Pour une personne qui est à même d'organiser sa vie dans des temps et des espaces différenciés - ceux de la scolarité ou du travail, des loisirs, de la vie sociale et de la vie familiale -, la notion d'accueil temporaire n'a pas grand sens, explique Jean-Jacques Olivin, président du Groupe de recherche et réseau pour l'accueil temporaire des personnes handicapées (GRATH). L'itinéraire des personnes handicapées, en revanche, se résume souvent à une alternative entre le tout-domicile et le tout-institution. Aussi le GRATH milite-t-il, depuis plusieurs années, afin d'introduire dans l'ensemble des dispositifs d'accueil et de suivi la souplesse nécessaire à une diversification des parcours de vie.
Longtemps isolés, les pionniers de l'accueil temporaire -parfois depuis deux décennies sous statut expérimental - sont désormais sortis de leur « errance institutionnelle » : la formule s'est vu doter d'une base légale par la loi du 2 janvier 2002, dont un décret du 17 mars 2004 constitue la traduction concrète (1). Ce texte, qui étend aux personnes âgées un dispositif initialement prévu pour les seules « personnes handicapées de tous âges » (voir encadré ci-contre), définit l'accueil temporaire comme « un accueil organisé pour une durée limitée, le cas échéant sur un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, y compris en accueil de jour ». Pouvant être organisée en complément des prises en charge habituelles en établissements et services sanitaires, sociaux ou médico-sociaux, cette formule vise à développer ou maintenir les acquis et l'autonomie de la personne accueillie, et à faciliter ou préserver son intégration sociale. Il s'agit également de pouvoir organiser des périodes de transition ou de répit entre deux prises en charge, tant pour l'intéressé que pour son entourage, et de ne laisser personne sans solution en cas de problème inopiné : modification ponctuelle des besoins ou situation d'urgence.
Autant dire que l'objectif est ambitieux. Ce décret constitue « une belle avancée que nous sommes fiers, au GRATH, d'avoir obtenue », se réjouit Jean-Jacques Olivin (2). Mais il reste du chemin à faire pour que le dispositif puisse véritablement répondre « à point nommé » aux attentes des personnes concernées. Au plan quantitatif d'abord, il convient d'accroître l'offre. Pour permettre un développement effectif le plus rapide possible du dispositif, la direction générale de l'action sociale (DGAS) entend à la fois encourager l'ouverture de places d'accueil temporaire au sein d'établissements ou de services déjà existants, et soutenir la création de structures spécifiquement dédiées à ce mode de prise en charge, précise Philippe Didier-Courbin, sous-directeur des personnes handicapées à la DGAS. Il faut aussi que les textes réglementaires encore en suspens simplifient la tâche des porteurs de projet. La circulaire d'application du décret du 17 mars 2004 - dont la publication devrait intervenir fin novembre (3) -doit ainsi répondre à un certain nombre de questions et préciser, en particulier, l'étendue des dérogations que le décret ne fait qu'évoquer. Qu'en sera-t-il, par exemple, des structures d'accueil temporaire pour enfants atteints de tous types de handicap ? « On ne saurait leur imposer le plus grand commun dénominateur, tant au plan matériel qu'humain, de l'ensemble des dispositions figurant dans les annexes XXIV, cela va sans dire », fait observer le GRATH. Cela ira encore mieux en l'écrivant, car telle est la raison qui a récemment motivé le refus par une DRASS d'un dossier ayant pourtant déjà obtenu un accord de financement national. Quant aux modalités de financement des places d'accueil temporaire, elles restent aussi à définir. Dotation globale ? Tarification au prix de journée ? Panachage des deux systèmes ?Dans l'attente du décret d'ordre budgétaire et comptable - dont Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a assuré, lors du colloque du GRATH, qu'il serait pris « dans les meilleurs délais » -, l'affaire n'est pas tranchée. Les dispositions retenues par les pouvoirs publics devront également rendre l'accueil temporaire financièrement abordable pour les personnes, faute de quoi elles ne pourront que « choisir » l'institutionnalisation, n'étant pas en mesure d'assumer à la fois les frais d'un accueil occasionnel ou séquentiel et ceux liés à leurs besoins d'aide à domicile.
Parallèlement, faciliter le recours des usagers au dispositif suppose d'en assouplir les conditions d'accès. A cet égard, la lenteur administrative représente un frein significatif à l'extension de l'accueil temporaire. « Le rapprochement de l'offre et de la demande ne peut pas s'accommoder de l'inertie des commissions d'orientation », souligne Jean-Jacques Olivin, qui espère voir se mettre en place une véritable culture de la réactivité à ce niveau, comme dans les établissements. De fait, l'accueil temporaire constitue une démarche dynamique qui modifie le fonctionnement des structures et bouscule les pratiques de tous les partenaires intervenant dans le champ du handicap : fonctionnaires, gestionnaires, personnels et sans doute même élus, résume Marc Crunelle, directeur adjoint de la DDASS du Pas-de-Calais. Il est bien placé pour le savoir, son département ayant commencé à s'engager dans cette voie : grâce au soutien conjoint du conseil général et de l'Etat, la première maison d'accueil temporaire tous âges et tous handicaps y admettra bientôt ses premiers résidents (voir encadré ci-contre). Ce projet est le fruit d'une rencontre heureuse entre une initiative de mécénat - portée par la Fondation Maison de Pierre qui fournit trois millions d'euros d'investissement - et la volonté des autorités locales de développer des solutions alternatives au placement à long terme. « Le travail sur le schéma départemental conduit en 2002 et 2003 avec la DDASS nous avait amenés à constater la demande grandissante des personnes handicapées de vivre à leur domicile, et l'insuffisance des réponses pouvant leur être apportées pour qu'elles puissent réaliser leur projet de vie », explique Virginie Piekarski, responsable du pôle handicap du conseil général du Pas-de-Calais. Malgré un taux d'équipement qui, toutes catégories confondues, place le département bien au-delà des ratios nationaux, le manque est patent, surtout pour les adultes : le nombre de ceux qui attendent de pouvoir être admis en établissement équivaut à l'offre institutionnelle de places. Or ces inscriptions sur liste d'attente ne correspondent pas toutes à une réelle demande de placement permanent, souligne Virginie Piekarski : il peut s'agir d'un besoin de répit de l'entourage, ou d'évaluation de la capacité de la personne à vivre en dehors de sa famille et/ou en institution. « C'est pourquoi la nécessité de développer l'accueil temporaire est devenue pour nous une évidence », ajoute-t-elle, précisant que la Maison de Pierre ne constitue que l'un des éléments du dispositif plus vaste que le département compte mettre en place, en lien avec la Cotorep, les travailleurs sociaux de secteur et les services d'accompagnement et de soins à domicile.
Passer d'une vision binaire : « une personne-une place », à une logique plurielle : « une personne-des situations-des services adaptés », tel est l'enjeu.
Caroline Helfter
C'est dans le secteur des personnes âgées qu'ont eu lieu les premières expériences d'accueil temporaire, au début des années 80 (4). Nées, en milieu rural, des besoins de personnes vivant, l'hiver, dans des conditions de confort et d'isolement difficiles, les pratiques d'accueil temporaire destinées aux publics âgés se sont diversifiées et le développement de formules, avec ou sans hébergement, s'est notamment opéré dans le souci de venir en aide aux aidants. Pilier du soutien à domicile d'un proche âgé souffrant d'incapacités physiques ou psychiques, l'entourage familial est, de fait, mis à rude épreuve. Aussi la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif (FEHAP) se félicite que le GRATH ait associé les organisations du secteur des personnes âgées à la réflexion sur la réglementation de l'accueil temporaire. Le décret du 17 mars 2004, qui a résulté de cette concertation, officialise « un accueil qui restait expérimental et donc précaire, faute de base réglementaire demandée mais jamais obtenue ». Estimant être mieux armée pour défendre ses projets de création de places, la FEHAP souligne l'importance des besoins actuels en la matière et leur multiplication attendue, compte tenu de l'augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes. Solution transitoire pour pallier une rupture momentanée de prise en charge - et permettre aux familles de faire perdurer leur aide sans (trop) s'épuiser -, l'accueil temporaire est aussi appelé à répondre à une grande variété de situations, précise Isabelle Desgoutes, directrice du secteur personnes âgées de la FEHAP. Il peut ainsi représenter une étape intermédiaire avant le retour chez elle d'une personne qui a été hospitalisée, ou constituer un premier essai de vie en collectivité. « Comme pour les personnes handicapées, mais peut-être pour des raisons et à des moments différents, l'accueil temporaire a vocation à s'inscrire dans la gestion des projets personnalisés des personnes âgées, avec la mise en place de passerelles respectant leurs choix de vie », explique Isabelle Desgoutes.
Aboutissement d'un projet minutieusement mûri par l'Association des parents d'enfants inadaptés (APEI) de Saint-Omer et le GRATH, la Maison de Pierre ouvrira ses portes le 1er juillet 2005 sur la commune de Bouvelinghem, dans la région de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Financée en dotation globale, cette structure expérimentale disposera d'une capacité totale de 24 places destinées à accueillir, chaque année, une centaine d'enfants et autant d'adultes atteints de tous types de handicap, à l'exception des personnes présentant de graves troubles du comportement ou ayant besoin d'une médicalisation lourde. Les personnes pourront être accueillies le jour, la nuit, ou bien jour et nuit - de façon ponctuelle, séquentielle ou en urgence -, pour une durée ne pouvant excéder 90 jours par an. Elles se répartiront, dans deux bâtiments distincts - l'un pour les enfants et adolescents, l'autre pour les adultes -, au sein de trois unités : une unité de huit places, dont six en hébergement, pour les 6-20 ans, financée par l'assurance maladie ; deux unités pour adultes (sans limite d'âge), totalisant 16 places, dont dix en hébergement, avec une partie « foyer de vie » prise en charge par le conseil général et une partie « foyer d'accueil médicalisé » recevant un financement conjoint du conseil général et de l'assurance maladie. Une participation forfaitaire réduite des personnes accueillies - y compris les enfants - est également prévue, mais aucune décision n'a encore été arrêtée pour la déterminer. Délivrer, en toute sécurité, des services de qualité à un public très diversifié, et lui ouvrir largement les portes sur l'extérieur - plusieurs modalités d'échanges avec les habitants de la commune sont envisagées - : la Maison de Pierre entend répondre présente tout au long de la vie de la personne handicapée, en soutenant son autonomie et en favorisant son insertion sociale par le développement de passerelles entre le dispositif institutionnel et le milieu ordinaire.
(1) Voir ASH n° 2352 du 26-03-04.
(2) Lors de la première conférence nationale sur l'accueil temporaire, organisée à Paris par le GRATH le 30 septembre. GRATH : BP 23 - 56440 Languidic - Tél. 02 97 65 12 34 -
(3) Voir ASH n° 2376 du 8-10-04.
(4) Cf. L'accueil temporaire des personnes âgées. Le droit au répit des familles - Dominique Argoud, Marie-Jo Guisset et Alain Villez - Uniopss/Editions Syros, 1994 - 19,82 €.