« Quand cessera-t-on d'aborder la question de la protection de l'enfance comme on peut discuter sans retenue et avec sa seule passion sur les valeurs comparées de deux équipes de football ?
Qu'est-ce qui arrive aux pédopsychiatres, après le livre de Maurice Berger (2), pour qu'ils simplifient à ce point les données du problème alors qu'ils sont eux-mêmes, dans leur métier, plutôt censés travailler sur la complexité des réalités avec leurs contradictions apparentes ?
Il faut réagir car, à force de frapper avec aussi peu de discernement, on va finir par donner des arguments à ceux qui voudraient justement ôter tout crédit au dispositif de protection de l'enfance. Les questions complexes n'ont jamais gagné à la simplification ni aux excès de jugement. Il n'y a aucun intérêt, à l'inverse, à élaborer une défense subjective et quasi corporatiste de ce qu'est et est devenue la protection de l'enfance depuis les lois de décentralisation. En revanche, c'est certainement un principe éthique de premier ordre que d'accepter l'interpellation et qu'un débat technique rigoureux puisse être engagé. Il manque assurément un espace national pour rendre lisible pour tous l'extrême diversité des engagements départementaux au bénéfice des enfants et des familles.
J'ignore évidemment ce que recouvrent les “histoires” racontées par Daniel Bourla en appui de cette dénonciation des absences de l'aide sociale à l'enfance (ASE) auprès des jeunes majeurs. L'expérience montre à quel point seule une connaissance précise de chaque histoire, avec les intentions de chacun et les moyens proposés ou disponibles, permet d'avoir un avis. Au-delà, rappelons que la loi ouvre la possibilité d'une aide aux majeurs de 18 à 21 ans quand leur situation personnelle le justifie ; lorsqu'il y a justement une absence de soutien familial et que l'insertion sociale est particulièrement difficile du fait d'une solitude et d'une fragilité.
Pour empêcher que des jeunes majeurs soient “abandonnés” à 18 ans par des services d'ASE peu scrupuleux, l'auteur suggère de rendre obligatoire par une nouvelle loi l'aide en direction de ces publics. A quoi peut bien correspondre cette obligation pour l'aide sociale à l'enfance ? N'a de sens que l'aide dont on a évalué l'utilité. C'est là que réside l'enjeu, certainement pas dans l'imposition de nouvelles obligations aux services publics de l'aide sociale à l'enfance.
La critique acerbe, qui revient en vagues régulières, consistant à faire de l'aide sociale à l'enfance la cause des difficultés vécues par une catégorie d'enfants n'est pas pertinente, car il ne faut pas confondre les dysfonctionnements supposés ou vérifiés d'un service ou d'une collectivité avec l'inadaptation plus globale d'une mission publique ou d'un cadre légal. Trop souvent, ces détracteurs oublient de s'interroger sur l'environnement large dans lequel s'inscrit, par exemple, la question des jeunes majeurs. L'amélioration d'une réponse ne peut jamais reposer sur la compétence ou la responsabilité d'une seule de ces institutions qui jouent un rôle, de près ou de loin, dans l'accompagnement des mineurs en situation difficile qui deviennent des adultes. L'ASE ne peut pas, ne doit pas, constituer la réponse institutionnelle exclusive, et donc plus du tout subsidiaire, soulageant l'ensemble de ses partenaires d'une sorte de culpabilité collective.
Il est totalement inopérant d'apprécier l'adéquation intrinsèque d'un service public, le sens général de ses interventions et les exigences légitimes de la société à son égard à partir des échecs des uns ou les réussites des autres. Combien de condamnations définitives de la psychiatrie pourraient être prononcées sur la base de ses innombrables absences dans les situations les plus troubles, de certaines de ses violences ou de la toute-puissance stérile dans laquelle s'installent parfois ses mandarins incontrôlés dans leurs territoires. Plus utile me semble la recherche d'un partenariat plus construit autour de protocoles de travail pour lesquels chacun “met les mains dans le cambouis” et accepte de se découvrir.
La décentralisation a donné aux présidents des conseils généraux une responsabilité majeure en matière de protection de l'enfance. L'exercice de cette mission génère des tensions permanentes ;elles sont naturelles. Encore faut-il les accepter et les dépasser en essayant, chacun dans ses compétences, de s'inscrire dans les processus de décision qui concernent les enfants.
N'est-ce pas une exigence éthique majeure que de travailler dans le cadre institutionnel (qui est une réalité) avec la diversité des outils qu'il convient de construire au sein de chaque département ou de chaque territoire ?
Toute décision prise pour un enfant est difficile ;elle porte évidemment ses insuffisances et sa partialité. Tous les colloques, depuis 20 ans, nous invitent à une approche partagée et pluridisciplinaire. Cette exigence vaut pour tous :professionnels de l'aide sociale à l'enfance bien entendu, services associatifs, Education nationale, magistrats et psychiatres.
Dans tous les cas bien sûr, les moyens sont nécessaires. Mais ils ne sont pas suffisants. Leur réclamation incantatoire risque d'induire une réduction de la question posée et une responsabilisation pratique de l'“autre mais pas moi”.
La loi existe. Elle pose déjà des obligations. Mais il faut la faire vivre et lui donner son sens là où sont les enfants ou les majeurs. C'est de la responsabilité entre autres de l'ASE et de la psychiatrie. C'est aussi une question de posture.
Il faut donc faire vivre l'ASE et la psychiatrie. Vive nous ! »
Jean-Paul Bichwiller Directeur de la protection de l'enfance -Conseil général de Meurthe-et-Moselle : 48, rue Sergent-Blandan - 54035 Nancy cedex - Tél.03 83 94 54 54.
(1) Voir ASH n° 2373 du 17-09-04.
(2) Voir ASH n° 2341 du 9-01-04.