Stéphane Maggi Chef de service éducatif en prévention spécialisée dans une association francilienne
« Le texte de Jean-Marie Petitclerc m'a surpris par le parti pris qu'il développe dans le seul but politique de démontrer tout ce que la prévention spécialisée aurait à gagner à la municipalisation.
En premier lieu, et sur un plan général, ce texte n'est entendable que si l'on considère la prévention spécialisée comme - et uniquement comme - un outil de la politique de la ville. Pour ma part, la prévention spécialisée que je défends est encore du côté de l'éducatif et de la protection de l'enfance. Elle a été créée et existe parce qu'elle prévient les souffrances des jeunes dont la délinquance n'est qu'un symptôme parmi d'autres. La paix dans les quartiers et l'augmentation du prix du mètre carré habitable ne doivent pas être la première préoccupation d'un éducateur spécialisé. Je me sens, pour ma part, très proche de mes collègues éducateurs en internat, en foyer d'hébergement ou dans d'autres structures d'accueil qui réfléchissent aux problèmes vécus par les jeunes et cherchent des solutions pour un accompagnement éducatif. Notre spécificité ? Le travail dans la rue, le travail hors les murs, dans les lieux de vie des jeunes. Cette spécificité a, de fait, inscrit une part de notre activité dans le cadre de la politique de la ville, et il est essentiel d'en tenir compte dans l'élaboration de nos objectifs et dans nos méthodes de travail, nécessairement partenariales.
A ce propos, Jean-Marie Petitclerc insiste sur notre incapacité à mener de véritables collaborations avec nos partenaires. De nombreux directeurs de clubs ont dû s'étouffer en le lisant. Le partenariat s'est imposé à la prévention spécialisée de façon naturelle et indispensable au fur et à mesure qu'évoluaient les données socio-urbaines et que rajeunissaient les populations suivies. Ces partenariats avec les parents, les agents éducatifs et sociaux se sont développés de manières variées, en fonction des besoins de l'enfant. Il y a belle lurette, si j'ose dire, que les positions dogmatiques et isolationnistes ont cédé le pas devant la nécessité et la cohérence de l'action concertée.
Jean-Marie Petitclerc fait référence, dans un second temps, aux principes de la prévention spécialisée, qu'il réinvente d'ailleurs en partie ! L'anonymat n'a jamais été le concept refuge du non-échange partenarial. Il s'agit bien, au contraire, de mêler le plus possible le jeune concerné aux débats des travailleurs sociaux en le rendant seul décisionnaire des informations qu'il veut voir circuler sur lui. La libre adhésion dépend, quant à elle, directement du non-mandatement nominatif de notre action éducative, et considérer qu'elle fait le lit pervers de "l'inactivité des éducateurs" est une déduction bien hardie et qui remettrait en cause, si elle se révélait exacte, bien plus l'encadrement et les méthodologies que le concept même. Enfin, la non-institutionnalisation n'est pas un principe de la prévention spécialisée, mais un outil méthodologique de lien entre un adulte responsable et un jeune. [...]
Je ne comprends pas l'intérêt que nous avons à caricaturer la prévention spécialisée en la rendant dogmatique et ringarde. Il m'apparaît tout au contraire qu'elle reste un mode d'action éducative tout à fait adapté dans ses principes et ses aspirations aux nouvelles difficultés auxquelles les jeunes de nos villes sont confrontés aujourd'hui et qu'elle doit défendre cette spécificité avec des arguments éducatifs. Enfin, il y a de nombreuses expériences de municipalisation de clubs de prévention en France aujourd'hui. Il ne m'est pas apparu, mais je n'ai pas toutes les données, qu'ils en avaient tiré une once de plus-value éducative. »
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« On ne peut qu'être d'accord avec Jean-Marie Petitclerc quand il déplore la multiplicité des ruptures vécues par les enfants et les jeunes des cités. Aux ruptures familiales s'ajoute en effet fréquemment pour eux une multiplicité sans fin des intervenants éducatifs : proches, animateurs, enseignants et intervenants sociaux souvent sans lendemain se succèdent selon un processus bien connu qui ne permet pas à ces jeunes de se constituer les repères dont ils ont besoin.
La concertation entre partenaires sociaux et éducatifs non plus n'est pas aisée. Même quand elle est organisée sur le plan institutionnel (contrat éducatif local, comité local de sécurité et de prévention de la délinquance), elle reste souvent tributaire d'une réelle adhésion des acteurs et de pratiques qui ont besoin d'être ancrées.
Pour autant, on peut largement douter que le maire pourrait constituer ce chaînon manquant, ce tisseur de liens, ce trait d'union qui serait si utile pour les enfants, les jeunes et les familles. Pour qui est au fait de la réalité institutionnelle et sociale dans de nombreux quartiers, l'échelon municipal n'est vraiment pas le plus stable ;dans de nombreuses villes, on connaît la valse des animateurs municipaux, souvent peu valorisés, mal reconnus, sous-payés, avec peu de perspective de promotion personnelle et professionnelle. Les cadres eux-mêmes sont souvent instables, remplacés au gré des élus, congédiés du jour au lendemain.
Le maire pourrait-il alors à défaut constituer le chef d'orchestre des acteurs de différentes institutions au niveau de son territoire ? Il faudrait pour réussir cette mission une grande distance et une grande neutralité, une capacité à miser sur des actions à très long terme, bref, une ligne de conduite, une tranquillité et une stabilité qui sont des alliés souvent hors de portée des élus locaux, soumis aux pressions constantes et rapprochées de groupes divers. De fait, malheureusement, la motivation immédiate des municipalités en matière d'action sociale et éducative tend à n'être plus qu'utilitaire : plutôt que de penser prévention, on cherche des solutions immédiates, visibles ;plutôt que de penser politique éducative, on tend à identifier des familles, des groupes, des individus dans le but de "rationaliser" l'action sociale et éducative à leur endroit. Dans cette personnalisation des problèmes sociaux, on ne sait plus très bien ce que l'on cherche en termes de méthodes et d'actions : quand on tend vers l'immédiateté de la perception et du traitement des problèmes sociaux, on risque toujours de tomber ou bien dans la charité publique ou bien dans la stigmatisation de minorités chargées de tous les maux.
Jean-Marie Petitclerc déplore le manque d'efficacité des réseaux et instances dans lesquelles les acteurs seraient piégés par un dogme exagéré du respect de l'anonymat ; d'autant, ajoute-t-il, qu'il s'agit là d'un anonymat de surface, en quelque sorte d'un "secret de Polichinelle ". Je trouve pour ma part le trait grossi : le respect légitime de la protection de la vie privée, qui est un droit de l'Homme comme de l'Enfant, n'empêche d'aucune façon les partenaires éducatifs de rechercher ensemble des solutions ou des propositions pour des adultes ou des jeunes, mais ils doivent le faire avec l'autorisation des intéressés ; or, quand il s'agit de promotion sociale et/ou éducative, cette adhésion n'est pas difficile à trouver.
Il ne s'agit pas ici de pinailler sur des mots. Mettre le maire au centre de l'action éducative et sociale n'est pas une idée anodine mais doit être appréciée au regard d'une autre revendication de nombreux édiles :se trouver également au centre des questions de justice, de répression et de sécurité sur le territoire de leur commune. Au-delà même du doute que l'on peut avoir sur la compétence de nombreux maires à bien comprendre l'enjeu et les méthodes des politiques de prévention, il faut craindre encore davantage la confusion des rôles et des interventions en termes de sécurité et d'éducation.
Travailler en éducation, et plus encore en prévention, suppose de préserver un espace de rencontre et de relations avec les personnes concernées. Les éducateurs ont besoin de pouvoir exercer dans leur profession l'autonomie et la responsabilité dont manquent justement douloureusement les personnes et les groupes auxquels ils s'adressent. »
Intermèdes : Logement 117 Bât. C2 - La Villa Saint-Martin 28, rue des Marguerites -91160 Longjumeau Tél.06 03 01 15 43.
(1) Voir ASH n° 2376 du 8-10-04.
(2) Groupe notamment composé de chercheurs, principalement de sociologues, qui se propose de « clarifier le débat public sur la sécurité » -