Monsieur le Ministre, faites-nous confiance ! » Lancée le 14 octobre par Claudy Lebreton, le nouveau président de l'Assemblée des départements de France (ADF) (1) réunie en congrès à Bordeaux, l'apostrophe s'adressait à Jean-Louis Borloo. Etonné que le plan de cohésion sociale défendu par le ministre (2) sollicite à peine le conseil général, l'élu des Côtes- d'Armor lui a affirmé qu'il n'y avait « pas de politique de cohésion sociale possible sans un appui résolu sur les départements » et même que « la cohésion sociale, c'est le département ». La preuve : depuis la vingtaine d'années qu'elle lui est confiée, l'action sociale est devenue son « cœur de métier » et il y consacre la moitié de son budget de fonctionnement.
D'accord avec « bon nombre des constats » formulés dans l'exposé des motifs du projet de loi, le président de l'ADF s'est interrogé sur plusieurs de ses dispositions. En matière d'emploi, il s'inquiète des modalités de la création du contrat d'avenir, qui « enjambe le département pour traiter directement avec les communes et leurs groupements », au risque de créer une « concurrence entre collectivités » et une « incohérence » avec la loi qui vient d'attribuer la gestion complète de l'insertion au département. Ce qui ne peut se traduire que par une « complexité administrative avec la multiplication des circuits de décision, l'enchevêtrement des dispositifs, la redondance des commissions ». L'ADF propose donc qu'un pilotage départemental des contrats d'avenir soit confié aux conseils généraux. Elle souhaite aussi que « le rôle pivot » des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) soit conforté pour l'insertion professionnelle des jeunes. Quant aux maisons de l'emploi, l'assemblée demande quels organismes y seront accueillis, la place qu'elles réserveront aux collectivités locales et qui les financera sachant qu'elles coûteront « cher, surtout en fonctionnement » (3).
Tout en soutenant les objectifs affichés en matière de construction de logements sociaux, l'ADF regrette l'approche « politique de la ville » et l'oubli de l'accompagnement des publics précaires. Elle s'inquiète par ailleurs des crédits alloués aux fonds de solidarité logement.
La mise sur pied de 750 « équipes de réussite éducative » destinées à venir en aide aux « enfants en fragilité » risque de « rester dans les limbes » si elle ne s'accompagne pas de la désignation d'un chef de file, estime aussi l'ADF. Si ces équipes devaient jouer un rôle privilégié en matière de prévention, elles chevaucheraient l'action des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance et de la protection maternelle et infantile. Deux raisons qui l'amènent à demander qu'en cette matière aussi, un « rôle prépondérant » soit confié au département.
« Notre conception de la décentralisation, ce n'est pas un Etat donneur d'ordres et des collectivités en position de sous-traitants, chargées de surcroît de financer les réalisations qu'on leur impose », a martelé Claudy Lebreton en évoquant deux autres motifs d'inquiétude. Pour le revenu minimum d'insertion (RMI) transféré depuis janvier, le décalage entre les acomptes mensuels versés par le département aux caisses et les recettes perçues de l'Etat « peut avoisiner un mois de trésorerie ». Le retard global est estimé à 200 millions d'euros à la fin septembre. Une donnée qu'elle espère voir corriger à l'occasion de la prochaine loi de finances. Quant à l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA), que l'Etat devait initialement financer à 50 %, sa participation à la dépense n'a été, en réalité, que de 43 % en 2002, 40 % en 2003 et devrait tomber à 37 % en 2004. L'assemblée réitère donc sa demande d'une « répartition pérenne » des charges entre l'Etat et les départements.
Rien d'étonnant, dès lors, à ce que, en matière de politique du handicap, l'Assemblée des départements de France se dise prête à envisager « des transferts cohérents avec l'ensemble de ses compétences », à condition qu'ils soient compensés « par une ressource fiable et dynamique ». Pas question cependant de se prêter aux « tentatives de décentralisation du champ sanitaire » qui remettraient en cause, à terme, le système national de sécurité sociale.
Bien que Claudy Lebreton ait appelé l'assemblée à « s'ouvrir à l'écoute et aux sollicitations » d'un « mouvement associatif puissant et diversifié », les élus ont exprimé vigoureusement leur opposition à la gestion de la maison départementale du handicap par un groupement d'intérêt public, solution demandée par les associations et retenue par le gouvernement, mais qu'ils trouvent « rigide » et craignent surtout de ne pas maîtriser. Leur préférence irait à une organisation sous la forme d'un établissement public (formule qui est celle des centres communaux d'action sociale) ou d'une simple commission comparable à celle qui attribue l'APA.
Sur un plan plus général, l'ADF rappelle le principe proclamé d'une compensation intégrale des transferts de compétences, ce qui suppose à ses yeux une évaluation des coûts « rigoureuse » et « contradictoire » et l'association des assemblées d'élus concernées à la mise au point des modalités de transmission des ressources. Enfin, pour tenir compte de la diversité des départements, elle plaide pour une péréquation « juste, lisible, fondée sur des critères simples et compréhensibles ». En songeant notamment aux départements ruraux et à ceux d'outre- mer, ces quatre derniers figurant parmi les collectivités qui comptent le plus de bénéficiaires du RMI.
(1) ADF : 6, rue Duguay-Trouin - 75006 Paris - Tél. 01 45 49 60 20.
(2) Voir ASH n° 2374 du 24-09-04.
(3) Sur les propositions d'amendements du secteur associatif, voir ASH n° 2376 du 8-10-04.