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L'impossible prise en charge des déboutés

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Contradictions de l'action publique, tiraillements entre services de l'Etat, découragement des acteurs de terrain... Dans un rapport que les ASH se sont procuré, les inspections générales des affaires sociales et de l'administration dressent un sombre tableau de l'accueil et de la prise en charge des familles déboutées du droit d'asile. Et préconisent l'assouplissement des critères de régularisation de ces populations, souvent installées en France depuis longtemps.

La commande était précise. La lettre de mission du 5 août 2003 signée par Nicolas Sarkozy, François Fillon et Dominique Versini, respectivement, à l'époque, ministre de l'Intérieur, ministre des Affaires sociales et secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et les exclusions, demandait aux rapporteurs d' « examiner l'ensemble des difficultés posées par la présence de familles déboutées du droit d'asile dans les dispositifs d'accueil financés par l'Etat ». Mais le document remis en janvier dernier par Maxime Tandonnet et Hélène de Coustin, membres de l'inspection générale de l'administration, et Jean-François Benevise et Olivier Toche, membres de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS)   (1), dépasse largement le cadre d'analyse fixé par le gouvernement, les rapporteurs estimant en effet que « la question des familles des demandeurs d'asile déboutés ne peut pas être traitée séparément de la question de l'asile dans son ensemble, dont elle découle directement ».

Dans le sillage des précédents rapports consacrés à la question (2), les inspecteurs font ressortir les carences et les contradictions du dispositif d'accueil et d'accompagnement social des demandeurs d'asile en France. Partant d'un constat alarmant -des flux d'entrées croissants et des délais de réponse interminables -, ils dressent un tableau critique de la prise en charge sociale des demandeurs d'asile avant d'évaluer sans complaisance les premiers effets de la réforme du droit d'asile du 10 décembre 2003 (3) et d'émettre un certain nombre de recom- mandations.

Le constat, tout d'abord, est connu. Le nombre de demandeurs d'asile ne cesse d'augmenter : il a triplé entre 1998 et 2002, passant de près de 24 000 à environ 74 000. Le nombre de familles demandant l'asile serait, quant à lui, compris chaque année entre 7 000 et 8 000, soit quelque 23 000 à 25 000 personnes. Face à l'afflux de demandes, les délais de traitement des dossiers sont « toujours trop longs », regrette la mission. Si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a réussi, « grâce à des efforts significatifs, à réduire sensiblement ses délais, qui sont passés en un an de dix mois à deux mois et demi », cette accélération des procédures a paradoxalement entraîné « un engorgement de la commission des recours des réfugiés et un allongement du délai d'examen des décisions en appel ». Résultat : le délai global d'instruction d'une demande d'asile conventionnel avoisinait 19 mois fin 2003, et 6 mois pour l'asile territorial (4). Ainsi, concluent les rapporteurs, « les demandeurs d'asile, isolés ou en famille, doivent trouver des solutions pour se loger et se nourrir pour des durées qui sont rarement inférieures à deux ans, avant d'être définitivement fixés sur leur sort ». Et le dispositif de prise en charge sociale de ces personnes sans ressources, qui ne sont pas autorisées à travailler, frôle désormais « la rupture ».

L'engorgement des structures d'hébergement

Concernant l'hébergement des demandeurs d'asile, le diagnostic est sans appel : « le dispositif national d'accueil n'est en mesure de satisfaire qu'entre un tiers et la moitié des demandes effectives des publics éligibles, et encore grâce principalement à la création de nouvelles places ». Malgré les 8 000 places créées en cinq ans dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), seules 52,8 % des demandes de publics prioritaires (majoritairement des familles) ont ainsi été satisfaites (5). Du coup, les demandeurs d'asile, et notamment les familles déboutées, se retrouvent dans les dispositifs d'hébergement de droit commun. La mission estime que 15 % des places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale sont mises à contribution pour les accueillir et que les établissements d'urgence gérés par des associations caritatives sont de plus en plus souvent sollicités. Mais, selon le rapport, « le mode d'hébergement qui est le plus fréquemment utilisé pour les familles et dont les effectifs ont littéralement explosé, c'est la chambre d'hôtel meublée ». Les demandeurs d'asile sont alors contraints de vivre dans « l'inactivité forcée, la promiscuité et parfois des conditions sanitaires douteuses ». Avec un taux d'accompagnement social moindre : 1 travailleur social pour 100 à 400 personnes en moyenne dans un hôtel contre 1 pour 10 en CADA. Cette diversité des modes d'hébergement entraîne de fortes inégalités face à la procédure d'asile : si le taux d'acceptation s'élève à 71 % en CADA, il chute en moyenne à 23 %dans les autres dispositifs. Dépassant le cadre de la mission, les inspecteurs signalent au passage les difficultés croissantes des réfugiés pour sortir des centres d'hébergement, dans un contexte où tous les instruments d'accès au logement, et notamment le logement social, sont grippés.

Autre aspect pointé par les rapporteurs : les aides versées aux demandeurs d'asile. Elles sont jugées « inégales, inadaptées et mal ciblées ». Par exemple, l'allocation d'insertion (9,69  € par jour), destinée aux demandeurs d'asile conventionnel, ne prend pas en compte la charge de famille et n'est versée que pendant un an alors que la procédure d'asile peut s'avérer beaucoup plus longue.

La gestion des dépenses des services de l'Etat fait elle aussi l'objet de virulentes critiques. Ainsi, « face à la croissance des demandes, essentiellement liées à l'hébergement, les services de l'Etat disposent de moyens budgétaires insuffisants, d'instruments de pilotage éclatés sans réelle visibilité d'ensemble des besoins, ni même de l'effort global déjà consenti ».

Cette situation se révèle aussi « destructurante » pour les familles que « paradoxale » pour les services ou les associations. Pour les rapporteurs, l'absence de solutions et les contradictions du système « sont génératrices d'un sentiment largement partagé de malaise et d'impuissance ». Malaise des services de l'Etat, d'abord. Les agents des services des étrangers des préfectures sont « soumis à la pression de files d'attente importantes et à la gestion de procédures complexes ». De leur côté, les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et, plus largement, les services sociaux ont été confrontés à ces nouvelles questions de prise en charge « sans formation préalable ». Et beaucoup ont le sentiment de subir les objectifs contradictoires de l'action publique : « on leur demande tout à la fois de faire sortir les personnes déboutées et de systématiquement reloger les familles à la rue », résument les inspecteurs. Au niveau même de l'Etat, « les relations entre les DDASS et les préfectures sur le sujet ne sont pas toujours très sereines », font-ils observer, ajoutant que « les associations, qui ont pourtant contractualisé avec l'Etat, sont souvent confrontées à des incompréhensions ». Par ailleurs, les responsables des structures d'insertion ont du mal à prendre en charge des publics éloignés de leurs missions d'origine. Ils se disent tenaillés entre deux logiques contradictoires : l'obligation d'accueillir des personnes en détresse et le risque d'être accusés d'aide au séjour irrégulier. Au final, « la mission retire des entretiens et des tables rondes qu'elle a conduits l'impression d'acteurs souvent découragés, d'un système subi, parfois incohérent, toujours complexe, au bord de la rupture, où les situations illégales, comme le travail au noir ou l'occupation de locaux désaffectés, sont parfois tacitement encouragées, et où il est préférable de ne pas afficher les faits (nombre de personnes concernées, crédits alloués, degré d'intégration) pour ne surtout pas affronter les réalités ».

Constat implacable donc. La récente réforme du droit d'asile peut-elle modifier la donne ? Là encore, les inspecteurs en doutent. Les délais d'instruction des dossiers, bien loin de diminuer, risquent même de s'allonger : « une période bien délicate pour le système français de l'asile, marquée par un grave engorgement, est vraisemblablement à prévoir jusqu'à la fin de l'année 2005 au moins », calculent les rapporteurs. Par ailleurs, « la plus grande incertitude » pèse sur l'impact de la réforme pour l'accueil des familles. Dans un scénario optimiste, le désengorgement des structures d'hébergement n'est prévu qu'à partir de 2006.

Enfin, pour donner « un nouvel élan » à cette politique d'asile, la mission émet plusieurs recommandations. Afin d'améliorer le système d'hébergement, les inspecteurs suggèrent de poursuivre et d'amplifier l'effort de création de places en CADA (soit 15 000 places supplémentaires à délais d'instruction des dossiers inchangés), de mieux répartir ces structures sur le territoire et de renforcer l'accompagnement social dans l'accueil hôtelier. Pour rénover la prise en charge des demandeurs d'asile, les rapporteurs préconisent la généralisation et l'extension du service rendu par les plates-formes pour les familles (6). Le rapport propose également de réformer l'allocation d'insertion en alignant sa durée de versement sur celle de la procédure tout en la supprimant en cas de refus d'une offre d'hébergement. Autre recommandation : donner la possibilité aux demandeurs d'asile de suivre une formation au français et de valoriser leurs compétences professionnelles. La participation des personnes hébergées en CADA à leur fonctionnement est une piste envisageable, comme l'accès à des emplois saisonniers dans le secteur marchand ou à un contrat de travail dans le secteur non marchand. Concernant l'accès des demandeurs d'asile à l'emploi, pour lequel plaidait la précédente mission de l'IGAS, les inspecteurs considèrent que l'accès sans limite au marché du travail pourrait être posé comme « le contrepoint d'une procédure anormalement longue », d'une durée par exemple supérieure à un an (7).

Enfin, pour sortir de l'impasse les familles déboutées du droit d'asile, le rapport envisage deux solutions complémentaires, l'assouplissement des critères de régularisation et la relance de la politique de retour volontaire. Les reconduites forcées à la frontière sont ainsi clairement écartées : « l'éloignement forcé juridiquement possible ne peut être une formule acceptable s'agissant de familles implantées depuis plusieurs années », insiste-t-il. Le rapport conseille de suivre l'exemple britannique, qui a permis la régularisation de 15 000 familles en situation illégale en 2003. Pour mettre en œuvre une telle mesure en France, les inspecteurs recommandent un nouvel examen au cas par cas des dossiers, auquel les associations concernées et les services déconcentrés de l'Etat pourraient être pleinement associés, dans la mesure où ils disposent d'une bonne connaissance des familles. Autre piste à développer, le retour volontaire. La mission met l'accent sur la nécessité de  « permettre aux personnes qui acceptent d'adhérer à ces dispositifs de rentrer “la tête haute” ». Et souhaite que ce retour volontaire devienne une véritable alternative à l'éloignement forcé des familles déboutées.

Florence Pagneux

Notes

(1)  Analyse et propositions relatives à la prise en charge des familles déboutées du droit d'asile - Maxime Tandonnet, Hélène de Coustin, Jean-François Benevise et Olivier Toche - Inspections générales de l'administration et des affaires sociales - Janvier 2004.

(2)  Voir notamment ASH n° 2252 du 1-03-02.

(3)  Voir ASH n° 2340 du 2-01-04.

(4)  La réforme du droit d'asile prévoit le remplacement de l'asile territorial par la protection subsidiaire, placée sous la responsabilité de l'OFPRA et non plus des préfectures.

(5)  Ce chiffre, pourtant faible, est en nette amélioration par rapport aux années précédentes : en 2001, 34, 5 % des demandes avaient été satisfaites et à peine 24,8 % en 1999.

(6)  A Paris, le SAMU social et trois associations ont signé une convention avec l'Etat pour piloter des plates-formes spécialisées en direction des familles étrangères en grande difficulté. Outre l'hébergement assuré par le SAMU social, les associations proposent un accompagnement social et administratif (accès aux soins, à la scolarisation, aux aides caritatives, aide psychologique, travail sur un éventuel projet de retour...).

(7)  Les rapporteurs relèvent d'ailleurs que la circulaire de septembre 1991 n'a pas interdit aux demandeurs d'asile de travailler mais n'a fait que supprimer l'automaticité qui prévalait auparavant en leur rendant opposable la situation du marché de l'emploi.

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