Qui s'est déjà essayé au jeu du portrait chinois sait que les réponses cernent souvent, avec une finesse teintée d'humour, les traits marquants de la personnalité à découvrir. C'est à un exercice du même style que Jean Brichaux, psychologue clinicien et psychopédagogue, a convié une large palette de connaisseurs du travail social. Educateurs ou anciens éducateurs dans leur majorité, les auteurs sont invités à « parler autrement » de l'activité socio-éducative, à partir d'une métaphore de leur choix. Sans surprise, plusieurs d'entre eux se retrouvent - et se complètent - autour des mêmes images, notamment celles du passeur, de l'éveilleur et du rêveur, du stratège, de l'artiste ou du magicien. Dans tous les cas, loin d'être purement réthoriques, les approches s'avèrent éclairantes. Après avoir hésité à participer à l'entreprise, le sociologue Michel Chauvière a relevé le gant parce que l'éducateur lui semble être devenu « un mal-aimé », qui mérite bien cet effort de langage et de pensée. Il propose de désigner l'intéressé par le néologisme de « propédeute », forgé en souvenir de sa première - et décisive - année d'études universitaires, alors appelée propédeutique. Agent de transition et de transmission, son « propédeute imaginaire » est à la fois celui qui parie sur les ressources d'autrui pour tenter d'infléchir au mieux les conditions de son devenir, et qui l'aide à donner du sens à la vie, « ce qui passe par mettre des mots sur l'expérience, le vécu et toutes les petites choses de l'ordinaire ». Si le langage est bien l'outil privilégié de la relation éducative- cet « entre- deux » où se tricote « l'art subtil du bricolage humain », décrit par Joseph Rouzel, lui-même ex-bricoleur devenu psychanalyste et formateur -, Jacques Ladsous, autre ancien éducateur, insiste, lui, sur le rôle d'observateur d'un éducateur photographe. A l'instar de celui-ci, qui multiplie les prises de vue pour faire apparaître la personnalité du sujet photographié, l'éducateur procède par approches successives et mises en situations diversifiées dans des cadres changeants, jusqu'à voir peu à peu émerger la personne. « Observer, révéler, valoriser » : ces trois verbes d'action du photographe d'art, écrit Jacques Ladsous, sont aussi ceux qui caractérisent l'éducateur dans sa fonction d'accompagnement social. « Les éducateurs, comme les artistes, tentent de créer un monde dans lequel on pourrait avoir moins la nausée », affirme, de son côté, Jacques Loubet, formateur en travail social, saluant avec chaleur ces « jardiniers de l'impossible », également qualifiés de « poêtres ». Ailleurs, l'homme de l'art sera dit « musicien », « alchimiste », ou « orpailleur du quotidien ». Daniel Terral, éducateur spécialisé qui développe brillamment cette dernière trouvaille, n'en estime pas moins que « le métier d'éducateur a toujours autant de mal [...] à se définir, ou se laisser définir ». On peine à le croire au vu de ce chatoyant manteau d'Arlequin.
L'éducateur d'une métaphore à l'autre. Parler autrement de l'éducateur... - Sous la coordination de Jean Brichaux - Ed. érès -23 € .