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Etats généraux du social : prendre la parole, et après ?

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Christine Garcette et Bernard Cavat, tous deux membres du conseil d'administration de l'association «  7, 8,9 - Vers les états généraux du social » (7, 8,9 VEGS), s'interrogent, chacun de son côté, sur la portée de cette mobilisation, même relativement modeste, dont la semaine du 18 au 24 octobre constituera le point d'orgue. Si la première la considère comme « une contribution forte à un nouveau projet d'action sociale », le second y voit « une expérimentation de la capacité de ce secteur professionnel à faire irruption dans le débat public » et « un modèle d'évaluation collectif original » des institutions.

Christine Garcette Membre du conseil d'administration de l'association 7, 8,9 VEGS et déléguée du Comité de liaison et de coordination des services sociaux (Clicoss) de la Seine-Saint-Denis

« Depuis maintenant deux ans, l'association 7, 8,9 -Vers les états généraux du social s'est donné pour mission d'inciter par tous les moyens à une prise de parole sur les questions sociales, qu'elle soit individuelle ou collective, qu'elle émane de travailleurs sociaux, d'usagers ou d'élus... Il nous paraissait indispensable de sortir de “la chape de plomb” que nous constations trop souvent les uns et les autres dans nos univers professionnels et quotidiens.

La démarche d'états généraux nous semblait propice à recueillir doléances, propositions, témoignages, réflexions, afin d'enrichir un débat que nous souhaitions le plus large possible. Nous n'avions pas d'autre programme en tête (ce qui a paru suspect à certains !) que de solliciter cette parole et de la porter à qui de droit, dans les nombreux lieux de décision en matière d'action sociale.

Force est de constater, deux ans après, que cette initiative de quelques-uns n'a pas suscité de “raz-de-marée” de la part des travailleurs sociaux.

Il n'était certes pas dans notre objectif de limiter ces états généraux à la seule question du travail social. Mais du fait même de la proximité de plusieurs fondateurs de l'association avec le travail social, du fait aussi d'interpeller les professionnels comme naturellement témoins au quotidien des dysfonctionnements sociaux, nous attendions une plus large réaction de leur part.

Certains ont saisi l'opportunité qui était proposée de faire entendre leur voix. D'autres, en revanche, ont considéré qu'ils n'avaient rien à dire, qu'ils ne voyaient pas l'intérêt de la démarche ou encore que, happés par les difficultés du quotidien, ils n'arrivaient pas à trouver le temps nécessaire à cette prise de parole.

Peut-être y a-t-il un peu de vrai dans tout cela. Pour côtoyer régulièrement les professionnels de l'intervention sociale dans la Seine-Saint-Denis, je peux pourtant témoigner de la force de conviction dont ils font preuve, de la ténacité avec laquelle ils continuent envers et contre tout à s'engager auprès des populations en difficulté, même quand les politiques publiques ne suivent pas ou suivent mollement. Mais franchir le pas pour communiquer sur ce qu'ils font leur est difficile : “agir : oui ; en parler : pour quoi faire ?” Au risque de paraître absents de la scène sociale, de laisser à d'autres le loisir de parler à leur place ou, plus grave encore, d'être rendus responsables, comme cet été dans les médias, de tous les dysfonctionnements en matière de protection de l'enfance...

Pourtant, force est aussi de constater, que depuis deux ans, diverses formes de mobilisation ont vu le jour et sont parvenues à se faire entendre : qu'il s'agisse des collectifs de travailleurs sociaux sur la question du logement, du collectif unitaire contre le projet de loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance, des travailleurs sociaux ont montré qu'ils étaient présents au rendez-vous. L'association 7, 8,9 - Vers les états généraux du social était d'ailleurs à leurs côtés dans les manifestations.

Des cafés sociaux ont vu le jour, dans plusieurs villes de France, parfois au sein même des centres de formation de travailleurs sociaux. Ils permettent une parole différente entre étudiants et formateurs, également entre professionnels et usagers. Des supports divers ont été explorés et utilisés avec succès : théâtre, expositions, repas festifs, envoi de courriers aux élus... Ils ont permis une expression plus libre, ainsi qu'une recherche partagée de sens et de projets, entre des mondes qui trop souvent ne se côtoient pas. Des témoignages sont parvenus sur le site de l'association (www.789etatsgenerauxdusocial.com) ou lors de la permanence téléphonique hebdomadaire, des usagers ont participé à des colloques habituellement réservés aux professionnels... Tous ces efforts ont contribué à construire un autre regard, à mutualiser les expériences et les attentes.

Ces mots confiés à 7, 8,9 depuis deux ans expriment l'inquiétude des usagers comme celle des professionnels, notamment devant le projet de société qui progressivement se dessine, auquel on leur demande de collaborer, trop souvent au détriment de leurs droits les plus élémentaires ou de leurs convictions éthiques.

Les cahiers de doléances et de propositions, qui seront remis aux pouvoirs publics dès le premier jour de la semaine de mobilisation nationale, rappellent avec force que toute intervention sociale organisée doit rester du côté des personnes et des groupes, des droits individuels comme des droits collectifs, du côté des institutions sociales. Ils rappellent aussi que la démocratie sociale et la libre participation des usagers sont autant de conditions pour un réel service à la personne.

L'association 7, 8,9 - Vers les états généraux du social a annoncé dès le départ son intention de se dissoudre fin 2004. Beaucoup disent ne pas comprendre cette décision qui risque de mettre à mal le mouvement qui s'est instauré au fil des mois et qui s'amplifie ces dernières semaines. C'est oublier que l'association ne s'est constituée que pour servir de support à la démarche des états généraux du social et qu'elle n'a pas pour vocation de devenir un mouvement professionnel ou citoyen. C'est également oublier que ses fondateurs, bien évidemment, vont continuer, là où ils exercent et militent, à témoigner de l'importance de cette prise de parole de chacun et des enjeux collectifs de l'action sociale. C'est oublier, enfin, que le principal défi de la démarche est de faire en sorte que les relais existants s'assurent que la parole inscrite dans les cahiers remis aux pouvoirs publics soit réellement prise en compte et suivie d'effets.

Il est de la responsabilité de chacun, et en particulier des travailleurs sociaux, de faire en sorte que la démarche initiée il y a maintenant deux ans n'apparaisse ni comme un sursaut ponctuel sans lendemain, ni comme un baroud d'honneur sans réalisme, mais bel et bien comme une contribution forte à un nouveau projet d'action sociale. »  

Clicoss 93 : 22, rue Hector-Berlioz - 93000 Bobigny - Tél.01 48 32 93 98. Bernard Cavat Membre du conseil d'administration de l'association 7, 8,9 VEGS, directeur général de la Sauvegarde de l'Orne, vice-président du mouvement Education et Société et animateur de la Conférence permanente des organisations professionnelles du social

« Initiée il y a maintenant deux ans par quelques personnalités (travailleurs sociaux, chercheurs, politiques), relayée par une association ad hoc et soutenue entre autres par nombres d'organisations professionnelles, la dynamique des états généraux du social, visant à “libérer la parole” et à “interpeller le dispositif public”, trouve son apogée dans la semaine d'action du 18 au 23 octobre. Diversement appréciée dans le champ institutionnel du travail social et ne parvenant pas à une véritable mobilisation de masse, cette initiative porte pourtant déjà ses fruits : démultiplication des débats et échanges un peu partout en France, décloisonnement de la réflexion entre professionnels, prise de conscience de l'urgence de prendre la parole dans le débat public et droit d'inventaire d'un travail social à la recherche de ses fondamentaux.

Dans le même temps ou presque, la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale, certains de ses décrets (dont le problématique décret de tarification) et les orientations de l'acte II de la décentralisation confrontent les acteurs institutionnels privés et publics à des questions devenues incontournables : la nouvelle donne en matière de compétences et d'attributions aux différentes collectivités publiques est-elle conciliable avec leurs capacités propres d'organisation administrative et de financement ? Le secteur associatif, menacé d'instrumentalisation par la puissance publique, dispose-t-il aujourd'hui des moyens de représentation propres à préserver son rôle d'acteur dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales et médico-sociales ? L'organisation de l'Etat, à travers notamment la déconcentration de certains de ses services, est-elle à même de garantir, aujourd'hui et demain, les prérogatives d'un Etat de droit régulateur des excès du tout-libéral ?

Enfin, nous constatons, en lien avec les mutations en cours, la montée en puissance de l'apport de certains sociologues, philosophes ou universitaires, sur les questions du sens et des finalités du travail social, voire sur la réactualisation du rapport à l'éthique et au politique des professionnels de ce secteur (1). Dans un tel contexte, l'analyse de professionnels engagés depuis de nombreuses années dans le décloisonnement des échanges inter-institutionnels, dans la mise en réseau des organisations

 représentatives et, pour certains, dans la gestion même d'équipements sociaux et médico-sociaux, semble avoir toute sa place !

Sale temps pour le secteur associatif non lucratif, coincé entre les prétentions de l'entreprise privée lucrative à développer les missions du social et médico-social dans le cadre de la libre entreprise (au service du marché), et les prétentions des collectivités territoriales à organiser de véritables délégations de services publics, peu respectueuses de l'identité même des opérateurs associatifs !

Certes, la défense des prérogatives du secteur non lucratif dans la menée des actions sociales et médico-sociales face au credo libéral de la libre concurrence ne date pas d'aujourd'hui. Mais la simultanéité des attaques du Medef contre le secteur associatif, de l'émergence de dispositif de solvabilisation de l'usager (telle l'allocation personnalisée d'autonomie) et du centrage de la loi du 2 janvier 2002 sur l'usager acteur (client ?) ne peut que réactiver certaines inquiétudes, d'autant plus légitimes que, loin d'un simple débat idéologique, c'est la conception même de la solidarité d'une société vis-à-vis de ses membres les plus fragiles qui est ainsi interrogée. Attention au risque de stigmatisation renforcée des populations les moins solvables ou les plus dérangeantes pour l'ordre public !

Une représentation défaillante

Nous touchons là au paradoxe du secteur associatif, qui a su imposer, historiquement, sa légitimité d'acteur du champ social et médico-social jusqu'à devenir le principal gestionnaire des équipements, services et établissements œuvrant dans ce domaine, mais qui, dans le même temps, n'a pas su s'organiser une représentation cohérente et transversale propre à peser dans les négociations avec la puissance publique. Peu à peu, une branche professionnelle se constitue autour de l'Unifed, la création d'un fond unique d'assurance formation de branche (Unifaf) participe à cette construction mais la répartition des rôles entre fédérations employeurs, syndicats employeurs et organisations professionnelles reste à interroger : à quand l'émergence d'une confédération unitaire respectueuse des identités de chacun articulant de façon cohérente l'ensemble des champs de compétences aujourd'hui bien trop cloisonnés ?

Pour Michel Chauvière, président de l'association 7, 8, 9, “les états généraux du social sont avant tout une remobilisation des acteurs, une revitalisation du débat et un partage des innovations”. Il conviendrait de rajouter que cette dynamique est également une véritable expérimentation de la capacité de ce secteur professionnel à faire irruption dans le débat public !

A travers le travail d'analyses, de diagnostics, de doléances et de propositions mené sur chacun des “fronts” de positionnement de 7, 8, 9, nous voyons également émerger une mise en acte expérimentale de l'évaluation dans le champ social et médico-social. Alors même que la loi du 2 janvier 2002 impose une réflexion nouvelle sur la notion d'évaluation interne et externe au sein des établissements et services, les interrogations portées par les états généraux du social sur le sens du travail social, ses finalités et ses carences représentent un modèle d'évaluation collectif original du dispositif institutionnel. Or, d'après les remontées, les institutions du travail social - établissements, services ou organisations professionnelles -manquent de lisibilité. Et c'est donc la lisibilité du contrat social et la raison d'être de ces institutions qui sont requestionnées : quelles garanties démocratiques apportent-elles au “faire société” ensemble ?

Poser la question de leur rôle, c'est s'intéresser à leur responsabilité, autrement dit à ce qu'elles garantissent dans la qualité des pratiques professionnelles auprès des usagers. Institutions représentatives du travail social et organisations employeurs ont pour première vocation d'offrir un cadre sécurisé à un exercice professionnel à risque, car la relation à l'autre en travail social repose toujours sur une prise de risque. Le projet institutionnel nous semble être l'élément central de ce cadre sécurisé, projet clairement énoncé et collectivement élaboré à l'intérieur duquel professionnels et usagers se voient autoriser une certaine marge de manœuvre propre à favoriser un engagement réciproque.

Pour Saül Karsz, la question de l'éthique se pose essentiellement autour du libre arbitre : “Qu'est-ce que je fais, en tant que professionnel, de la parcelle de pouvoir que je détiens ?”   (2). Pour lui, la dialectique entre contrainte institutionnelle et marge d'autonomie, donc de responsabilité, est au centre de toute réflexion sur le sens du travail social.

Nous ne pouvons que souhaiter que le secteur social et médico-social, aujourd'hui en pleine évolution, continue à s'affronter aux questions du sens et de l'éthique du travail social ! »

Sauvegarde de l'Orne : 6, rue Anne-Marie-Javouhey - 61005 Alençon Tél.02 33 80 65 40.

Notes

(1)  Voir notamment le débat entre Michel Chauvière et Saül Karsz dans les ASH n° 2373 du 17-09-04.

(2)  Voir ASH n° 2373 du 17-09-04.

TRIBUNE LIBRE

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