« Tout un chacun s'accorde à dire que les assistantes maternelles sont devenues des professionnelles à part entière. Ipso facto, elles appartiendraient à la catégorie des travailleurs sociaux. Or, entre cette déclaration de reconnaissance et une véritable accréditation par leurs pairs du corps social subsiste un fossé profond.
En effet, aussitôt cette allégation prononcée du bout des lèvres, suit un train de "mais ", révélateurs des réticences de son auteur à partager un label d'appartenance contrôlée, ou de sa difficulté à abandonner des miettes de son pouvoir...
Ainsi, dans certains services d'accueil familial (pas tous) publics ou associatifs, pour les équipes pluridisciplinaires, les assistantes maternelles sont des professionnelles mais ne peuvent pas être considérées comme des collègues. Elles travaillent en collaboration avec une équipe, mais n'en sont pas membres.
Les travailleurs sociaux n'ont-ils pas une mission de contrôle vis-à-vis des assistantes maternelles ?Nonobstant leur formation, l'absence de diplôme et leur implication au quotidien auprès de l'enfant ne leur permettent pas de prendre de la distance. Seuls les "aristocrates" diplômés du champ social sont capables de prendre ce recul nécessaire à la réflexion. Elles peuvent participer aux révisions de situations ou à des points de concertation, mais pas aux synthèses. Seule "l'élite" du travail social peut partager toutes les informations relatives à la situations d'un mineur confié... Que sais-je encore ? Les arguties ne manquent pas, à tous les niveaux de responsabilité, pour entretenir cette ségrégation. L'humanité n'est pas à court d'arguments pour alimenter la légitimité du rapport de dominants à dominés.
Pour en finir avec cette ségrégation, ce corporatisme exacerbé, ou à tout le moins pour participer à son éradication, j'affirme que les assistantes maternelles :
sont des professionnelles à part entière ;
relèvent du secteur catégoriel des travailleurs sociaux ;
sont membres des équipes des services d'accueil familial publics ou privés qui les emploient ;
peuvent participer à tous les temps d'échange relatifs à la situation des jeunes qu'elles accueillent ;
peuvent, au même titre que tous les autres acteurs du champ social, écrire des notes et des rapports.
La différence essentielle avec tous les autres professionnels du secteur social réside dans le fait qu'elles travaillent à domicile et 24 heures sur 24. Est-ce parce qu'elles en font plus qu'elles doivent en dire moins ?Serait-il aliénant de s'occuper d'enfants, au point d'entraîner une incapacité permanente à réfléchir, à élaborer et à prendre de la distance ? Cet état d'activité quasi continue nécessiterait-il un contrôle renforcé ? Sommes-nous encore à l'époque où les inspecteurs des directions des affaires sanitaires et sociales étaient chargés de tournées d'inspection, et où, du fait de leur peu d'appétence pour les cours de fermes, ils déléguaient la visite des familles nourricières à une assistante sociale ou à tout autre agent ?
Soyons réalistes, cette mentalité est d'une autre époque.
La nécessité du contrôle demeure, elle est de la seule compétence de l'autorité déconcentrée de l'Etat et de celle du président du conseil général et de ses délégataires. Dans l'équipe d'un service (maison d'enfants à caractère social, service d'action éducative en milieu ouvert, etc.), existe-t-il une hiérarchie entre collègues ?
Dans toute institution, on trouve différents niveaux de responsabilité nécessaires à son bon fonctionnement et à la préservation de l'intérêt de ses usagers. Aussi, il appartient aux seules équipes de direction, en dernier ressort au chef de service ou au directeur, de s'assurer que nul ne s'éloigne du cadre de sa mission. En revanche, chacun est responsable devant la loi de la non-dénonciation des crimes à l'encontre des personnes et notamment à l'égard des mineurs, (articles 434-1 et suivants du code pénal et article L.313-24 du code de l'action sociale et des familles [CASF]). Ce devoir civique ne relève d'aucune hiérarchisation.
Les assistantes maternelles, par nature, seraient-elles plus sujettes que tout autre professionnel du secteur social à déviance ou à faute ? Personne n'est infaillible. Cependant, il est plus confortable de penser qu'une fonction vous confère d'autant plus d'infaillibilité, d'immunité, voire d'impunité, que vous vous élevez dans la hiérarchie socioprofessionnelle. Il est plus facile de dénoncer les défaillances de ses subordonnés (surtout quand elles ne mettent pas en cause votre propre responsabilité) que celles de ses pairs. Quant à celles de ses supérieurs, n'en parlons pas...
Cette perception n'est pas infondée. Rien que dans notre secteur d'activité, chaque année, en France, plusieurs assistantes maternelles sont licenciées pour faute professionnelle ou insuffisance caractérisée. En revanche, combien sont-ils parmi les cadres et les non-cadres du secteur social public ou privé à être licenciés ou révoqués pour ces mêmes raisons ? Et pourtant, la responsabilité de certains est souvent gravement engagée dans des atteintes aux personnes, directes ou par manquements à leurs obligations. Qui n'a pas connaissance, dans son environnement professionnel, de mutations silencieuses, de fermetures de service inopinées, ou tout simplement de l'absence de toute procédure de recherche de responsabilité ?
Je sais que mes propos heurteront, dérangeront, mais ils sont faits pour ça. Il faut en finir avec cette relégation des assistantes maternelles dans une catégorie d'acteurs du social de seconde zone. Ces femmes, et ces hommes aussi (de plus en plus nombreux), qui consacrent leur force de travail à l'accueil d'enfants à domicile, qui donnent sans compter leur affection, méritent mieux que ce peu de considération.
Certes, il y a 10,15 ou 20 ans, en fonction des départements, les agents chargés de l'accompagnement des placements familiaux n'avaient pas d'autres moyens d'intervention que d'exercer un contrôle. Comment peut-on intégrer à un travail d'équipe 50 ou 60 assistantes maternelles quand on est seul à les accompagner ? Effectivement, tout huis clos est dangereux, que ce soit pour une famille d'accueil ou une institution, il est le creuset de prédilection de toutes les dérives.
Or, aujourd'hui, il n'est plus question que les assistantes maternelles soient livrées à elles-mêmes sans un véritable accompagnement. La loi fait obligation aux départements de se doter d'une équipe en conséquence. Selon l'article L. 422-5 du CASF, "le département assure par une équipe de professionnels qualifiés dans les domaines social, éducatif, psychologique et médical l'accompagnement professionnel des assistants maternels qu'il emploie et l'évaluation des situations d'accueil ".
A noter que cette obligation légale peut être respectée dans un département, quel que soit le nombre de mineurs accueillis en famille d'accueil, dès qu'il se dote d'une équipe composée d'un assistant de service social, d'un éducateur, d'un psychologue et d'un médecin. C'est là le hiatus de la décentralisation, il y a obligation de mission et non de moyens.
Mais arrêtons de pleurer misère et de renvoyer inlassablement la faute aux politiques locaux. Certes, ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse départementale. Mais qui accepte de travailler dans le dénuement, de bricoler avec des bouts de ficelle et, parfois, refuse aussi de nécessaires redéploiements ?
Aujourd'hui, lorsque nous avons les moyens en matière d'accueil familial, nous pouvons mettre en œuvre de véritables dynamiques de travail d'équipe intégrant les assistantes maternelles en tant que membres effectifs de ces entités. Un réel travail d'équipe comporte une auto-régulation, si ce n'est un auto-contrôle. Mais il faut que les uns et les autres soient disponibles. En effet, lorsqu'une assistante maternelle accueille trois enfants, voire plus, qu'elle est employée par deux ou trois personnes morales, comment peut-elle s'inscrire dans une telle synergie ? Lorsqu'un travailleur social est chargé de l'accompagnement de 20 situations et plus, dispersées sur un ou plusieurs départements, peut-il garantir aux jeunes confiés et aux assistantes maternelles qui les accueillent un continuum d'intervention ? Lorsqu'un psychologue intervient à raison de 13 heures par semaine pour un effectif de 70 jeunes confiés à 40 assistantes maternelles, que peut-il faire ?
Arrêtons d'accepter ces états de faits.
Je renvoie tout un chacun aux bénéfices secondaires qu'il tire de cette acceptation et de l'inaction qui en découle.
Au fait, en matière d'auto-régulation, qu'attendons-nous pour nous inscrire dans une véritable démarche de construction de projet et d'évaluation participative, intégrant les usagers comme le prévoit la loi du 2 janvier 2002 ? »
Patrice Pierre Directeur d'un service d'accueil familial : Tél. 06 88 82 88 01 E-mail :