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Les professionnels à la recherche de nouvelles formes d'accueil

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L'espérance de vie des personnes souffrant d'un handicap mental tendant à rejoindre celle du reste de la population, les professionnels explorent aujourd'hui différentes formes d'accueil de ce public à la fin de sa vie. Certains responsables de maisons de retraite ont développé un accueil conjoint, tandis que d'autres ont préféré jouer la carte de la complémentarité avec des établissements spécialisés. Etat des lieux.

Les progrès de la médecine aidant, la longévité a augmenté pour une grande partie des personnes handicapées mentales. Il s'agit désormais « d'organiser la vie et pas seulement la survie de ces personnes », indiquait André Trillard, sénateur et conseiller général de la Loire-Atlantique, lors d'un colloque organisé par la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa)   (1). L'accompagnement gérontologique de ces publics pose donc un défi à la société et « questionne les réponses apportées par les professionnels, à commencer par les établissements pour personnes âgées », estime Claudy Jarry, président de la Fnadepa. Si l'accueil des personnes handicapées mentales au sein des maisons de retraite est devenu chose courante, l'inadaptation des projets d'établissement et de la formation des équipes ne permet pas, le plus souvent, de proposer un accompagnement satisfaisant. Quant aux établissements spécialisés, leur nombre demeure largement insuffisant et le maintien à domicile reste soumis au risque permanent de défaillance (invalidité, décès) des aidants naturels. Il est donc grand temps de « faire entrer la gériatrie dans le secteur du handicap et celui du handicap dans la gériatrie » et que les acteurs de ces deux champs « rapprochent leurs expériences et leur savoir-faire afin d'ouvrir ensemble des pistes susceptibles de mieux répondre aux aspirations et besoins des personnes handicapées mentales vieillissantes », affirme Claudy Jarry.

Des pistes qui ont déjà commencé, souvent discrètement, à être explorées par certaines structures d'accueil. Encore faut-il « que la solution proposée réponde bien aux besoins de la population concernée et ne s'inscrive pas dans une logique d'offre ou institutionnelle », avertit Michel Laforcade, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de la Dordogne. Face à la difficulté d'établir des prévisions fiables quant à l'évolution des

besoins dans le secteur social et médico- social, les professionnels doivent éviter les architectures et les prises en charges “irréversibles”. Ils doivent se tourner plutôt vers des dispositifs plus souples « faisant place à une multiplicité de solutions au sein d'un réseau de services sociaux, sanitaires [...], et impliquant une modulation des complémentarités qu'il faudrait réévaluer régulièrement », précise Gérard Zribi, psychologue chargé d'enseignement à l'Ecole nationale de la santé publique et président de l'Association nationale des directeurs et cadres de centres d'aide par le travail. Fort heureusement, l'heure est aux tâtonnements et aux « “bricolages”, au sens positif et créatif du terme, souvent plus efficaces que les grandes réponses standardisées », estime Michel Laforcade.

Certains responsables de maisons de retraite ont ainsi développé des liens avec le secteur du handicap pour réaliser des montages locaux adaptés à l'accueil de ces publics. Illustration avec « Les Eglantines », une maison de retraite implantée sur la petite commune de Frossay, dans la Loire-Atlantique. Cet établissement de 67 places s'est doté, cette année, d'un foyer de vie pour personnes handicapées ainsi que d'une petite unité d'hébergement temporaire permettant d'accueillir une personne âgée avec son enfant handicapé. Pour se familiariser avec un secteur qui lui était totalement inconnu, la maison de retraite s'est associée dès 2002 à un foyer de vie médicalisé situé à proximité. Pendant plusieurs mois, les deux établissements ont mené des actions conjointes de formation des personnels afin « de sortir des préjugés et de partager une culture commune sur les personnes handicapées vieillissantes », raconte Philippe Gervot, responsable du foyer d'accueil médicalisé Notre-Dame-de-Terre-Neuve. Des échanges suivis par la mise en commun d'équipements et de pratiques.

Accueil spécifique ou conjoint ?

« Comment peut-on accueillir ces deux populations très différentes, âgées de 50 ans à 90 ans, dans une même structure ? », se demande Guy Pinel, directeur d'une maison de retraite proche de Nantes. Difficile en effet d'assurer un accompagnement de qualité à une personne handicapée mentale autonome de 55 ans, alors que l'activité de l'établissement est centrée sur la dépendance de la personne âgée. « Les personnes qui sortaient d'un centre d'aide par le travail [CAT] étaient finalement moins prises en charge que les personnes âgées et ressentaient un décalage avec le suivi dont elles avaient bénéficié auparavant », raconte Guy Pinel. D'où la création en 2003 d'une structure d'accueil spécifique, sous la forme de deux unités de vie destinées à accueillir chacune neuf personnes handicapées mentales en hébergement permanent (et comprenant en outre un lit d'accueil temporaire et un autre d'accueil de jour). Le dispositif a été complété par la réalisation de deux appartements « kangourous », conçus pour permettre à une personne âgée et à son enfant handicapé de continuer à vivre leur relation familiale.

D'autres professionnels, se tournent quant à eux vers la solution d'un accueil conjoint, mêlant personnes âgées et personnes handicapées mentales vieillissantes. C'est le cas de Françoise Lejeune, directrice de la résidence des Charmettes, à Millau. Responsable d'un CAT, l'association gestionnaire s'est interrogée, dès le milieu des années 80, sur la meilleure façon d'accompagner les 13 personnes handicapées âgées de 60 à 80 ans. En ouvrant peu après une maison de retraite polyvalente non médicalisée, l'équipe réalise que personnes âgées et personnes handicapées mentales vieillissantes peuvent tout à fait cohabiter. « A l'instar de ce qui se passe dans toute société, la rencontre entre des populations hétérogènes peut même être bénéfique pour tous », assure Françoise Lejeune. Pour peu qu'elle soit accompagnée d'une réelle politique de formation des personnels et de moyens supplémentaires d'encadrement, cette prise en charge « mixte » est stimulante pour les personnes âgées grâce à la présence d'un entourage plus jeune et plus actif et permet de développer des relations d'entraide intéressantes. « On retrouve l'idée de “la tête et les jambes”, les personnes âgées qui n'ont plus l'usage de leurs jambes pouvant “remplacer la tête” des personnes handicapées », observe Jean-Louis Bascoul, psychosociologue. Les personnes handicapées peuvent quant à elles bénéficier d'un rythme de vie parfois moins éprouvant que celui du CAT ou de l'hôpital psychiatrique et d'une plus grande indé-

pendance, notamment dans le domaine de la sexualité puisqu'elles peuvent se retrouver en couple. Enfin, des relations de tendresse peuvent naître : des progrès considérables ont par exemple été observés sur un homme de 45 ans atteint de trisomie, pour lequel s'étaient prises d'affection plusieurs vieilles dames. Plus pragmatiques, les institutions voient parfois dans cet accompagnement conjoint la possibilité d'accueillir des personnes dans des chambres considérées comme difficiles à remplir (du fait d'une accessibilité ou d'un confort moindres, par exemple) ou de négocier des moyens et du personnel supplémentaires.

Pas question toutefois de faire de l'accueil conjoint la panacée en matière d'accompagnement gérontologique des personnes handicapées vieillissantes, s'empressent de préciser certains professionnels qui pointent du doigt les réticences des résidents âgés ou des familles redoutant l'amalgame entre les deux populations. De leur côté, les personnes handicapées peuvent, face à la réalité brutale de la vieillesse et de la mort, perdre une partie des acquis engrangés en CAT ou en foyer, et régresser. Attention également, préviennent certains responsables, à ne pas confondre handicap mental et maladie d'Alzheimer. « La personne handicapée mentale va continuer à avoir des acquis, à pouvoir progresser jusqu'à la fin de sa vie. Pour la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer, on a affaire à quelqu'un qui va commencer à “détricoter” sa vie, à la déconstruire. C'est une hérésie de vouloir mélanger les deux populations sans qu'il y ait deux projets de vie, deux types de personnels et deux types de structures différents », explique Janine Cayet, conseillère régionale d'Ile-de- France et membre du Conseil économique et social.

De manière plus générale, les professionnels prônent la mise en place de solutions de proximité pour éviter les déracinements douloureux, lors d'une sortie de CAT par exemple. « Est-il normal, le jour où des personnes quittent leur travail, de les faire changer de ville ? », s'insurge par exemple André Trillard. Le rapprochement du champ de la personne âgée et de celui du handicap permettrait de mettre en place des structures et des services où « chaque personne en situation de handicap aurait droit à l'épanouissement de son projet de vie alors que certains pensent aujourd'hui qu'avoir un projet de vie après 60 ans est un luxe épouvantable et absolument plus à l'ordre du jour », affirme Alain Villez, conseiller technique « personnes âgées » de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Ce qui suppose bien évidemment de développer une politique de qualification des personnels, notamment au niveau de l'animation des établissements.

Henri Cormier

Notes

(1)   « L'accueil gérontologique des personnes handicapées mentales vieillissantes », le 4 octobre 2004 - Fnadepa : Immeuble Noilly-Paradis - 146, rue du Paradis - 13006 Marseille - Tél. 04 91 14 00 40.

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