Actualités sociales hebdomadaires : Alors que l'accès au diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé (DEES) par la validation des acquis de l'expérience (VAE) est théoriquement possible depuis le mois de juillet, vous vous inquiétez de la mise en œuvre du dispositif. Pourquoi ?
Annie Léculée : La circulaire d'application de l'arrêté du 12 mars 2004 étant en effet parue (1), il reste à informer et à orienter les candidats pour qu'ils puissent s'inscrire concrètement dans le processus. Outre le dispositif de droit commun, la branche sanitaire, sociale et médico-sociale a prévu un accompagnement spécifique, défini par la commission paritaire nationale de l'emploi (CPNE), financé par les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et confié à des pôles ressources régionaux constitués à partir des centres de formation agréés pour préparer au DEES (2). En Ile-de- France, l'information est diffusée par ces pôles depuis le 24 septembre (3). Il semblerait que, dans cette région, les rectorats aient déjà reçu quelque 350 demandes concrètes. Mais le problème est que leurs services ne disposent pas encore des moyens nécessaires pour traiter et analyser les dossiers des candidats alors que la décision de recevabilité leur appartient. Comment vont-ils faire face ? La question est préoccupante, d'autant qu'ils vont devoir étudier des situations complexes : beaucoup de demandes concernent par exemple des diplômes sociaux étrangers, parfois obtenus en dehors de l'Union européenne. Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale : le dispositif de droit commun existe depuis la parution de la loi de modernisation sociale, celui mis en place par la branche professionnelle est prêt, mais l'accès à la VAE va certainement mettre longtemps à trouver son rythme de croisière, faute de moyens rapidement accordés aux instances chargées d'étudier la recevabilité des dossiers. Pendant ce temps, les attentes sont fortes...
- Plus de 600 personnes - salariés et employeurs - se sont déplacées aux journées d'information organisées avant l'été par Promofaf Ile-de-France. C'est une mobilisation considérable, signe d'une attente réelle. Les salariés nourrissent l'espoir légitime d'avoir la possibilité, par la VAE, de contourner les freins à l'entrée en formation dite « académique » - sélection équivalant à un concours, coût de la formation, refus de nombreux employeurs d'autoriser des entrées... De plus, en Ile-de-France, un grand nombre de « faisant fonction » ayant un niveau de moniteur- éducateur occupent des postes éducatifs. Par ailleurs, le taux de postes vacants y atteint 20 % dans certains secteurs d'activité : les internats, la prévention spécialisée, les instituts de rééducation... On parle de 3 000 candidats potentiels dans la région ! Bien sûr, la demande ne sera pas la même en Bretagne, ou dans le sud de la France, où la pénurie de diplômés est plus faible. Reste que dans son rapport rendu public en juillet (4), le Conseil économique et social a indiqué que, pour répondre aux besoins de certains métiers de niveau III - les éducateurs spécialisés, les assistants de service social -, il faudrait qualifier pratiquement 30 % de personnes de plus que les centres de formation n'en qualifient aujourd'hui. Il n'y a pas une seule solution pour résoudre le déficit en personnels qualifiés et la VAE est une opportunité à saisir. D'autant qu'il existe un grand désir de reconnaissance et de progression de carrière chez de nombreux professionnels. Mais la VAE ne peut pas se prescrire. Elle est et doit rester une démarche individuelle du salarié.
Quelle est justement la position des employeurs ?
- Leur attitude est très contrastée. Les premiers candidats à la validation des acquis de l'expérience pour le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale ont été présentés massivement par leurs employeurs, qui avaient, devant le faible taux de diplômés, le souci d'augmenter le nombre de leurs salariés qualifiés (5). De la même façon, les employeurs ont intérêt à s'appuyer sur la VAE dans le secteur éducatif, qui devra faire face aux départs en retraite dans les prochaines années et éviter la déqualification des postes. Ce qui n'empêche pas les organisations syndicales d'être inquiètes : certaines institutions joueront le jeu et « boosteront » leurs salariés, d'autres pas. Devant la nécessité de reclasser les professionnels nouvellement diplômés par la VAE, il risque d'y avoir des tentatives de freinage. Là encore, le contexte préoccupant des budgets, les « enveloppes fermées » sont autant d'obstacles à un vrai plan de développement des niveaux de qualification des professionnels. L'accès au diplôme par la VAE questionne aussi la hiérarchie des diplômes du secteur : qu'est-ce qui fait la différence entre un professionnel ayant un diplôme de niveau III et celui ayant diplôme de niveau IV, sachant que de nombreux moniteurs-éducateurs travaillent avec ou comme des éducateurs ? Certes la durée des études, mais surtout la rémunération...
D'autre part, les employeurs autoriseront-ils leurs salariés à s'absenter pour participer au dispositif de soutien conçu par la branche, qui peut aller jusqu'à 187 heures de travail d'orientation et d'accompagnement ? La question reste entière, même si le dispositif prévoit le financement des remplacements des salariés qui participent à des actions de formation ou à des stages extérieurs à leur établissement.
Le risque de la VAE n'est-il pas de donner trop d'illusions aux candidats ?
- Pour eux, la préoccupation majeure n'est pas la recevabilité de leur dossier, qu'ils obtiendront pour la plupart, puisque la loi fixe pour critère une durée d'expérience de trois ans. La faisabilité de leur validation risque, quant à elle, d'être bien plus problématique. Dans leur dossier de validation, ils devront attester des compétences acquises dans un large champ d'intervention. Des moniteurs-éducateurs peuvent en effet avoir travaillé dans un seul champ d'intervention social ou éducatif, comme la prévention spécialisée, et jamais dans le secteur du handicap par exemple. Or le caractère générique du métier d'éducateur est essentiel, si on ne veut pas le dévaloriser. Il faut pouvoir transposer les compétences afférentes aux fonctions décrites dans le référentiel métier pour tous les types d'usagers.
D'autres questions vont se poser lors de cette première année de mise en œuvre : quelle sera la réaction d'un employeur en cas de validation partielle, voire d'échec, d'un candidat qu'il emploie de longue date ? L'obtention du diplôme est quasiment garantie dès lors qu'on est admis en centre de formation, où l'on avoisine les 90 % de réussite en voie directe. Alors que par la VAE, c'est encore l'incertitude. Or il ne s'agit pas de mettre des professionnels en exercice devant une perspective d'échec, sous peine de « tuer » la VAE.
D'où la mise en place par la branche d'un dispositif de soutien aux can- didats ?
- La démarche de la branche se situe à la croisée des questions de recevabilité et de faisabilité de cette validation. Elle propose un accompagnement important des candidats visant à garantir leur réussite, en les aidant à formaliser leurs compétences. Parce que la posture d'accompagnateur à la VAE ne peut pas se confondre avec celle de formateur, Promofaf Ile-de-France a pris l'initiative, avec l'appui du Centre national des arts et métiers, pionnier en la matière, de proposer, dès le 27 d'octobre, une « formation recherche action » aux accompagnateurs référents de la VAE des trois pôles ressources labellisés. L'objectif est d'aider à une meilleure compréhension du processus des apprentissages informels et d'identification des compétences. La VAE va permettre d'aborder le métier d'éducateur non pas par le champ théorique, mais par le travail réel. Ce qui en même temps devrait assurer le renforcement de la « référence identitaire » du métier.
Mais le dispositif de branche est accessible selon des critères plus sélectifs que ne le prévoit le droit commun. N'est-ce pas réduire la portée sociale de la VAE ?
- Ce choix a, en effet, fait l'objet de débats. Privilégier des candidats qui sont passés par un parcours de formation, s'adresser à ceux qui sont le plus près d'une validation complète de leur expérience est peut-être contestable. Les partenaires sociaux de la branche ont retenu des critères sélectifs : pour être éligibles, les candidats dont l'employeur cotise aux OPCA concernés et dont le dossier a été déclaré recevable doivent remplir une condition supplémentaire :détenir un diplôme de niveau V des filières éducatives, de soins, de l'aide à la personne ou de l'animation et avoir exercé pendant cinq ans dans le secteur éducatif, ou posséder un diplôme de niveau IV ou supérieur de ces mêmes filières ou de l'enseignement supérieur et avoir exercé pendant trois ans.
« Les choses devraient maintenant s'accélérer pour que tout soit en place avant les premiers jurys, au début de l'année 2005. » Jacques Chéritel, coordonnateur académique de la VAE et délégué à la formation continue à l'académie de Créteil, se veut rassurant. Il espère trouver rapidement une solution, en accord avec la direction générale de l'action sociale, pour disposer au sein des rectorats des compétences nécessaires à l'étude de la recevabilité des dossiers des candidats à la VAE pour le DEES. Mais les délais risquent d'être très courts... Comment les services de l'Education nationale peuvent-ils juger de la pertinence d'une expérience, au regard d'un diplôme dont ce ministère n'a pas la maîtrise d'œuvre ? « Il faudrait soit former nos propres personnels, soit avoir recours à des compétences extérieures », explique-t-il. Reste que les logiques entre l'Education nationale et la branche professionnelle sont différentes. Alors que la CPNE, soucieuse de ne pas dévaloriser le diplôme, s'implique largement dans le dispositif d'accompagnement des candidats, le coordinateur académique craint, quant à lui, une inégalité d'accès à la VAE : « Je n'aurai pas les mêmes solutions à proposer à tous les candidats éligibles, notamment aux demandeurs d'emploi, ce qui me pose problème d'un point de vue déontologique », souligne Jacques Chéritel.
Tout en conservant l'esprit de la formation tout au long de la vie, l'objectif de la branche est, dans un premier temps, de résorber le nombre de « faisant-fonction » dans le secteur. Evidemment, cette sélectivité ne peut être que temporaire. Demeure un autre critère sur lequel la CGT a émis de fortes réserves : l'employeur du candidat doit obligatoirement adhérer à un des syndicats de l'Unifed, alors que tout employeur s'acquitte de sa contribution à la formation professionnelle (voir la position d'Uniformation sur ce point, dans l'encadré ci-contre).
Les salariés ne relevant pas de la branche sont-ils pour autant exclus de l'accompagnement et du financement de leur VAE ?
- La branche ne saurait avoir le monopole des initiatives en matière d'accompagnement à la VAE pour le DEES. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 inscrit la VAE comme une voie d'accès à tout diplôme et instaure un congé VAE de 24 heures, imputable au titre de la formation professionnelle. Mais le dispositif prévu par la branche, qui en assure le financement, commence à être connu et reconnu comme pertinent. Il n'est pas exclu que les pôles ressources soient sollicités par des candidats hors branche, notamment provenant des conseils généraux qui se mettent à réfléchir à l'accompagnement de leurs salariés vers la VAE. La question se pose finalement en termes de financement, le marché de la formation étant théoriquement libre, même si les pôles ressources ont pris des engagements envers la branche. Quant aux demandeurs d'emploi, ils peuvent faire appel aux dispositifs d'aide à la formation proposés par les régions. Le conseil régional d'Ile-de-France, notamment, prévoit de prendre en charge un parcours d'accompagnement généraliste à la VAE d'une cinquantaine d'heures.
Au vu de toutes les garanties obtenues par la branche, les inquiétudes sur la déqualification des dipl ômes par la VAE sont-elles toujours présentes ?
- Elles sont levées dans le cadre des critères fixés par la circulaire, mais elles restent présentes tant que l'on n'aura pas les résultats des premiers passages devant les jurys. Certifier les parcours de formation, ce n'est pas la même chose que d'apprécier dans un temps d'entretien relativement bref les compétences acquises pour le diplôme. C'est pourquoi il serait judicieux que la direction générale de l'action sociale et la direction de l'enseignement supérieur, co-délivreurs du DEES, mettent en place une formation spécifique pour les jurys. Dans un secteur d'activité comme le nôtre, l'intervention de l'Etat est essentielle, car on risquerait sans elle d'assister à l'implosion des métiers et à la dégradation de la qualité des services rendus.
Maryannick Le Bris
Sélectionner des expériences représentatives, décrire des situations de travail « significatives » au regard du référentiel métier défini par la réglementation, les commenter selon une palette de critères ( « degré d'autonomie et d'initiative », « évaluation de votre intervention » ), fournir des « éléments de preuve ou document » qui pourront attester d'une réalisation personnelle... Compléter le dossier de validation des acquis représente un énorme travail personnel. Préalable avant de se lancer dans ce parcours du combattant : s'informer sur la pertinence de son projet de validation des acquis de l'expérience, soit dans les académies ou les points d'information mis en place dans les régions, ou, pour une orientation plus spécialisée concernant ce diplôme, dans les centres de formation qui le délivrent habituellement. Ces derniers, constitués en « pôles ressources », ont été choisis par la branche sanitaire, sociale et médico-sociale pour dispenser l'accompagnement spécifique qu'elle a conçu pour les salariés relevant de ses OPCA Promofaf et Uniformation (selon les conditions définies par la branche, à cette nuance près qu'Uniformation a choisi de ne pas rendre obligatoire l'adhésion à un syndicat d'employeurs). Cet accompagnement, d'ailleurs reconnu par la circulaire du 7 juillet, plus substantiel que le congé de 24 heures prévu par la loi de modernisation sociale, peut représenter jusqu'à 187 heures. Première phase : le « diagnostic d'orientation » (12 heures). Un pronostic partagé entre l'accompagnateur et le candidat permet de vérifier la capacité de ce dernier à obtenir la totalité du diplôme ou à valider au moins trois des quatre fonctions décrites dans le référentiel métier. Si le pronostic se révèle négatif, rien n'empêche le candidat, dont le dossier est toujours recevable au regard du rectorat, de poursuivre sa démarche, en faisant appel au dispositif de droit commun. Si, au contraire, ses capacités à réussir ne sont pas remises en cause, il construit avec l'accompagnateur un parcours personnalisé pour définir d'éventuelles formations ou stages complémentaires, en vue d'optimiser ses chances. La deuxième phase du dispositif (175 heures) comprend un accompagnement à l'élaboration du dossier de validation, une préparation à l'entretien avec le jury et les temps de formation et de stage préalablement envisagés. Au cas où le jury ne délivre finalement qu'une partie du diplôme, le pôle ressources peut proposer un parcours supplémentaire. Pour mener cette démarche, les centres de formation ont chacun désigné des « référents VAE ». Ils devront prendre en compte l'individualisation des parcours et les nouveaux besoins de formation qui émergeront. « Nous nous préparons à transformer notre façon de concevoir notre offre de formation. Certes, il existe un précédent avec l'accès au diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale par la VAE, mais nous ne sommes pas sur le même registre, la nature du référentiel de compétences étant très différente », témoigne Geneviève Crespo, déléguée de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social en Ile-de-France et directrice de l'Ecole supérieure de travail social. Pour sa part, la branche a demandé aux pôles ressources de réaliser un bilan du dispositif de soutien au terme de un an d'expérience, dans le cadre de l'évaluation prévue par la circulaire.
(1) Voir ASH n° 2370 du 27-08-04.
(2) La liste des pôles ressources est disponible sur
(3) Les prochaines réunions auront lieu en Ile-de-France les 5 novembre et 10 décembre. Contacts : IRTS de Paris Parmentier, Tél. 01 42 03 0831 - IRTS de Montrouge, Tél. 01 40 92 35 02 - Ecole pratique de service social, Tél. 01 42 79 50 29.
(4) Voir ASH n° 2367 du 9-07-04.
(5) Selon une étude de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, entre juillet 2003 et mars 2004, sur les 5 785 dossiers présentés à un jury de VAE en vue du diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale, 1 874 candidats ont effectivement obtenu ce titre, soit un taux de validation totale de 32,4 % - DARES - Premières informations et Premières synthèses n° 41-1 - Octobre 2004.