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La première SCIC de Haute-Normandie est au service de la création d'emplois

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En optant pour le statut de société coopérative d'intérêt collectif, l'entreprise SicléO a choisi d'allier l'économique et le social. Elle propose aux habitants en fin de parcours d'insertion d'un quartier déshérité de Rouen un véritable emploi au service de l'amélioration du cadre de vie.

Symptôme de la pauvreté du quartier, deux des trois centres commerciaux des Hauts-de-Rouen périclitent, faute de solvabilité des habitants (près d'un tiers de la population active est au chômage). C'est aux alentours de l'un d'eux que l'entreprise SicléO (1) a entamé, mi-octobre, son premier chantier : l'aménagement d'un jardin avec mobilier urbain agrémenté de plantes aquatiques. Pour en arriver là, il aura fallu deux ans de réflexion et de démarches. SicléO n'est pas, en effet, une entreprise comme les autres mais une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC), la première de la région Haute-Normandie. Créé en juillet 2001, ce nouveau statut juridique (voir encadré), qui a donné naissance à une forme d'entreprise originale alliant l'exigence économique à l'utilité sociale, est encore rare. En septembre, seules 46 SCIC avaient reçu leur agrément préfectoral. Mais de 300 à 500 projets sont en cours. C'est pourquoi, dans le champ de l'action sociale, l'initiative d'Interm'Aide Emploi, l'association intermédiaire qui a porté le projet depuis son origine, est un cas d'école.

Située dans « la banane », un immeuble bien connu des Hauts-de- Rouen pour être un des plus long d'Europe, Interm'Aide Emploi est implantée au cœur de cette zone urbaine depuis 1987. Elle y est devenue un des premiers employeurs, à la suite de la fuite des entreprises qui n'a fait que s'accentuer depuis l'explosion de violence survenue dans ce quartier en 1994. Forte de son expérience, l'association intermédiaire formule deux constats : tout d'abord, rares sont les personnes qui, en fin de parcours d'insertion, trouvent un travail, faute d'entrer dans les critères d' « employabilité » classiques. Le processus d'insertion ne s'achève donc jamais. En second lieu, lorsqu'une personne finit malgré tout par s'insérer - par exemple en obtenant un contrat à durée indéterminée -, elle va ailleurs. Le gain en termes de lien social se révèle nul. « C'est le signe que ce quartier n'a pas uniquement un problème d'emploi mais aussi un problème d'image, constate Arnaud Dalle, directeur d'Interm'Aide, également président-directeur général de SicléO. Ne restent sur les Hauts-de- Rouen que les titulaires du RMI et les étrangers. Autrement dit, des personnes qui n'ont pas le choix... »

Le quartier qui comptait 25 000 habitants en 1970 n'en dénombrait plus que 16 000 en 2002. La classe moyenne a déserté, quittant les fameux blocs « verre et acier », pour le centre-ville ou les quartiers riches alentour, et laissant aux plus pauvres les tours et les îlots de maisons dégradés, les arrêts de bus cassés et la mauvaise réputation attachée au quartier. Pourtant, Arnaud Dalle ne désarme pas : « Les habitants ont des quantités de compétences. L'un possède un diplôme de pharmacien obtenu à Cuba, l'autre a été chauffeur dans son pays d'origine mais a des difficultés à s'orienter, un troisième est ouvrier du bâtiment mais ne connaît pas les normes françaises... La difficulté tient donc essentiellement au fait que leurs diplômes ne sont pas reconnus en France ou qu'ils n'ont pas une formation classique. »

A l'automne 2001, Arnaud Dalle entend parler des SCIC. Si les entreprises désertent le quartier, pourquoi ne pas en créer une, sous ce nouveau statut juridique, qui tiendrait compte des besoins du quartier ?, s'interroge-t-il. « Au lieu d'adapter la personne à l'entreprise, la SCIC permet d'adapter l'entreprise à la personne. C'est une façon de remettre de l'ordre dans les valeurs », souligne-t-il. Gérer les ressources humaines selon les spécificités du quartier des Hauts-de-Rouen par exemple, en proposant une formation continue, en partenariat avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), aux salariés qui en auraient besoin : cette idée séduit les acteurs du quartier, convaincus que l'emploi y est la problématique majeure.

Or une des originalités de la SCIC consiste à permettre aux différents partenaires, grâce à sa forme d'entreprise coopérative particulière, de s'intégrer concrètement au projet en prenant des parts de capital dans l'entreprise. La ville de Rouen, de nombreuses associations (2), un Club d'investisseurs pour une gestion alternative locale de l'épargne solidaire (Cigales) ainsi que de nombreuses personnes physiques impliquées dans le quartier rejoignent ainsi Interm'Aide Emploi. Les statuts de SicléO sont votés en avril 2004. Et l'agrément préfectoral est enfin obtenu mi-juin 2004, non sans atermoiements. De fait, le caractère novateur de la SCIC, ajouté à la définition incertaine des notions d'utilité sociale et d'intérêt collectif qui en font la spécificité, rendent son habilitation d'autant plus complexe et... longue.

Pour Interm'Aide Emploi, principal coopérateur de SicléO et siège temporaire de l'entreprise, la SCIC donne une nouvelle dimension à son travail. Elle permet en effet de s'affranchir des limites inhérentes aux associations intermédiaires, qui ne sont pas autorisées à signer des contrats de mise à disposition au-delà d'un certain secteur géographique. En outre, l'association a vocation à être un vivier d'emplois pour SicléO. « On peut, par exemple, imaginer qu'une personne accompagnée par Interm'Aide depuis plusieurs mois, arrivant en fin de parcours d'insertion, soit orientée vers SicléO en vue d'obtenir un contrat de travail stable », explique Arnaud Dalle. Au-delà d'Interm' Aide Emploi, la pluralité des partenaires devrait permettre d'avoir « un effet multiplicateur sur l'emploi », souligne le P-DG de l'entreprise. Les associations locales associées devraient être à même de repérer et d'orienter les salariés potentiels.

Reste une interrogation : quel sens le principe coopératif va-t-il revêtir aux yeux des salariés ? Comment vont-ils s'approprier le projet ? En effet, les statuts de SicléO prévoient que les salariés devront être associés à l'entreprise - en tant que coopérateurs - au bout de 15 mois d'ancienneté. « Il est certain que les habitants vont faire appel à SicléO avant tout pour trouver un emploi, reconnaît Arnaud Dalle. A nous de leur expliquer tout le sens d'une SCIC... »

Quant aux habitants, ils devraient apprécier le choix de proposer des activités d'amélioration du cadre de vie- un axe fondamental du projet qui justifie, avec la création d'emplois, le caractère d'utilité sociale et d'intérêt collectif de la SCIC. Le Groupement d'intérêt public (GIP) du grand projet de ville (GPV) de Rouen (3) a d'ailleurs choisi SicléO pour réaliser plusieurs travaux d'aménagement du quartier. « Le total des commandes s'élève à 1,2 million d'euros », se félicite Arnaud Dalle, le premier surpris par l'ampleur de l'opération.

La petite entreprise qui pensait démarrer doucement avec des travaux de maintenance du bâtiment est au pied du mur. « Notre problème, pour l'instant, n'est pas de trouver des chantiers mais de gérer la masse de travail qui nous attend, affirme le directeur. Sans l'appui logistique d'Interm'Aide, nous n'y arriverions pas. » Après l'aménagement du jardin commencé mi-octobre, l'entreprise devrait participer à la réfection des trois centres commerciaux du quartier et, peut-être, au montage d'unités de bureaux (4).

Une réponse sociale à une demande sociale

« SicléO correspond exactement aux objectifs du grand projet de ville qui consistent à améliorer le cadre de vie et à favoriser l'accès à l'emploi des habitants, explique Benoît Gach, chef de projet au sein du GIP-GPV. Elle est la preuve que les Hauts-de-Rouen n'abritent pas que des entreprises d'insertion. Une véritable entreprise peut s'y implanter aussi. » A l'instar de toutes les SCIC, SicléO doit en effet répondre aux exigences de rentabilité d'une entreprise classique. Ce qui a de quoi rassurer ses clients potentiels.

Si le GPV a sauté le pas, la ville de Rouen et les bailleurs sociaux devraient suivre. D'autant que, par rapport aux entreprises classiques, elle possède des atouts non négligeables : « SicléO a une connaissance du quartier que n'ont pas les autres entreprises dont le siège n'est pas situé sur les Hauts-de-Rouen, analyse Frédéric Monville, conseiller en insertion professionnelle à Interm'Aide Emploi et coopérateur de SicléO. De plus, elle ne se contente pas d'intervenir techniquement, elle propose aussi un accompagnement pédagogique sous la forme d'une veille et d'un dialogue avec les habitants. » « Nous sommes bien mieux armés qu'une autre entreprise, renchérit Arnaud Dalle. Imaginons qu'un bailleur social fasse appel à nous pour ramasser les poubelles que les habitants jettent par les fenêtres. Contrairement à une quelconque entreprise qui ferait son travail sans se soucier d'améliorer la situation, les salariés de SicléO vont discuter avec les gens, leur expliquer en quoi leur comportement a un impact négatif sur le quartier. Notre vocation n'est pas d'apporter une réponse technique à une demande technique mais une réponse sociale à une demande sociale. »

Caroline Dinet

UNE NOUVELLE FORME D'ENTREPRISE COOPÉRATIVE

Créée par la loi du 17 juillet 2001 (5) pour répondre aux besoins des acteurs de terrain souhaitant disposer d'un cadre d'entreprise adapté au développement entrepreneurial et reflétant les préoccupations de l'économie sociale et solidaire, la Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) est une nouvelle forme d'entreprise coopérative qui allie les volets économique et social. Comme toute société commerciale, elle est soumise à des exigences de performance et de gestion (6) . Néanmoins, en tant que coopérative, elle obéit au principe 1 personne =1 voix (avec, néanmoins, la possibilité de pondérer les voix en créant des collèges d'associés) et une part de ses excédents nets annuels (57,5 % au minimum) est affectée à des réserves impartageables. En outre, son objet consiste en « la production ou la fourniture de biens et de services d'intérêt collectif, qui présentent un caractère d'utilité sociale ». Autre innovation majeure : la SCIC permet d'associer des coopérateurs (par souscription d'au moins une part sociale de l'entreprise) et des personnes physiques et morales (salariés, usagers, bénévoles, financeurs, collectivités territoriales...) qui souhaitent agir ensemble au sein d'un même projet de développement local dans le secteur de l'insertion, de l'environnement, de la culture, des services aux personnes, de l'habitat social, etc. A savoir : toute association, coopérative ou société de droit public ou privé peut se transformer en SCIC, sans qu'il y ait création d'une personne morale nouvelle. Pour bénéficier de ce statut, il faut obtenir un agrément attribué par le préfet pour une période de cinq ans (7) . Afin d'apprécier le caractère d'utilité sociale du projet, le préfet tient compte notamment de la contribution que celui-ci apporte à des besoins émergents ou non satisfaits, à l'insertion sociale et professionnelle, au développement de la cohésion sociale, ainsi qu'à l'accessibilité des biens et des services.

Notes

(1)  SicléO : 2, rue Nicéphore-Niepce - 76000 Rouen - Tél. 02 35 12 44 17.

(2)  Outre Interm'Aide Emploi, il faut ajouter un club de prévention : l'Association rouennaise d'éducation de la jeunesse (AREJ)  ; une structure d'insertion par l'activité économique : Projet ingénierie insertion (P2I)  ; l'Association rouennaise d'intégration des migrants (ARIM)  ; un centre social ; le Comité de coordination de la Grand-Mare et l'Association du centre social (ASC) du Châtelet.

(3)  Financé par la ville, l'Etat, le département et la région pour la période 2001-2008, le GPV de Rouen, projet global de développement social et urbain, vise notamment les Hauts-de-Rouen.

(4)  Pour augmenter le capital de départ, insuffisant pour répondre à la commande du GPV, SicléO a reçu le soutien de plusieurs organismes de financement dont Haute- Normandie active, filiale de France Active, et Normandie entreprendre.

(5)  Voir ASH n° 2222 du 6-07-01. Pour en savoir plus sur les SCIC : www.scic.coop.

(6)  Son régime a été précisé par la circulaire du 18 avril 2002 - Voir ASH n° 2270 du 5-07-02.

(7)  Décret du 21 février 2002 - Voir ASH n° 2253 du 8-03-02.

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