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Quelles stratégies pour maintenir la dynamique ?

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Si nombre de travailleurs sociaux ont répondu présents à la semaine des états généraux du social, l'association « 7, 8,9 » espérait davantage de réactivité de la part des instances de décision interpellées. Des contacts continuent néanmoins d'être pris, et des projets d'organisation émergent pour prolonger le débat.

« On a enfin réentendu les travailleurs sociaux autrement qu'en réaction aux lois Sarkozy ou Perben. Ils se sont exprimés plus largement, sur des choses à construire.  » Pour Michel Chauvière, président de l'association « 7, 8,9 - Vers les états généraux du social » (7, 8, 9,  VEGS)   (1), la semaine de mobilisation qui s'est déroulée du 18 au 24 octobre dans toute la France, au terme de deux ans d'une démarche qui visait à soumettre l'action sociale au débat public (2), a réussi à atteindre cet objectif. La participation des travailleurs sociaux, en effet, loin d'être massive, a cependant été au rendez-vous. Ainsi, quelque 300 personnes, dont beaucoup d'étudiants, ont rallié la marche de nuit du 21 octobre à Paris, lampes de poche à la main et distribuant aux passants des tracts titrés « sauve qui peut l'action sociale ». Le même soir, ils étaient plus nombreux encore à arpenter les rues de Strasbourg. Plus de 900 spectateurs ont assisté au théâtre forum organisé dans la Seine-Saint-Denis avec des professionnels et des usagers. Autre moment fort de la semaine : la conférence-débat d'Albert Jacquard sur « la nécessaire humanicisation », qui a rassemblé plus de 200 professionnels, bénévoles et usagers dans l'Agora des Compagnons d'Emmaüs.

Dès le 18 octobre, l'association 7, 8,9 VEGS avait adressé « à la représentation nationale » les cahiers de doléances nourris pendant deux ans par les contributions de travailleurs sociaux, de magistrats ou de fonctionnaires. Premier intérêt de ces 24 pages réparties en 12  « fronts » de l'action sociale :administrer quelques piqûres de rappel. 63 500 sans-abri selon l'INSEE en 2001, plus d'un million d'enfants vivant dans une famille aux revenus inférieurs au seuil de pauvreté, une augmentation de plus de 10 % des allocataires du revenu minimum d'insertion entre 2003 et 2004, plus d'un million de personnes en attente d'un logement social, des délais pouvant atteindre deux ans pour être admis en établissement spécialisé pour personnes handicapées... Devant cet implacable constat, les cahiers de 7, 8,9 plaident pour le « rétablissement d'une politique nationale d'action sociale et de solidarité ». « Il en ressort un très fort désir d'Etat qui oriente, régule cette politique et lui donne un sens », commente Michel Chauvière. Peu amènes, on l'aura compris, à l'égard des orientations politiques actuelles et de la décentralisation des champs sociaux, ceux qui se sont investis dans le débat expriment leur refus de voir se développer une action sociale « segmentée » qui accentue les inégalités territoriales.

Des propositions concrètes

Au-delà de leurs prises de positions générales, les cahiers de doléances formulent des propositions concrètes, au premier rang desquelles le retour à un service social de droit commun, sans règle de domiciliation, et l'accès aux prestations sociales sans rupture des droits. Ils réclament en outre l'application de l'opposabilité du droit au logement, la représentation de l'Etat dans les commissions d'attribution des bailleurs sociaux, le maintien du contingent préfectoral. Dénonçant également une excessive intrusion des procédures dans les structures sociales et médico-sociales, les cahiers proposent que les évaluations des institutions se fassent aussi sur des critères qualitatifs permettant de mieux ajuster les objectifs aux besoins réels. Leurs ressources, soulignent-ils encore, devrait être définies « selon des modalités claires et pérennes ». Ils suggèrent de plus une meilleure reconnaissance du secteur associatif non marchand par la mise en place d'  « observatoires de l'innovation sociale ».

LES CENTRES DE FORMATION FORTEMENT MOBILISÉS

C'est sans doute parmi les formateurs que les états généraux ont insufflé la plus forte dynamique. Plusieurs dizaines d'entre eux ont, avec des professionnels et des étudiants, participé au débat sur la formation organisé le 20 octobre. Au cœur des inquiétudes : la régionalisation de l'organisation et du financement des formations sociales. Faut-il craindre qu'elle entraîne une déqualification des travailleurs sociaux ? Une dérégulation de l'appareil de formation ? Plusieurs initiatives voient le jour pour allumer des contre-feux. L'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social vient de lancer un bulletin d'information à destination des régions pour les sensibiliser à « la nature du travail social, sa définition au regard des nouveaux enjeux ». De son côté, Promofaf Ile-de-France travaille sur un contrat d'études prospectives « localisé » pour identifier les moyens nécessaires aux besoins. Les établissements de la région ont également prévu d'organiser des rencontres régulières sur l'avenir des formations sociales. La première aura lieu à l'Institut régional de travail social de Paris-Parmentier, le 4 novembre.

Face au risque de voir se développer sur le secteur de la prise en charge des personnes âgées et handicapées « un marché aussi libéral que peu scrupuleux », les travailleurs sociaux souhaitent une « co-construction des politiques publiques » entre les autorités et les acteurs concernés. Egalement inquiets des réductions budgétaires dans le champ de la protection de l'enfance, ils soulignent la nécessité de réajuster les prix de journée dans un objectif qualitatif. Autre impératif, outre la protection de tous les mineurs et majeurs isolés : graduer les mesures de protection.

Certes, nombre de ces propositions ont déjà été entendues, notamment lors de la préparation du projet de loi pour la cohésion sociale. Mais les cahiers de doléances ont le mérite d'enfoncer le clou en relayant une réelle attente du terrain. Au total, quelque 4 000 exemplaires ont été remis aux sénateurs, aux députés, au Conseil économique et social, à l'Assemblée des départements de France (ADF), à l'Association des régions de France (ARF), à la direction générale de l'action sociale (DGAS), mais aussi aux associations et syndicats représentatifs du secteur... Mais qu'en retiendront les destinataires ? Grande déception de l'association : Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale, qui a reçu une délégation pendant près de deux heures, a surtout cherché selon eux à « déminer les inquiétudes » (voir encadré). Hiatus entre le terrain et l'administration ? « Alors que la DGAS affirme garder la main sur la politique sociale, les travailleurs sociaux, eux, se trouvent face à des élus qui leur expliquent qu'ils sont désormais aux commandes : on nage en pleine incohérence », proteste Michel Chauvière. « Nos craintes, partagées par les services déconcentrés de l'Etat, ne peuvent se réduire à un problème de communication », ajoute Christine Garcette, membre du conseil d'administration de 7, 8,9 VEGS, déléguée du Clicoss 93.

Pour le reste, l'impact des cahiers de doléances et de leurs propositions semble encore difficile à mesurer. Seuls quelques contacts ont pu être pris pendant la semaine des états généraux, avec des députés, des conseillers généraux à l'échelon local, mais le président de 7, 8,9 VEGS se montre résolument optimiste : « Les cahiers de doléances vont maintenant travailler pour nous, analyse-t-il . Partout où ils ont été diffusés, les personnes sont maintenant informées. Et des rendez-vous ont déjà été pris pour les semaines à venir. »

Si l'association a toujours pour projet de se dissoudre après avoir mis le débat sur la rampe de lancement, elle devrait continuer de fonctionner au moins jusqu'à la fin de l'année pour « honorer » ses engagements. Et ensuite ? « Le nom 7, 8,9 qui a maintenant fait son chemin, va certainement être conservé sous une autre configuration, prévoit Michel Chauvière. Car il est nécessaire que la dynamique ne s'épuise pas, notamment sur le plan local, où les acteurs ont convergé, tous secteurs confondus, hors organisations et en dépassant le domaine de la plainte. » Le conseil d'administration de l'association devrait se réunir le 10 novembre pour y réfléchir. De son côté, la Conférence permanente des organisations professionnelles du social devrait, d'ici au mois de janvier, décider des moyens d'organiser des rencontres bisannuelles du social, avec l'aide d'un comité de suivi ad hoc qui pourrait bien comprendre des personnalités engagées dans 7, 8,9 VEGS.

Mais cette initiative ne représenterait que l'un des moyens de maintenir la dynamique. Les autres leviers possibles ? « Nouer des alliances, estime Jean- Michel Belorgey, conseiller d'Etat et vice-président de 7, 8,9 VEGS. Ce qui signifie que nous allons prendre rendez-vous avec les syndicats et les mouvements familiaux pour les remobiliser, afin qu'ils puissent faire entrer dans leurs programmes des actions envers les plus pauvres. ». Deuxième axe, davantage du ressort des travailleurs sociaux : « Desserrer les contraintes. Il ne s'agit pas d'être insurrectionnel, mais de se positionner à chaque instant et de ne pas plier face aux autorités. » Le troisième enfin : « Faire entendre aux politiques qu'il faut qu'ils prennent des décisions en partant des problèmes du terrain tels qu'on les leur soumet. Ce qui signifie pour eux une certaine prise de risque... » Maintenant que le débat est posé, le plus dur reste à faire...

Maryannick Le Bris

JEAN-JACQUES TRéGOAT (3)  : « NOUS NE COMMUNIQUONS PAS SUFFISAMMENT »

Comment avez-vous perçu le mouvement des états généraux du social ? - Il exprime un sentiment des acteurs du terrain qui ne reflète pas le travail engagé dans les ministères et dans les administrations. Un certain nombre de dispositifs sont en train de se mettre en place dans le cadre du projet de loi pour la cohésion sociale, du plan « Vieillissement et solidarités » et des mesures adoptées par le Comité interministériel de lutte contre les exclusions. Des dispositifs innovants d'accompagnement des personnes âgées et handicapées sont prévues dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002, comme l'organisation de diverses formules de coopération ouvrant la voie à l'instauration de réseaux sociaux et médico-sociaux coordonnés et décloisonnés avec le secteur hospitalier. Ces formules devraient être rapidement précisées par décret. Les états généraux ont retenu des thèmes sur lesquels nous travaillons actuellement, mais sur lesquels nous ne communiquons pas suffisamment. Notre difficulté, aujourd'hui, est de devoir répondre à des besoins collectifs de plus en plus importants, mais aussi de trouver des réponses plus individualisées, comme la compensation de la dépendance. C'est une « nouvelle action sociale » que nous construisons, dans la concertation, et il convient de l'expliquer aux travailleurs sociaux. Je souhaite par ailleurs valoriser les expériences du terrain et les mutualiser, par des méthodes qui restent encore à trouver. Que faire pour la professionnalisation des acteurs sociaux ? - Outre le programme de création de 3 000 nouvelles places en formation, qui se terminera en juillet prochain, nous nous sommes engagés, face aux enjeux de démographie et aux prochains départs à la retraite, dans une réflexion sur d'autres modes de qualification, en développant la validation des acquis de l'expérience, qui sera ouverte à tous les diplômes du secteur social d'ici à 2005. Il faut aussi construire les diplômes de façon à rendre les métiers plus attractifs en permettant des progressions de carrière - c'est l'objectif du certificat d'aptitude aux fonctions d'encadrement et de responsable d'unité d'intervention sociale (Caferuis)  - et en augmentant les passerelles entre les métiers, afin de favoriser une plus grande mobilité transversale, y compris en direction du secteur sanitaire, et en termes de niveau de diplôme. Nous travaillons en outre, à la demande des ministères en charge des affaires sociales et de la santé, à une grande campagne de communication sur ces métiers, que nous construirons avec les professionnels, le Conseil supérieur du travail social (CSTS) et la commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale. Les inquiétudes de 7, 8,9 portent aussi sur la décentralisation...-  Il est prévu dans l'ensemble des textes, qui visent à la fois à plus de cohérence et à plus de justice au bénéfice des usagers, que l'Etat reste garant de l'équité nationale et conserve sa fonction régalienne d'édicteur de normes. L'Etat se donne les moyens et les outils, dans le respect de la liberté des collectivités locales, de garder la main sur l'orientation, la régulation, l'évaluation et le contrôle les politiques d'action sociale. Il continue de contrôler la qualité des formations, en amont et en aval de leur organisation. Nous allons d'ailleurs solliciter l'ADF et l'ARF pour qu'elles soient davantage présentes au CSTS, au sein duquel elles ont toute leur place. L'objectif étant de donner des orientations nourries d'expériences du terrain. Propos recueillis par M. LB.

Notes

(1)  www.789etatsgenerauxdusocial.com.

(2)  Voir ASH n° 2377 du 15-10-04.

(3)  Directeur général de l'action sociale.

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