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Le référent dans l'éducation spécialisée : un rôle à clarifier

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Nombreux sont les risques induits par la fonction de « référent » qu'occupe, dans l'éducation spécialisée, le professionnel garant de la mise en place du projet d'accompagnement personnalisé d'un usager. Pour trouver « la bonne distance », le soutien de l'équipe et de l'institution lui est indispensable, rappellent Sylviane Agostino-Sollier et Laurent Gavelle, chacun responsable d'un foyer d'hébergement pour personnes handicapées mentales dans une association parisienne.

« Pour accompagner vers l'autonomie et/ou vers un mieux-être les personnes bénéficiaires d'une intervention sociale, il est d'usage de désigner un ou des référents. Ce rôle n'est pas sans ambiguïté, du fait, notamment, de la difficulté à se situer entre le "trop" et le "pas assez ".D'emblée, il s'avère nécessaire de clarifier les notions de référence et de référent tant elles n'apparaissent pas à l'abri des rapports de force et renvoient constamment à la toute-puissance d'une relation exclusive.

L'institution, en tant qu'organisation, fait référence puisqu'elle est chargée de réguler et d'harmoniser l'action au moyen du projet d'établissement ou de service et de son émanation, le projet individualisé. Elle organise un cadre avec ses règles et des systèmes de coordination et de décision. Au sein d'une institution, un professionnel est plus particulièrement désigné, voire "nommé ", pour accompagner la personne dans le souci de faire aboutir un projet. C'est par une relation duelle et personnalisée que le rôle du référent se définit, mais de manière non exhaustive car celui-ci peut s'investir de multiples façons selon le temps partagé avec l'usager et la nature même de l'accompagnement. Le référent est l'interlocuteur privilégié de l'usager et de sa famille et parfois des partenaires extérieurs. Il est garant de la mise en place du projet d'accompagnement personnalisé de l'usager ainsi que du contrat de séjour, le cadre de direction étant, lui, garant de la cohérence, de la mise en œuvre et de l'évaluation du travail entrepris auprès de l'usager. Mais être garant n'implique pas pour autant réussite et travail individualiste. Etre garant, c'est veiller à ce que référent et équipe accompagnent la personne dans ses projets, ses désirs et selon ses capacités. La notion d'accompagnement est donc déterminante dans la référence éducative afin que l'équipe soit également garante de la prise en charge de l'usager dans toute sa dimension humaine. L'équipe sert de garde-fou pour éviter tout dérapage nuisible à l'équilibre de l'usager dans la relation référent-référé.

Aider l'usager à se repérer dans un labyrinthe institutionnel doit s'accompagner de plusieurs interrogations après identification des besoins, demandes, désirs manifestes ou latents des destinataires : comment (re) mobiliser pour donner envie de s'investir comme sujet agissant ? Comment mettre les forces en synergie et faire en sorte que l'éclairage de l'un permette de requestionner les limites dans lesquelles l'autre se trouve ? Selon notre point de vue, travail de référence et travail d'équipe sont indissociables. C'est pourquoi nous parlerons de référence globale, de référence d'équipe. Afin de rassurer chacun dans son travail de référence, il faut souligner qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais référent ou référé. Tout comme il n'y a pas de bonne ou de mauvaise équipe. Il y a avant tout une équipe qui se construit autour d'une pratique professionnelle qui doit correspondre aux besoins du public accueilli. En revanche, une équipe se doit d'évoluer ensemble par rapport à l'évolution ou la régression des usagers. Elle est composée de professionnels qui ne se sont pas choisis mais qui ont été choisis pour travailler ensemble autour d'un objectif commun : la prise en compte d'un public spécifique. On peut donc concevoir qu'il n'est pas forcément aisé de travailler ensemble car chacun arrive avec son histoire, son vécu, ses valeurs, sa conception des choses et son expérience professionnelle, forcément uniques. Quoi qu'il en soit, chaque professionnel de l'équipe doit garder à l'esprit qu'il fait partie d'une entité et qu'il ne peut travailler seul "à sa façon ". Chaque professionnel est rattaché à l'équipe, laquelle dépend de l'institution, elle-même représentée par le directeur. A l'inverse, on pourrait également dire que le directeur représente l'institution, laquelle institution est constituée d'une équipe composée de différents individus rassemblés autour d'une déontologie commune donnant du sens à l'action avec les résidents. Il s'agit donc d'établir des règles communes, un langage commun, une direction à prendre qui doit recueillir une adhésion d'équipe afin de construire une réelle cohésion de travail et donc une réelle cohésion d'équipe.

Le travail de référence s'établit autour de la relation à l'autre et c'est à partir de la parole de l'usager que va se construire une ébauche de projet possible, de dialogue, de confiance avec son référé. Le référent "joue" sur différents registres : suppléant parental, porteur du projet personnalisé élaboré collectivement pour et avec l'usager en lien avec l'équipe pluridisciplinaire, support identificatoire, médiateur obligé, porte-parole ou interlocuteur privilégié des familles et des partenaires. Il donne à l'usager des points de repère par rapport au nombre d'intervenants qui l'entourent et les vertus du rôle tiennent à la cohérence, la cohésion et la coordination que le référent peut apporter à l'action institutionnelle. Le référent est un rassembleur d'information et un transmetteur à l'équipe pluridisciplinaire. L'usager s'en remet à une personne-relais ou ressources qui garde la mémoire du quotidien. Le référent, maître d'œuvre du projet personnalisé, doit être conscient de son rôle dans l'équilibre psycho-affectif de l'usager et du principe fondamental de l'action partagée. Etre référent ne signifie pas être pleinement responsable de l'usager. Cette responsabilité doit être partagée afin de pouvoir canaliser les situations affectives, de culpabilité et de toute-puissance.

Gare au surinvestissement

Il est nécessaire d'insister davantage sur les risques induits par la fonction. Il s'agit pour le référent de ne pas entrer dans une relation trop personnalisée et donc illusoire tant pour l'usager que pour lui-même. N'oublions pas que le référent a un "chez-lui" et que la rupture des rythmes de travail, salvatrice pour lui, signifie séparation d'avec l'usager. Les dérives sont connues mais il n'est pas inutile de (se) les rappeler tant le surinvestissement guette le professionnel animé de projections fantasmatiques du fait de la dépendance affective, physique, psychique ou sociale des usagers pouvant annihiler leurs espaces de liberté et de choix. Il ne s'agit donc pas de s'approprier l'usager de façon abusive et de pratiquer la rétention d'information. Cette position de la part du professionnel est susceptible d'engendrer des conflits au sein de l'équipe pluridisciplinaire. Le référent risque de se retrouver accaparé par les problèmes de l'usager, l'enfermant de fait dans une relation fusionnelle et confusionnelle. Une autre dérive à éviter serait que le référent agisse comme pour lui et façonne en fonction de ses propres désirs la vie de l'usager, sacrifiant ainsi la position de sujet de ce dernier. Enfin, le référent, mais pas seulement lui, doit être vigilant à propos de ce qu'il projette de sa propre enfance, de ses relations familiales et de sa vie affective sur celui qu'il accompagne, mais aussi de l'histoire et de la culture singulière de l'institution.

Etre ensemble suppose être là et ailleurs en même temps, présence discrète et absence attentive, engagement et détachement. La bonne distance consiste à ouvrir l'espace de la parole afin de permettre l'échange, l'interpellation, le dialogue et de donner de soi-même. Mais il s'agit de savoir ce que l'on donne, comment on le donne et pourquoi. Une trop forte relation peut s'avérer rédhibitoire. C'est donc ici qu'intervient le travail de référence globale d'équipe, celle-ci servant de barrière à la projection que l'on peut faire sur l'autre. En fonction de quels critères une institution peut-elle nommer un professionnel "référent de ", en cas de nouvelle admission, d'une référence trop longue qui entraîne une stigmatisation dans le suivi de l'usager, de l'enfermement réciproque (référent/référé) aboutissant à un manque d'objectivité, d'un travail individualiste, d'une pathologie trop lourde nécessitant un relais afin d'éviter l'épuisement de l'éducateur référent qui peut alors se trouver en difficulté... ? L'attribution d'une référence doit impérativement prendre en compte la personnalité du professionnel et de l'usager. La multiplicité de références permet de ne pas glisser, voire sombrer, dans les écueils identificatoires. Tout dépend du choix institutionnel, mais nous pouvons dire que chaque intervenant est référent à partir du moment où il se trouve avec un ou des usagers, dans une lecture transversale des différents champs professionnels, articulant les multiples disciplines spécifiques afin de les utiliser de manière complémentaire. Le référent doit pouvoir expliquer ses orientations et son action tout en acceptant que l'usager le tienne à distance de son intimité pour (re) construire son espace. Le contrat considéré comme un apprentissage du compromis délimite des espaces d'échange dont le support reste la bien-veillance et la bienveillance. Outre la nécessité absolue d'un travail d'équipe, l'obligation d'un travail de supervision va permettre de recréer un espace entre soi et les affects suscités par l'autre.

En définitive, le rôle de référent est de révéler à l'autre ce qu'il est en dosant l'affectivité qui l'engage et en trouvant un équilibre entre le "don de soi" et la "compétence ". A cet égard, toute faiblesse, toute incohérence risque de fragiliser l'action institutionnelle en faveur des libertés et droits fondamentaux des personnes et constituer une atteinte à leur développement. On l'aura compris, la position de référent ne va pas de soi mais reste un sujet de polémique et de désaccords. »

Sylviane Agostino-Sollier et Laurent Gavelle Chacun responsable d'un foyer d'hébergement pour personnes handicapées mentales dans une association parisienne. Contacts respectifs :sylviane.agostino@wanadoo.fr - Tél.01 45 79 18 33 ;laurentgavelle@worldonline.fr - Tél.01 46 48 85 85.

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