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La réforme du financement encore à mi-chemin

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Nombre de services d'aide à domicile seront en déficit en 2004. Les associations gestionnaires ont commencé à discuter de leur tarification pour 2005 avec leur conseil général, dans le cadre des nouvelles règles issues de la loi du 2 janvier 2002. Cela améliorera-t-il leur situation ?D'autres financeurs sont de la partie...

Ce n'est pas un problème nouveau... En témoigne, par exemple, le « livre blanc » rendu public par l'Union nationale des associations familiales et cinq fédérations d'aide à domicile le 26 mars 1991. Il dénonce les menaces pesant sur l'emploi dans les services d'aide aux familles parce que les financeurs « se refusent à reconnaître les coûts réels d'intervention et se réfèrent à des prix plafonds fixés chaque année [...]. Des prix qui n'ont pas évolué en fonction de la législation du travail. » Quelques mois plus tard, les mêmes reviennent à la charge « au mo-ment où le ministre du Travail annonce le développement d'emplois de proximité ». Ne se croirait-on pas en novembre 2004 ? « Quand je suis arrivé dans le secteur en 1995, la première réunion à laquelle j'ai assisté avec Pierre Gauthier, alors directeur de l'action sociale, visait à "remettre à plat" le financement de l'aide à domicile », se souvient Michel Gaté. Le directeur général de la Fédération nationale d'aide et d'intervention à domicile (FNAID) évoque aussi le rapport Thierry-Hespel consacré aux services d'aide aux personnes et daté de septembre 1998, dont la plupart des analyses pourraient être reprises aujourd'hui. La même année, Martine Aubry accordait des aides d'urgence aux associations en difficulté...

« La précarité a commencé en 1983, dès le premier accord conventionnel », estime Christiane Martel, présidente de l'ASSAD de Saint-Omer (Pas-de-Calais). L'ancienne présidente de l'Union nationale des associations de soins et de services à domicile (Unassad) se souvient aussi des propositions formulées dès 1988 pour sortir de cette précarité. « C'est vrai qu'on se répète », s'excuse son successeur, André Flageul, dont l'association grenobloise se trouve en grande difficulté.

Pourtant, la donne a commencé de changer. La création de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) en 2001 contribue à solvabiliser la demande d'aide au maintien à domicile des personnes âgées. Ce qui s'est traduit par exemple, pour les 1 200 associations du réseau Unassad, par une augmentation moyenne de 20 % de l'activité prestataire et de 4 % de l'activité mandataire entre 2003 et 2004.

Surtout, les associations ont commencé à entrer dans le champ d'application de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - « la 2/2 » - dont elles espèrent beaucoup. Tout en précisant que cela ne les amène encore qu'à la « moitié du chemin ». Quels sont les effets de cette évolution législative ? D'abord, elle identifie l'aide à domicile comme partie intégrante de l'action sociale et médico-sociale. Cette reconnaissance, importante au plan du symbole et des principes, s'accompagne d'exigences pratiques. Car elle est assortie d'un régime d'autorisation plus lourd et plus exigeant que les précédentes règles d'agrément, auquel les services existants ont cinq ans pour se soumettre. Elle formalise des obligations concernant les droits des personnes aidées (livret d'accueil, contrat de prestation, projet de service, enquête de satisfaction...). Elle est aussi liée à un nouveau régime comptable et financier qui tient compte - en principe- de la réalité des charges ainsi engendrées.

Le décret budgétaire du 22 octobre 2003 précise les règles du jeu. Les associations doivent formuler - auprès du conseil général promu autorité tarifaire - des propositions pour cinq groupes de dépenses. Les trois premiers sont liés à la rémunération de chacune des catégories de personnels d'intervention directe : les aides et les employés à domicile ; les auxiliaires de vie sociale et les aides médico-psychologiques ; les techniciens d'intervention sociale et familiale et les auxiliaires de puériculture. Le quatrième se rapporte aux personnes qui coordonnent, encadrent ou apportent leur soutien aux personnels d'intervention. Le cinquième touche aux « frais de structure », ce qui inclut les dépenses de direction, d'administration et de gestion, mais aussi les frais de déplacement. L'ensemble se traduit par la définition de trois tarifs horaires pour les trois catégories de personnels d'intervention, dans lesquels sont compris les coûts d'encadrement et de structure (1).

Pour les associations d'aide, il s'agit là d'un grand progrès. Car ces trois barèmes qui hiérarchisent les interventions et intègrent la totalité des coûts du service vont se substituer au tarif unique attribué jusqu'à présent quels que soient la qualification des intervenants, l'existence ou non d'un encadrement, le respect ou non de règles de qualité... « Tarif unique, tarif inique », répétaient les fédérations, et plus encore depuis la mise en œuvre de l'accord de branche du 29 mars 2002 sur les emplois et les rémunérations (2), qui augmente les salaires - surtout pour les personnels qualifiés - en trois étapes, de 2003 à 2005.

« La tarification, c'est l'occasion de discuter avec le conseil général des objectifs de professionnalisation et des moyens que l'on y accorde », se réjouit Pierre Debons, directeur adjoint de l'Union nationale ADMR. Florence Leduc, directrice générale adjointe de l'Unassad, voit aussi dans la loi 2/2 « une véritable opportunité, un formidable levier » pour parler du contenu et de la qualité des interventions. « Il y a des associations qui, à 15de l'heure, sont trop payées, ajoute Emmanuel Verny, directeur général de l'Unassad . Elles ont un prix de revient inférieur parce qu'elles sont encore administrées par des bénévoles, n'appliquent aucun accord collectif, ignorent la formation et payent encore leurs salariés à l'heure, oubliant que la loi impose la mensualisation des salaires depuis 1978 ! »

Au contraire, l'APAF de Marseille, la première association a avoir obtenu la certification NF « services aux personnes à domicile » (3), est menacée de cessation de paiement à la fin de l'année parce que, explique son directeur, Pierre Béhar, « nous avons la faiblesse d'appliquer la loi et de nous être engagés résolument dans une démarche qualité. J'aurais pu faire des bénéfices en supprimant les temps de coordination, les enquêtes de satisfaction auprès des usagers..., bref, tout ce qu'on nous presse de faire par ailleurs. »

Les dépenses « acceptées » par le conseil général

Le passage à la nouvelle tarification devrait résoudre une part de ces difficultés. En principe du moins, car le décret budgétaire parle toujours des dépenses « dont le président du conseil général accepte la prise en charge »... Or, si l'on en juge par le tarif consenti par les départements jusqu'ici, on peut craindre que les appréciations varient beaucoup d'un chef- lieu à l'autre. D'après une enquête de l'Unassad, réalisée en avril 2004 dans 74 départements, le tarif horaire des associations prestataires s'échelonnait alors de 12,10 € dans la Somme à 17,12 € dans la Nièvre. 35 départements s'en tenaient au taux décidé pour son compte par la caisse nationale d'assurance vieillesse (15,41 €), 24 étaient au-dessus, 15 en dessous (4). Cependant, l'Unassad se veut optimiste et estime que le climat a commencé à changer dans beaucoup de conseils généraux.

La présence de 56 d'entre eux lors du colloque organisé, le 5 octobre, sur le thème du « partenariat » par l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) et l'Unassad en témoigne sans doute. Certaines décisions concrètes aussi. Dans la Marne, par exemple, le conseil général a déjà accordé pour 2004 des tarifs différenciés selon les services d'aide à domicile (il y en a 13 dans le département). « Nous nous sommes mis d'accord au départ sur des règles, explique Françoise de Gouville, directrice de la solidarité départementale. Elles incluaient notamment la transparence sur la totalité des charges et des recettes. Pour chaque service, nous avons fait une moyenne tenant compte des qualifications professionnelles, du nombre d'heures effectuées le dimanche, des frais de déplacement, des coûts de formation, etc. Les tarifs retenus s'échelonnent entre 13,81et 16,70de l'heure. » Dans le Haut-Rhin aussi, le conseil général a fait la différence entre les quatre prestataires : trois associations ont désormais 16 € de l'heure, la plus grande 18,90 €. Des tableaux de bord élaborés en commun vont permettre de suivre l'évolution de la situation. Dans la Gironde également, le département « joue le jeu », estime Paul Laurent, président de l'ASAD (410 salariés), qui a repris la gestion d'une association bordelaise en déconfiture, en proposant à l'administrateur judiciaire un budget fondé sur l'application du décret tarifaire. Le conseil général « a porté son taux horaire 2004 à 17,70 € . Les audits avaient montré que la gestion antérieure était correcte et que la structure ne souffrait que d'un sous-financement », précise-t-il.

Mais pour en arriver là dans d'autres départements, le chemin sera long. Certains conseils généraux continuent de préconiser le service mandataire ou le gré à gré, « beaucoup moins cher », plutôt que le recours à un prestataire... « C'est vrai, mais de moins en moins, assure Emmanuel Verny . Car cela revient à demander à des personnes grabataires ou atteintes d'un Alzheimer d'employer elles-mêmes une aide à domicile qui ne reçoit aucun soutien et qui n'est pas remplacée pendant ses congés... »

Reste que si tous les départements réévaluaient leurs tarifs à hauteur des coûts réels, cela ne résoudrait qu'une partie du problème. Car si les conseils généraux sont devenus le principal pourvoyeur de l'aide à domicile (ils sont prescripteurs pour les personnes âgées en GIR 1 à 4, les personnes handicapées et pour certaines familles dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance), ils ne sont pas les seuls. L'assurance veillesse continue d'être prescriptrice de « l'aide ménagère à domicile » pour les retraités en GIR 5 et 6, les caisses d'allocations familiales pour les familles en difficulté, et l'assurance maladie pour les malades (5). Au total, les financements de la sécurité sociale représentent environ 40 % des recettes pour les associations du réseau Unassad (et sans doute pour celui de l'ADMR) et 55 % pour celles du réseau FNAID. Or les caisses vieillesse, notamment, continuent de s'en tenir à leur tarif unique réévalué annuellement... et insuffisamment. Certaines caisses d'allocations familiales aussi traînent les pieds. « 20 % des associations départementales du réseau FNAID n'ont pas encore récupéré la totalité du coût des 35 heures, assure Michel Gaté. Quant aux augmentations liées à l'accord du 29 mars 2002, elles sont loin d'être intégrées, surtout en 2004. 60 % de nos associations seront en déficit cette année. » Le réseau Adessa fait aussi état de nombreuses difficultés. Quant à l'Unassad, elle craint que 10 % de ses associations adhérentes soient carrément en dépôt de bilan à la fin de l'année. Les caisses de sécurité sociale mènent leur action sociale dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion négociées avec le gouvernement. Les budgets alloués pour la période 2001-2004 n'ont pas été revalorisés à mesure des évolutions législatives ou des accords collectifs, même agréés par l'Etat. Qu'en sera-t-il pour les conventions en cours de discussion pour les années 2005-2008 ?

Y a-t-il, en attendant les éventuelles revalorisations de tarifs des caisses, d'autres solutions pour les associations gestionnaires ? Peuvent-elles se retourner vers les usagers ? « Dans l'aide aux familles, la CNAF impose un ticket modérateur modulé selon les revenus, rappelle Michel Gaté. Or c'est un motif de déficit supplémentaire, car beaucoup de familles ne peuvent pas le payer. » La caisse vieillesse impose aussi un barème de participation au titre de l'aide ménagère (qui vient en déduction de sa propre intervention), et interdit de facturer plus cher à l'usager. Dans le département du Doubs, cinq services d'aide à domicile ont décidé de passer outre, « pour ne pas mettre la clé sous la porte ». Trois associations membres de l'Unassad, la Fédération départementale ADMR et le CCAS de Besançon ont demandé, à partir de juillet 2003, une participation supplémentaire de un euro de l'heure aux bénéficiaires. La caisse régionale d'assurance maladie (par qui passent les règlements de la caisse vieillesse) les a menacés de déconventionnement et a porté l'affaire devant le tribunal de grande instance. Entre-temps, le conseil général est venu au secours des prestataires et a voté, en septembre, des subventions exceptionnelles qui ont permis d'arrêter la facturation à l'usager.

C'est apparemment la solution que préconise l'Etat puisque, selon Jean-François Bauduret, conseiller technique à la direction générale de l'action sociale et l'un des « pères » de la loi 2/2, « la participation des caisses doit être considérée comme une recette en atténuation du tarif du conseil général », lequel est donc supposé la compléter. Encore un transfert de charges !, protestent les départements. La douche est froide aussi pour les fédérations d'aide à domicile qui espéraient que les décisions de l'autorité de tarification, c'est-à-dire du conseil général, seraient opposables à tous les financeurs. C'est d'ailleurs ce que continuent de revendiquer l'Adessa, l'Unccas et l'Unassad notamment. Les caisses refusent cette hypothèse, afin de garder la maîtrise de leur politique sociale et d'une action qui reste pour elles « facultative ». Pour en sortir, « il faudra bien qu'il y ait débat entre tous les financeurs afin de trouver une règle du jeu », préconise Pierre Debons.

Mais même à supposer que tous s'accordent pour fixer des tarifs horaires correspondants aux coûts réels des associations (bien gérées), il faudrait encore que les uns et les autres acceptent de ne pas raisonner à enveloppes fermées. Ce qui est souvent le cas, et qui explique les difficultés de maintes associations. « Nous avons les TISF qualifiées, mais les prescripteurs ont accordé moins d'heures cette année », constate Pierre Béhar à Marseille. La tentation est la même dans le cadre de l'APA : certains conseils généraux ont augmenté les tarifs horaires mais pas les plans d'aide aux personnes âgées dépendantes (pourtant inférieurs en moyenne de 35 %au plafond). Ce qui se traduit par une diminution du nombre d'heures attribuées. « Nous avons réalisé une réforme de la tarification, reconnaît Jean-François Bauduret, mais pas une véritable réforme du financement. »

C'est toute la place de l'aide à domicile qui doit être réexaminée, et les moyens que la société accepte d'y consacrer, insistent les intervenants, lassés du « regard méprisant » toujours porté sur eux, selon le mot de Christiane Martel. L'un des derniers exemples en date : les fédérations d'aide à domicile ont été convoquées à la grande concertation qui a suivi la catastrophe de la canicule de l'été 2003. Et l'aide à domicile (hors soins) a été complètement oubliée dans le plan « solidarités pour les personnes dépendantes » qui en a résulté (6). Le souhait de Jean-Louis Borloo de développer les services à la personne modifiera-t-il la donne ?

« La loi 2/2 a aussi pour effet d'obliger à intégrer l'aide au maintien à domicile dans les schémas départementaux pour les personnes âgées et les personnes handicapées », rappelle Jean-François Bauduret. La question n'a rien de marginal, car 90 % des personnes âgées vivent à domicile et c'est aussi le souhait de bien des personnes handicapées. Ce qui incite André Flageul à demander « des états généraux du financement de l'aide à domicile début 2005 ». Marie-Jo Maerel

TARIFER AVANT D'AUTORISER : « ILLÉGAL MAIS PAS INTERDIT »

En principe, l'autorisation d'un service d'aide à domicile - délivrée par le président du conseil général et par le préfet - est un préalable à l'entrée dans la nouvelle tarification. Or beaucoup de services, mais aussi bien des départements, n'ont pas encore les moyens humains pour s'engager dans la procédure. La question lui ayant été posée de manière insistante, la direction générale de l'action sociale (DGAS) a décidé de tolérer un calendrier différent pour les associations déjà agréées. Mais sans aller jusqu'à l'écrire dans un texte réglementaire. A titre transitoire, tarifer avant d'autoriser est « illégal mais pas interdit », résume Jean-François Bauduret, conseiller technique à la DGAS. C'est ce que beaucoup de départements font en cette fin d'année.

L'EXCEPTION DE L'AIDE AUX FAMILLES

Paradoxalement, seule l'aide aux familles n'a pas été intégrée dans le périmètre de la loi 2/2. Alors que la plupart des interventions, qu'elles soient diligentées par les caisses d'allocations familiales ou par l'aide sociale à l'enfance, relèvent évidemment de l'action sociale. L'Unccas, l'Unassad, Adessa demandent qu'elles rentrent dans le champ. « Nous n'avons rien contre cette idée par principe, mais il ne peut s'agir d'une intégration simpliste, répond Michel Gaté, directeur général de la FNAID. D'abord, parce que nos modes d'intervention sont spécifiques, qu'ils incluent des actions collectives, et que cela est reconnu dans nos modes de tarification. Les conseils généraux accordent des financements au poste ou par dotation globale. La CNAF décide de taux horaires mais aussi de financements à la fonction ou au projet. Nous y tenons, il ne s'agit pas de tout ramener à un tarif horaire ! Nous pensons aussi que l'action auprès des familles doit rester de la compétence générale de la sécurité sociale. La politique familiale en France ne peut être émiettée entre les conseils généraux, elle est du ressort de la nation. Donc si nous entrons dans la loi 2/2, nous voulons que ce soit par la grande porte, avec la reconnaissance de toutes nos spécificités. »

Notes

(1)  Le recours à une dotation globale de fonctionnement est également possible à titre dérogatoire.

(2)  Voir ASH n° 2296 du 31-01-03. Le ministère est revenu sur l'extension de cet accord, ce qui fait que seules les associations adhérentes des six fédérations d'employeurs signataires sont tenues de l'appliquer.

(3)  Voir ASH n° 2337 du 12-12-03.

(4)  Le tarif de la CNAV est passé à 15,99 € en juillet 2004.

(5)  Des caisses de retraite complémentaire, des mutuelles et des institutions de prévoyance financent aussi l'aide à domicile, mais à la marge.

(6)  Voir ASH n° 2333 du 14-11-03.

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