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Pour une gestion urbaine et sociale de proximité

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Le maire est-il le chef d'orchestre le plus légitime pour piloter le partenariat entre les différents intervenants auprès d'un jeune en difficulté ? C'est en tout cas l'avis de Jean-Marie Petitclerc, éducateur spécialisé et créateur de l'association Le Valdocco à Argenteuil (Val-d'Oise).

« Voici plus de 30 ans qu'a été promulgué l'arrêté du 4 juillet 1972 définissant les modalités de l'intervention sociale qualifiée de “prévention spécialisée”. Il venait officialiser la reconnaissance d'une pratique née durant les années de l'après- guerre. Que de changements au cours de ces trois décennies en termes de montée du chômage et de l'exclusion, de ghettoïsation des quartiers sensibles, de faillite de l'école et d'explosion de la délinquance juvénile. Et pourtant, bien souvent, lorsque je lis des propos d'éducateurs de prévention spécialisée, j'ai du mal à les dater. Tout a changé, le contexte, les problématiques, les politiques... mais le discours, qui paraît parfois plus relever de l'idéologie que de la pertinence, reste le même, signe peut-être d'une difficulté de la prévention spécialisée à s'adapter.

Face à l'ampleur des problèmes posés actuellement et à leur aspect à la fois collectif et intriqué, seule une approche véritablement partenariale peut avoir quelque efficacité. Considérer les jeunes comme des acteurs de changement et travailler de manière concertée avec les différents partenaires constituent, à mes yeux, aujourd'hui les deux axes principaux à développer pour sauvegarder la pertinence de la prévention spécialisée.

Mais si beaucoup d'éducateurs se reconnaissent dans un tel discours, il reste encore un long chemin à effectuer pour que ces principes s'inscrivent réellement dans les pratiques. En fait, une véritable conversion est à opérer. Trop longtemps, on a pensé que, lorsqu'un jeune posait problème dans sa famille ou dans l'institution scolaire, il fallait faire appel au spécialiste qui serait capable de trouver la solution là où les autres partenaires avaient échoué. C'est ainsi qu'on avait souvent tendance à définir la tâche de l'éducateur spécialisé. On commence à prendre conscience à présent que, lorsqu'un jeune pose problème, l'urgent est de réunir l'ensemble des adultes qui cheminent auprès de lui (en première place, ses parents, ainsi que tous les partenaires associatifs et institutionnels), afin d'instaurer une cohérence autour d'un projet commun. L'éducateur spécialisé doit travailler à cette cohérence.

On ne soulignera en effet jamais assez combien l'incohérence des adultes accompagnant les enfants et les adolescents sur les chemins d'éducation contribue gravement à l'impossibilité dans laquelle se trouvent ces jeunes d'intégrer repères et limites. Lorsque deux adultes ayant place de référents dans la tête de l'enfant se discréditent, ils ne peuvent que se saborder ensemble. Le problème majeur rencontré actuellement par tous les travailleurs sociaux qui œuvrent auprès de la jeunesse en difficulté réside dans leur perte de crédibilité, qui mine toute possibilité d'établissement d'une relation d'autorité. Travailler à la restauration de ce “crédit” ne peut passer que par l'attention portée à la cohérence des différents intervenants.

De la cohérence pour restaurer la crédibilité

La mise en œuvre de celle-ci nécessite le développement du partenariat entre tous les intervenants (éducateurs, assistants de service social, enseignants, animateurs, entrepreneurs, élus, habitants...). Les approches sont encore, ici ou là, trop souvent conflictuelles, chaque intervenant se réfugiant dans la bulle de son savoir-faire propre. Bien sûr, il est nécessaire de respecter la fonction de chacun, et chaque intervenant doit s'appuyer sur sa propre déontologie. La confusion des rôles n'est jamais signe de progrès.

Parler de cohérence nécessite de poser la question : qui en est le garant ? Il existe aujourd'hui dans notre pays un vrai débat à ce sujet. Toutes les institutions veulent faire du partenariat, mais à condition de le piloter elles-mêmes. Il faut un pilote reconnu par tous. Je suis de ceux qui pensent que le maire est peut-être le mieux placé pour jouer ce rôle de chef d'orchestre, celui qui veille à l'harmonie, en respectant le rôle de chacun. Il me semble en effet que la légitimité démocratique est plus exempte de dangers (même s'ils existent) que la légitimité technocratique de telle ou telle institution.

Il est vrai qu'une telle conviction n'est pas partagée par tous, en particulier les professionnels de l'action sociale. Beaucoup pensent en effet que l'Etat est a priori un meilleur garant de la solidarité que la collectivité locale. Ce réflexe jacobin surprend nos voisins européens, rompus depuis plus longtemps que nous à une logique de régionalisation. Je suis d'ailleurs étonné à ce sujet que ceux-là mêmes qui, dans les années 1980, défendaient bec et ongles le rattachement de la prévention spécialisée à l'Etat, prédisant que son basculement vers les conseils généraux signifierait à terme sa mort, tant le risque de politisation était grand, soient aujourd'hui ceux qui se font les champions du rattachement aux départements, disant pis que pendre d'une implication plus forte des municipalités. Et pourtant, mon expérience m'a souvent montré que le risque de politisation était fréquemment plus important du côté des conseils généraux que du côté des municipalités, l'élection du maire échappant en bien des endroits à une logique partisane.

J'ai toujours pensé, pour ma part, qu'il est intéressant, en termes de cohérence, de rapprocher l'instance décisionnelle du terrain, et le démocrate que je suis ne se retrouve guère dans le procès d'intention que bon nombre de travailleurs sociaux font aux élus locaux.

Faire évoluer les principes de la prévention spécialisée

Cette gestion urbaine et sociale de proximité, telle qu'elle est aujourd'hui encouragée par la politique de la ville, entraîne de véritables révolutions dans la conception du travail social. Puisse la prévention spécialisée, qui, depuis 30 ans, s'est toujours trouvée à l'avant-garde de la lutte contre l'exclusion, ne pas se crisper sur ses prétendus acquis, mais être actrice d'un tel changement ! Cela nécessiterait à mes yeux que puisse être envisagée une évolution de ses principes fondamentaux : anonymat, libre adhésion et non institutionnalisation.

Il me paraîtrait souhaitable de glisser de la notion de “libre adhésion” à celle de “travail sur l'adhésion du jeune”. Celle-ci n'est souvent possible qu'après un long travail d'apprivoisement mutuel, qui peut s'effectuer à l'initiative de l'éducateur. Combien il est insupportable de voir certains éducateurs se réfugier dans l'inactivité, sous prétexte que les jeunes ne sont pas demandeurs ! Comment des jeunes, marqués par l'échec et l'exclusion, pourraient se révéler demandeurs dès le premier contact ? Travail de rue, où l'éducateur va au contact, et activités partagées, où il se situe dans le registre du “faire ensemble”, plutôt que du seul “causer ensemble”, constituent des piliers indispensables de l'action de prévention spécialisée. Mais l'on a assisté, durant ces dernières années, à une véritable dérive dans certains instituts de formation d'éducateurs spécialisés, où le “faire avec” est passé au second plan.

Garantir un espace de confidentialité

Devrait également s'opérer, à mon sens, un glissement de la notion de “respect de l'anonymat” à celle de “respect de la confidentialité”. En effet, bon nombre de jeunes, suivis par les équipes de prévention spécialisée, sont connus de tous les acteurs par leurs dérives comportementales. Et combien il est insupportable - en particulier pour les élus locaux - de voir, lors de réunions de partenariat, à propos de tel ou tel jeune connu des services de police, du collège, du maire, l'éducateur spécialisé se réfugier dans le silence, parce que, au nom de l'anonymat, il ne doit pas dire s'il le connaît ou non ! En revanche, combien il est important, pour qu'une relation de confiance puisse s'établir entre le jeune et l'éducateur, qu'un espace de confidentialité puisse lui être offert. Vouloir transformer les “éducs” en “indics” serait suicidaire pour notre société, car cela anéantirait toute possibilité pour l'adulte d'entrer en contact avec ces jeunes marginalisés. Aussi, il me paraît urgent que puisse être engagée une réflexion avec tous les partenaires sur la notion de “secret professionnel” et de “secret professionnel partagé”, afin de garantir cet espace de confidentialité, mais de sortir du concept d'anonymat, qui empêche tout véritable travail partenarial.

Enfin, il me semblerait important de glisser du concept de “non-institutionnalisation” à celui de “médiation institutionnelle”. Devant toujours éviter la dérive qui consisterait à vouloir s'approprier un public de jeunes qui serait étiqueté “prévention spécialisée”, avec le risque sous-jacent de renforcement du phénomène de ghettoïsation, l'équipe de prévention spécialisée ne doit avoir de cesse que de travailler au tissage ou au retissage des liens entre les jeunes en rupture et les institutions existantes.

C'est, pour moi, au prix de ces évolutions que la prévention spécialisée pourra retrouver le rôle indispensable que jeunes et politiques attendent qu'elle puisse continuer de jouer dans les formes nouvelles que revêt aujourd'hui le combat contre l'exclusion. »

Jean-Marie Petitclerc Le Valdocco : 32, avenue Georges-Clémenceau - 95100 Argenteuil -Tél. 01 39 81 07 15.

TRIBUNE LIBRE

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