Vivre à domicile, pour une personne âgée dépendante, ne signifie pas uniquement être soignée chez elle. Vivre, c'est aussi sortir, avoir une activité physique, faire des rencontres, partager des émotions... C'est ainsi que l'association Vie à domicile organise, depuis cinq ans à raison de deux ou trois rendez-vous par mois, des animations régulières pour les usagers de son service de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Un rôle social qui va donc a priori au-delà de son objet mais qui est devenu complémentaire de l'action quotidienne et indispensable pour les soignés comme pour les soignants.
Retracer la genèse de ce dispositif et cerner sa continuité avec les soins nécessitent un petit arrêt sur la personne de Gérard Chevalier, le créateur et pilote du projet. Embauché en 1982 au sein de l'association naissante, il œuvre en tant qu'aide-soignant. Un travail de réflexion sur cette fonction ainsi que sur l'organisation bénévole et ponctuelle d'activités lui laissent alors entrevoir que l'animation pourrait prolonger les soins... Mais leur non-prise en charge sur le temps de travail et l'usure professionnelle font que les quelques actions mises en place disparaissent rapidement des pratiques. Pourtant, l'idée restera dans l'esprit de ce soignant qui ressent profondément le besoin d'acquérir d'autres moyens d'action pour faire face à la dépendance grandissante et à l'isolement dont souffrent les personnes âgées à leur domicile. Il prend alors connaissance du brevet d'Etat d'animateur technicien d'éducation populaire (Beatep) - option personnes âgées - et reprend, à 41 ans, le chemin des études via un congé individuel de formation. Il se familiarise avec le montage de projets et la diversité des animations. Puis il bâtit, pour son stage pratique d'une durée de quatre mois à mi-temps, un projet intitulé « L'animation : un maillon de la chaîne du soutien à domicile » et choisit pour lieu « son » SSIAD, au sein de l'association Vie à domicile.
La finalité de son projet ? « Entretenir et soutenir une activité chez la personne âgée dépendante afin de favoriser la vie à son domicile », écrit-il dès les premières pages de son épais rapport. Son stage consistera aussi à trouver des financements. « J'ai pu obtenir des subventions auprès de la DDASS, de la CRAM, de la ville d'Angers et de la Fondation de France, qui nous a accordé un prix. L'ARCCO nous a également beaucoup soutenus et nous avons reçu en 1999 le label "Année internationale des personnes âgées" (1) », détaille celui qui était, il y a peu encore, en formation. Cet argent vient donner une dimension supplémentaire à son projet en permettant dès 1999 la création d'un poste à temps partiel consacré à l'animation. Tout naturellement, c'est lui qui en profite et retrouve le chemin de l'association, à 60% aide-soignant et à 40 % animateur.
Cinq ans plus tard, Gérard Chevalier porte toujours ces deux casquettes avec pour credo « il ne suffit pas de soigner, il faut apporter autre chose ». Mais attention, « nous ne sommes pas seulement sur du loisir, tient à préciser le directeur de Vie à domicile, Pascal Rutten. Nos animations ont aussi vocation à être des actions de rééducation. Elles constituent un accompagnement spécifique, notamment pour les personnes désorientées. » Aux côtés des classiques après-midi jeux de société, promenade, visite de musée et des déjeuners au restaurant ou sur l'herbe, l'association a mis en place des animations en partenariat avec d'autres structures. Maison de retraite, foyer-logement ou d'hébergement temporaire, tous participent à une sortie ou accueillent dans leurs murs, le temps d'un après-midi, les personnes âgées du service pour partager une activité. « Cela leur permet de découvrir ces établissements, qu'elles méconnaissent pour la plupart, et nous aide à dédramatiser une éventuelle entrée en institution lorsque le maintien à domicile n'est plus possible », insiste l'aide-soignant. D'autres animations s'inscrivent particulièrement dans la durée et concernent un petit groupe identifié qui, tous les mois, se retrouve. C'est le cas pour l'atelier « entretien du mouvement » ou pour celui baptisé atelier « thérapeutique de médiation ». Ce dernier s'adresse plus spécifiquement à un public présentant des troubles de type Alzheimer. Les participants viennent y utiliser leur potentiel physique et psychique à travers des activités motrices et intellectuelles adaptées (atelier mémoire, gymnastique douce). Enfin, le SSIAD organise régulièrement des séances d'information, autour de sujets tels que la prise en charge financière de la dépendance, le matériel d'incontinence ou l'accès aux vacances, pour les personnes âgées dépendantes mais aussi pour les aidants (conjoint ou parent) et le personnel. Si l'éventail des animations est large, l'objectif demeure le même quelle qu'en soit la forme : « proposer aux personnes de sortir de chez elles. Car il s'agit bien là du point clé du projet », rappelle Gérard Chevalier.
Au siège de Vie à domicile, les murs de la salle de réunion affichent de nombreux sourires de gens âgés, saisis à l'occasion d'animations. Ces sourires se retrouvent aussi dans les couloirs. Il s'agit de ceux des personnels, que l'on y croise entre deux interventions à domicile ou entre deux réunions de travail. Selon Philippe Michel, infirmier et adjoint de coordination du SSIAD, « l'équipe a changé depuis la création de ce pôle animation ». Gérard Chevalier reconnaît bien volontiers que sans cette équipe, rien n'aurait été possible. Organiser, animer et réussir un après-midi à l'extérieur du domicile des usagers du SSIAD implique de les véhiculer de leur résidence jusqu'au lieu de réunion mais aussi de les encadrer - médicalement parlant - puisqu'il s'agit d'hommes et de femmes dépendants, en fauteuil motorisé ou non, rencontrant des problèmes d'incontinence, des difficultés à s'alimenter, etc. En conséquence, cet accompagnement se doit d'être assuré par des soignants. Et ces derniers ont répondu présents à tous les niveaux.
Il y a celles et ceux qui se portent volontaires pour venir à une animation en dehors de leur temps de travail. Par là même, ils se font aussi un peu bénévoles puisqu'ils récupèrent trois heures sur les quatre à cinq heures que dure l'animation et/ou le transport des participants en minibus. Sur la trentaine de professionnels que compte l'équipe, une vingtaine d'entre eux sont régulièrement volontaires-bénévoles, sachant que Gérard Chevalier dispose d'un total de 30 heures par mois pour la récupération de ses collègues. Malgré cette contrainte, il affirme ne pas rencontrer de difficultés particulières. Ses collègues se montrent largement partants, parfois même trop largement au point qu'il se voit contraint d'éliminer des « candidatures ». Enfin, il y a l'équipe au complet qui fait preuve d'une réelle bonne volonté lorsqu'il s'agit de remanier l'organisation des tournées de soins à domicile parce que monsieur Untel, participant à l'animation du jour, ne sera de retour à son domicile que vers 18 h 30. « Est née une vraie solidarité qui a changé la vie d'équipe », se félicite l'initiateur. Mais au fond pourquoi un tel engouement ?
A entendre ces aides-soignants et infirmiers, intervenir dans un autre cadre que celui du domicile et dans un autre contexte que celui des soins permet une véritable rencontre. La relation soignant/soigné disparaît au profit d'un rapport plus égalitaire. Ces animations créent de l'amitié entre les personnes âgées, entre elles et les professionnels, mais aussi entre les professionnels eux-mêmes. « Comme nous travaillons seuls, elles nous permettent de mieux nous connaître entre collègues », affirme Alexandra Miot, une des aides-soignantes. L'équipe s'étoffant régulièrement, il n'est pas rare d'avoir à intervenir chez des personnes inconnues, ce qui n'est jamais facile. « Mais si nous avons eu l'occasion de les côtoyer, ne serait-ce qu'un après-midi, cela fait toute la différence, poursuit la jeune femme. Une barrière est tombée. Nous avons naturellement un sujet de conversation et les soins s'en trouvent facilités. » L'animation fait aussi changer les regards. Les personnes âgées se voient autrement. Au sein du groupe, elles relativisent leur handicap, trouvant généralement les autres bien plus dépendantes! Les professionnels aussi changent. « Ils ont un regard plus positif sur les personnes suivies. Le soin est appréhendé d'une façon plus large et plus globale, explique Philippe Michel, allant au-delà de la notion d'hygiène et de la prescription médicale. » L'usure professionnelle s'en trouve largement enrayée. Certains soignants ont découvert leurs capacités à animer, à conduire un minibus ou à s'investir dans une démarche différente. « Participer à ces actions et donner me fait un bien fou, témoigne Alexandra Miot. Nous sommes dans une autre dimension qui prend des formes amicales. » « Et sociales », ajoute l'adjoint de coordination. Le tout pour favoriser un mieux-vivre à domicile des personnes âgées dépendantes.
Bien que ce projet soit une incontestable réussite, il n'en demeure pas moins fragile. La course au financement a lieu toute l'année en vue d'alimenter les caisses du pôle animation. Seule la ville d'Angers a automatisé son aide. Les fondations (2), caisses de retraite, groupes d'assurance... sont à « courtiser » et à relancer régulièrement. « Le problème vient du fait qu'elles aident essentiellement au démarrage et à l'investissement, fait remarquer Pascal Rutten. Or nous avons besoin de subventions de fonctionnement ! » Les cotisations et quelques dons reçus par l'association viennent compléter ces ressources. Une participation est également demandée aux personnes âgées afin de couvrir les frais de transport, d'activité (visite, musée) et de repas. Elle oscille entre 7 € et 15 €. Pour exemple, en 2004, les charges d'animation se sont élevées à 22 000 € mais les subventions à seulement 12 500 €... Si ce travail d'animation a été rendu possible grâce à une culture associative et à une mobilisation générale forte, il apparaît clairement qu'il ne peut perdurer que par la reconnaissance de ce qui y est fait et par un financement pérenne. « Plus nous le ferons connaître et plus nous serons nombreux à le faire, moins la question du financement posera problème », calcule Gérard Chevalier. Mais à la question « connaissez-vous d'autres structures qui comme la vôtre proposent des activités d'animation régulières pour personnes âgées dépendantes vivant à domicile ? », leur réponse est « non ».
Aliona Darzon
Depuis quelques années, plusieurs rapports et études (3) font apparaître l'importance du lien social dans l'accompagnement des personnes âgées. Si l'animation tend à se généraliser dans les institutions, il n'en va pas de même dans le champ de l'aide à domicile où il faut encore la légitimer et la professionnaliser, comme s'y emploie l'association Vie à domicile. Depuis le cursus de son aide-soignant, Gérard Chevalier, une autre de ses salariées est partie en formation au brevet d'Etat d'animateur technicien d'éducation populaire (Beatep). « Dans le cadre du plan de formation de notre association, ajoute Pascal Rutten, le directeur, quatre autres professionnels se sont formés à des techniques plus spécifiques : gymnastique douce adaptée, accompagnement des personnes désorientées, ateliers mémoire. » Deux d'entre elles ont d'ailleurs suivi les techniques de validation selon Naomi Feil pour l'accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie psychique (4).
(1) Ce label permet de disposer du logo de l'Année internationale des personnes âgées et d'être intégré dans les démarches de communication menées au plan national.
(2) Fondation de France, Fondation AVIVA, Fondation Médéric-Alzheimer.
(3) Dont le rapport Hervy, Propositions pour le développement de la vie sociale des personnes âgées, remis en novembre 2003 - Voir ASH n° 2335 du 28-11-03.
(4) Voir ASH n° 2331 du 31-10-03.