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Un lieu d'écoute à l'hôpital pour les jeunes victimes

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L'unité d'accueil des jeunes victimes de l'hôpital Armand- Trousseau à Paris offre une prise en charge spécifique aux mineurs victimes (ou en situation de risques) de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Elle apporte également son aide aux professionnels de la protection de l'enfance par une évaluation des situations.

Le bâtiment est clair, modeste au regard de ses voisins, et donc rassurant. Au sein d'un grand complexe hospitalier, son unique niveau le ramène à taille humaine. En septembre 2003, l'hôpital pour enfants Armand-Trousseau, établissement de l'assistance publique situé dans le XIIe arrondissement de Paris, a ouvert dans ces locaux une structure innovante : l'unité d'accueil des jeunes victimes (UAJV)   (1). Une consultation hospitalière qui, en associant les regards de trois professionnels : un pédiatre, un pédopsychiatre ou psychologue et une assistante sociale, se donne pour but d'évaluer plus sûrement, et dans un temps relativement court, les situations de risques ou de maltraitance avérée des enfants de 0 à 15 ans, qu'ils soient victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles.

« Depuis 30 ans, le personnel de l'hôpital Trousseau, toutes professions confondues, du médecin à l'enseignant en passant par l'assistante sociale et l'aide-soignante, manifeste une sensibilité particulière aux problèmes de maltraitance infantile », explique le docteur Jean-Luc Charritat, pédiatre responsable de l'UAJV. Cette sensibilité a permis la pérennisation d'une cellule de réflexion sur la maltraitance créée il y a six ans, comme dans d'autres hôpitaux, au moment où l'arsenal législatif commençait à donner un statut au mineur victime avec la loi du 17 juin 1998 sur la prévention et la répression des infractions sexuelles (2). Dans la foulée des circulaires de 1997 et 2000 invitant les hôpitaux à créer des pôles de référence régionaux pour l'accueil et le suivi des victimes de toute forme de maltraitance, la cellule de l'hôpital Trousseau s'est transformée en Fédération des activités médicales associées (FAMA) pour les enfants et adolescents à risques. Un nouveau statut qui lui a permis d'organiser des séminaires de formation pour les professionnels, des journées d'information pour le grand public, mais aussi de dessiner les contours de la structure qui serait la plus à même d'accueillir les enfants victimes de mauvais traitements.

Ainsi est née l'idée de l'UAJV, unité fonctionnelle destinée à résoudre les derniers dysfonctionnements de l'hôpital face à la maltraitance. « Avant, il y avait toujours un versant qui primait, explique Jean-Luc Charritat. Quand un enfant arrivait avec une fracture ou une brûlure au troisième degré, on se souciait de la partie médicale. Une fois les soins réalisés, son hospitalisation ne se justifiait plus. Les problèmes sociaux ou psychologiques devaient se régler dehors. A l'inverse, une assistante sociale pouvait faire pression pour hospitaliser un enfant en réponse à une situation préoccupante, sans qu'il y ait de lien entre le médical et le psychologique. »

Une évaluation pluridisciplinaire

A l'unité d'accueil des jeunes victimes, c'est donc la pluridisciplinarité qui prime. Une auxiliaire de puériculture assure l'accueil téléphonique, écoute et note les demandes. Elle les soumet au pédiatre, au psychologue et à l'assistante sociale qui recevront l'un à la suite de l'autre, au cours d'une même consultation, l'enfant et ses parents. A l'issue de la visite, les trois professionnels se réunissent pour « faire une évaluation à égalité de participation ». Un mode de fonctionnement qui n'a rien d'évident, concèdent les intéressés. Mais qui plaît justement à Valérie Coutier, l'assistante sociale de l'UAJV, venue après un an et demi de travail en néonatalité. « C'est ici que j'ai vraiment appris ce que signifiait le mot “pluridisciplinarité”, dit-elle. Dans les services de l'hôpital, les assistantes sociales sont souvent seules face à la maltraitance. Ici, on échange en permanence pour donner aux familles comme aux professionnels qui nous sollicitent une réponse de service. Ce qui revient souvent, c'est la question du signalement. Il n'est pas question de contourner la loi. Mais on se penche vraiment sur les conséquences de cette décision pour l'enfant qui vient demander de l'aide. Il nous arrive de ne pas être d'accord. Alors on réfléchit encore. Car le travail, c'est justement de parvenir à un consensus. »

Autre objectif de l'UAJV : offrir une aide aux professionnels de la protection de l'enfance, qui à Paris, ville mais aussi département, se trouvent dispersés dans de nombreux services. C'est sa deuxième originalité : être une structure hospitalière tournée vers l'extérieur. « Il nous est apparu que l'UAJV n'avait de sens qu'avec un réseau structuré en amont constitué de médecins de la protection maternelle et infantile [PMI] , de médecins de ville, d'avocats, d'assistantes sociales de secteur, de médecins et d'assistantes sociales scolaires, explique Jean-Luc Charritat. L'UAJV, c'est comme une grosse perle sur un collier, car, en aval, on va retrouver les mêmes professionnels, devenus référents et sollicités pour la prise en charge après évaluation de la situation. » Dans la majorité des cas, le suivi de l'enfant est en effet assuré localement par ceux qui connaissent le mieux son environnement. « Contrairement à l'assistante sociale de secteur ou au pédiatre, nous intervenons ponctuellement dans la vie de l'enfant, note Valérie Coutier. C'est un œil neuf qui peut se révéler utile dans les situations qui s'enlisent. Mais si nous faisions une évaluation à huis clos, nous aurions une vision tronquée. »

L'unité d'accueil des jeunes victimes ne serait donc qu'un intermédiaire ? Oui, mais situé dans un hôpital pour enfants. Et selon Jean-Luc Charritat, ce détail a toute son importance. « L'hôpital a une image de neutralité dans la population. C'est l'endroit où l'on va quand on a mal. Nous ne jugeons pas. Nous ne menons pas d'enquête policière... Et puis tout ici est adapté aux enfants, des locaux au mobilier. » De fait, les petites chaises sont plus nombreuses que les grandes dans la salle d'attente. Les jouets ont droit de cité. Et sur la porte de chaque bureau, une photo de l'occupant des lieux est affichée. Pour qu'il n'y ait pas de surprise quand elle s'ouvrira... Responsable du traitement des signalements d'urgence (TSU) de l'aide sociale à l'enfance (ASE) parisienne, Catherine Reveillère, à qui sont transmis les appels départementaux du service national d'accueil téléphonique à l'enfance maltraitée (Snatem), voit également un atout dans l'adossement de l'UAJV à l'hôpital. « Certaines structures comme les PMI sont parfois perçues comme réservées aux milieux défavorisés. L'hôpital est moins connoté, moins stigmatisant »,  dit-elle. Cela peut se révéler utile pour dénouer certaines situations, comme celles de conflits entre les parents. Mais, souvent, l'ASE est sollicitée pour des situations assez graves pour lesquels il y a urgence. Il est alors un peu tard pour adresser les enfants à l'unité d'accueil des jeunes victimes. Cependant, Catherine Reveillère n'exclut pas que les habitudes puissent changer.

UN PROJET BICÉPHALE

Parallèlement à l'unité d'accueil des jeunes victimes (UAJV), l'hôpital Trousseau a ouvert le 1er septembre 2003 une unité médico-judiciaire (UMJ) pour mineurs victimes. Située dans les mêmes locaux que l'UAJV, l'UMJ, dirigée par le Dr Caroline Rey, accueille, examine et effectue des prélèvements médico-légaux pour les mineurs adressés sur réquisition des autorités judiciaires. Il devenait urgent de disposer à Paris d'une filière spécifique pour les mineurs et de séparer les auteurs des victimes. En 1998, près de 600 mineurs susceptibles d'avoir subi des mauvais traitements étaient en effet examinés à l'UMJ de l'Hôtel-Dieu. Ce projet d'UMJ spécifique a rencontré celui de l'UAJV soutenu par l'hôpital Trousseau. Mais si les deux structures sont voisines, elles fonctionnent séparément pour des raisons de procédure.

Peu de signalements, aucune hospitalisation

Et il est vrai que sur les 230 situations exposées à l'UAJV en un an de fonctionnement, seules six ont donné lieu à un signalement administratif et sept à un signalement judiciaire. Un bilan qui satisfait Jean-Luc Charritat et auquel il ajoute l'absence totale d'hospitalisation : « Il y a quelques années, on aurait hospitalisé quelques enfants deux ou trois jours aux urgences, le temps de faire le point. » Médecin chef adjoint de la PMI à Paris, Véronique Dufour évoque pour sa part une « collaboration évidente » entre ses services et l'UAJV pour la prise en charge, l'orientation. « Dès lors qu'il y a une difficulté en amont du signalement, c'est une aide précieuse », dit-elle. Ce qu'Odile Bailleux-Hauser, conseillère technique à la Mairie de Paris, en charge des âges de la vie, résume par « un temps de pause pour les professionnels de la protection de l'enfance avant de sortir l'artillerie lourde ». Quant au parquet de Paris, il note par la voix d'Yvon Tallec, responsable de la section des mineurs, que l'UAJV constitue un « mode d'entrée supplémentaire » pour les signalements à la justice. « Ce n'est jamais négligeable pour un parquet comme celui de Paris, qui engage un nombre important de procédures », dit-il. En 2003, la brigade des mineurs à en effet enregistré 103 affaires de coups, 212 plaintes pour viol, 278 agressions sexuelles et 31 plaintes pour exhibition.

Que faudrait-il à l'unité d'accueil des jeunes victimes pour améliorer son fonctionnement ?Essentiellement du personnel. L'hôpital a fourni les locaux et financé les postes de l'accueil et du pédiatre. La direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé de la Ville de Paris a pour sa part pris en charge le salaire de l'assistante sociale. Mais pour la partie psychologique, l'UAJV a dû composer avec l'extrême disponibilité des professionnels de l'hôpital. Ce qui a parfois posé des problèmes de calendrier. « Devoir donner des rendez-vous avec un délai important pour que les trois professionnels soient présents était particulièrement pesant », ajoute Valérie Coutier. « Chaque professionnel consacre en moyenne cinq heures à chaque situation », précise Jean-Luc Charritat qui évalue donc l'activité théorique de l'UAJV à 450 jeunes victimes accueillies par an. Dans l'idéal, il aimerait que les deux tiers soient adressés par des professionnels. « Quand les parents viennent de leur propre initiative, nous avons tout le travail de recherche d'un référent à faire. Il est d'ailleurs arrivé qu'il y ait une volonté de court-circuiter les services sociaux locaux. C'est du temps perdu au détriment de l'enfant. » Un regret que tempère Valérie Coutier : « L'accueil des professionnels a toujours été excellent dans les cas où les parents étaient venus spontanément. Et plus intéressant, ils comprenaient parfaitement la démarche de l'UAJV. » Une réaction très rassurante pour l'assistante sociale.

Corinne Manoury

UNE UNITÉ PIONNIÈRE MOBILE À LILLE

Structure innovante, l'UAJV de l'hôpital Trousseau a cependant bénéficié de l'exemple du service dirigé par le Dr Françoise Hochart, au CHRU de Lille. En 1997, l'enfance en danger y était reconnue comme une spécialité médicale et mobilisait un praticien hospitalier, des vacations de médecins et des heures de psychologue. Un an plus tard, cette structure devenait pôle de référence régional. Différence notable avec l'UAJV, l'unité mobile de l'enfance en danger est, comme son nom l'indique, itinérante. Un choix destiné à faciliter l'accès au service et à favoriser la prise en charge des situations de maltraitance par les autres hôpitaux, mais qui paraissait difficilement transposable en région parisienne.

Notes

(1)  UAJV - Hôpital Armand-Trousseau : 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter - 75571 Paris cedex 12 - Responsable médical : Dr Jean-Luc Charritat - Tél. 01 44 73 54 13.

(2)  Voir ASH n° 2078 du 3-07-98.

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