illusoires et paperassières, qu'il faut soigneusement encadrer pour éviter contestations tatillonnes et chicanes judiciaires. Inutile alors d'associer les professionnels de terrain à leur élaboration, au risque sinon de susciter des résistances qu'il faudra travailler ou des questionnements sur l'inadéquation entre déclarations d'intention et pratiques effectives. Autrement dit, gardons-nous du désordre créatif.

Mais nous pouvons aussi nous saisir de la loi du 2 janvier 2002 comme d'une opportunité pour modifier notre rapport au public. La mise en œuvre des dispositions afférentes aux droits des usagers devient alors l'occasion d'explorer les fondements de nos pratiques. S'ouvrent des questions passionnantes, revigorantes, parce qu'elles touchent aux fondements anthropologiques des relations d'aide et d'éducation, qu'elles obligent à penser d'une part la participation du bénéficiaire, d'autre part le processus de co-éducation.

Il serait dommage que le sentiment de harcèlement procédural, fort présent aujourd'hui dans le secteur social et médico-social, serve de prétexte pour s'en tenir à l'obligation légale sans plus. Ayant mené des formations avec des directeurs et des équipes sur la mise en œuvre de ces dispositions, il me semble au contraire que, malgré des aspects qui méritent débat, le cadre tracé par le législateur constitue un instrument d'un grand intérêt.

Ainsi, par exemple, la rédaction du règlement de fonctionnement conduit à examiner la question de la sexualité en établissement. Une réflexion anthropologique et juridique montre alors que la loi ne réglemente pas l'exercice de la sexualité, qui relève de la vie privée, et que le code pénal ne réprime pas le rapport sexuel mais la violence exercée sur le corps de l'autre, le rapport d'un majeur avec un mineur étant assimilé à une violence (3). Abandonnant donc la rédaction d'articles réglementaires malencontreux sur la sexualité, on choisit d'émettre plutôt des dispositions qui protègent l'intimité de la personne (l'accès aux chambres, l'intimité corporelle au moment de la toilette, etc.).

Eviter l'incantation et la stigmatisation

De même faut-il - et ce n'est pas simple - énoncer les exigences du vivre ensemble en évitant déclarations incantatoires et jugements stigmatisants. Ainsi, par exemple, de ces deux articles, que de nombreuses équipes ont adoptés en les modulant en fonction de leur public.

"Jeunes et professionnels ont un comportement responsable à l'égard des locaux et du matériel afin que tous puissent en jouir dans les meilleures conditions et dans le respect du travail des personnes chargées d'en assurer l'entretien. "

"Les adultes sont chargés d'assurer la sécurité des jeunes. Chaque jeune est en droit de leur demander protection et a le devoir de leur faire connaître l'existence de conduites menaçantes à l'égard d'un autre jeune ou qui le mettraient en danger. "

De telles formulations engagent alors les professionnels à un examen de leurs pratiques pour les accorder aux intentions déclarées.

De même, la communication à l'usager de son dossier oblige à s'interroger sur la transmissibilité des écrits professionnels. Ne doit-on pas préserver l'usager des hypothèses explicatives qu'on émet provisoirement à l'occasion de la réunion de synthèse ? Les professionnels peuvent-ils se réserver des notes personnelles, mémoire temporaire de leur réflexion sur l'évolution de l'usager ?Mais alors celles-ci ne doivent-elles pas ensuite être détruites ? C'est en définitive la question du partage d'une histoire de vie, de son intimité, qui se pose et donc de l'utilité des informations détenues. Au regard de mon action auprès de l'usager, de quelles informations ai-je vraiment besoin ? Lesquelles risquent de troubler la relation d'aide, d'éducation, d'apprentissage ? N'est-il pas préférable que j'ignore certaines conduites antérieures pour permettre à mon interlocuteur de me surprendre, de s'autoriser une attitude autre que celle annoncée ?

Rebondissant encore, les professionnels évoquent les confidences exclusives faites par un usager à l'un d'entre eux. Dois-je la divulguer lorsque l'information ne me semble pas indispensable à l'action menée ? Mais, seul dépositaire de cette confidence, suis-je alors dans un rapport professionnel avec l'usager ? Certains suggèrent en conséquence une communication restreinte à un membre de l'encadrement, référent du cadre symbolique.

Je ne prétends pas ici offrir les bonnes réponses à la multitude de questions qu'ouvre la mise en œuvre des droits des usagers, mais je voudrais souligner combien cette nouvelle donne interroge positivement les représentations et pratiques des professionnels. Certaines dispositions restent d'ailleurs problématiques, telles que le contrat de séjour dans les établissements d'éducation spécialisée ou l'élection du président du conseil de vie sociale.

Des dispositions problématiques

Autant le contrat de séjour est pertinent dans les établissements accueillant des adultes, autant il paraît décalé du processus de co-éducation. Car le rapport entre parents et professionnels ne relève pas du contrat. Celui-ci présuppose des engagements réciproques et des garanties qui permettent aux parties d'en faire valoir les termes. Or les parents d'un enfant avec un handicap ou en difficulté n'ont pas d'engagement particulier à prendre à l'égard de l'établissement qui accueille leur enfant. Donnant leur accord à la proposition de la commission départementale de l'éducation spéciale et confiant leur enfant à l'établissement, ils en acceptent les exigences, telles que celles de rencontrer les professionnels autour du projet individuel ou de veiller à l'assiduité de leur enfant. Détenteurs de l'autorité parentale, ils sont légalement chargés d'une responsabilité d'éducation qui ne suppose pas de contractualisation supplémentaire. Le document individuel de prise en charge (DIPC), qui définit les engagements de l'établissement, chargé par la société de s'associer à l'éducation de leur enfant, est par contre pertinent en la matière. Le décret du 26 novembre ne manque pas de souplesse, d'ailleurs, puisqu'il permet aux parents de refuser le contrat et de s'en tenir au DIPC.Reste à les informer de cette possibilité, ce qui relève de la responsabilité des professionnels.

Le choix du président du conseil de vie sociale dans le collège des personnes accueillies est une autre disposition problématique dans le secteur de l'enfance. Parfaitement justifié lorsqu'il s'agit d'adultes, il semble en revanche artificiel, voire générateur de confusions, pour les mineurs. Cette instance de concertation est dotée par le législateur d'une forte légitimité sociale. Comment un adolescent peut-il présider une instance composée majoritairement d'adultes ? Comment sera interprété par les parents et les professionnels ce renversement dans l'ordre des responsabilités (l'ordre des places dans une perspective anthropologique)  ?

Ceux qui s'interrogent sur cette disposition sont par ailleurs favorables à l'écoute des jeunes en établissement et à la prise en compte de leurs avis, suggestions, voire revendications. Mais, alors qu'on dénonce une certaine démission parentale, qu'on incite les adultes -et donc les professionnels chargés d'éducation - à assumer leurs responsabilités, à transmettre valeurs et exigences sociales, il peut sembler paradoxal de confier la responsabilité d'une telle instance à des mineurs.

Cette disposition n'ayant pas d'équivalence dans le système éducatif ordinaire, faut-il la considérer comme une heureuse avancée appliquée d'abord à l'éducation spécialisée ? Pourquoi pas ? Mais c'est alors l'exemption adoptée pour les établissements accueillant majoritairement des mineurs au titre d'une mesure judiciaire - établissements qui n'ont pas l'obligation de mettre en place un conseil de la vie sociale (4) - qui devient problématique. Ces jeunes seraient-ils moins citoyens que les autres ? Ou moins susceptibles d'expérimenter ainsi le jeu de la démocratie ?Le fait que, par voie de conséquence, les mineurs accueillis dans ces établissements au titre de la protection de l'enfance ne puissent être élus à la présidence du conseil éclaire tout particulièrement cette incohérence.

Fruit, sans doute, de volontés contradictoires, le paradoxe observé est troublant : les jeunes avec un handicap ou en difficulté bénéficient d'une exception en leur faveur, mais, parmi eux, s'en voient privés ceux qui sont justement le plus susceptibles d'exclusion sociale, le plus souvent issus de milieux défavorisés. Une nouvelle fois, les jeunes concernés par un processus d'éducation spécialisée font l'objet d'un régime qui les distingue des autres, alors que, par ailleurs, on souligne la volonté de les inclure dans les dispositifs de droit commun...

Cela ne retire rien à l'excellence des autres dispositions. Mais l'intention du législateur risque d'y perdre quelque peu de son efficience. D'autant plus que les décrets d'application ont tardé à paraître et ont été peu accompagnés de commentaires sur leur sens. Les professionnels se sentent parfois dans le brouillard, ce qui risque de décourager les volontés ou de cautionner les passivités. Un texte aussi prometteur devrait être l'occasion de débats, de concertation, d'efforts partagés pour concrétiser ses avancées. »

Bertrand Dubreuil Singuliers-Pluriel : 6, rue Bertie-Albrecht - 92220 Bagneux - Tél.03 44 39 02 67 - E-mail :singuliers-pluriel@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Bertrand Dubreuil est également l'auteur de Accom-pagner les jeunes handicapés ou en difficulté et de Le travail de directeur en établissement social et médico-social, tous deux aux éditions Dunod. Voir ASH n° 2379 du 29-10-04.

(2)  Voir ASH n° 2384 du 3-12-04.

(3)  Selon le code pénal, la « majorité sexuelle » intervient à 15 ans.

(4)  Voir ASH n° 2353 du 2-04-04.

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