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Saisir la crise pour lancer une démarche de soins

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Spécialisée au départ dans les traitements de substitution pour toxicomanes, l'association La Corde raide développe des actions de prévention et de soins en direction des adolescents, en coordination avec les services éducatifs et judiciaires. Avec une spécificité : s'adresser aux personnes non demandeuses de soins.

Deux espaces distants de quelques dizaines de mètres, nichés au pied d'un ensemble d'immeubles récents, dans un quartier calme de Paris. Deux accueils étanches pour les deux publics, jeune et adulte, auxquels s'adresse La Corde raide. Au tout départ, il y a 15 ans, l'association proposait aux toxicomanes ayant commis des délits une aide au sevrage. Puis sont arrivés les allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) les plus désinsérés, souvent concernés par des problèmes de drogue. La nécessité de créer un second lieu, l'Unité de prévention des risques à l'adolescence (1), est apparue lorsque l'association a lancé une démarche de prévention de la toxicomanie en direction des jeunes.

Le point commun entre tous les publics de ce centre spécialisé de soins aux toxicomanes  (CSST)   (2)  : leur mal- être a été décelé par une tierce personne et c'est sur sa recommandation qu'ils viennent consulter. « Nous avons choisi de nous intéresser à des personnes non demandeuses de soins », répètent les différents professionnels travaillant à La Corde raide : 25 au total- presque tous à temps partiel - dont une majorité de psychologues.

Pour repérer ces populations, l'association a développé des liens étroits avec le réseau des travailleurs sociaux (assistants sociaux scolaires, éducateurs responsables du suivi d'enfants placés) et le personnel judiciaire. Les psychologues fondateurs de l'association pratiquant la thérapie familiale, la concertation avec l'entourage du patient est également fréquente.

Au fil du temps et des partenariats avec les institutions (la Justice, puis la Santé), La Corde raide est devenue un lieu pluridisciplinaire : ensemble, ses psychologues, psychiatres, médecin généraliste, infirmières et assistantes sociales répondent de manière large au mal-être des toxicomanes et des adolescents ayant des « conduites à risques », le plus souvent liées à la consommation de substances psychoactives.

L'Unité de prévention des risques à l'adolescence du CSST doit faire face à une demande sans cesse croissante : 2 540 actes effectués en 2003 contre 2 154 en 2002, soit une hausse de 27 % en une seule année. « On nous sollicite pour intervenir dès le collège, auprès d'enfants de 12 ans qui commencent à consommer régulièrement du cannabis », s'alarme Jean-Marc Campiutti, responsable de l'unité, qui a longtemps travaillé sur la prévention du suicide. Devenu presque aussi banal que le tabac - en baisse chez les adolescents -, le cannabis est également consommé de plus en plus tôt. « Désormais, des jeunes de 18-20 ans viennent pour un appui au sevrage, alors qu'avant cette demande émanait plutôt des trentenaires », explique le psychologue. Les chiffres nationaux confirment cette tendance : parmi les 14-17 ans, 36,8 % des garçons et 28,8 % des filles ont déjà absorbé du cannabis, contre respectivement 32,7 % et 25,8 % en 1999 (3).

UN PUBLIC « HISTORIQUE »  :LES TOXICOMANES ADULTES

A sa création en 1988, La Corde raide, composée de psychologues, proposait un suivi psychologique aux toxicomanes adultes connus des services judiciaires. Dans un second temps, sollicitée par les services sociaux parisiens, elle a ouvert une consultation spécifique RMI pour les personnes les plus désinsérées et dépendantes de substances psychoactives. Dans le cadre d'une convention passée avec la direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé (DASES) de la Ville de Paris, il s'agit de favoriser leur accès aux soins à travers la réalisation d'un bilan psycho-social et le suivi du contrat d'insertion centré sur les questions de santé et renouvelé tous les trois mois. Le centre offre également des traitements de substitution aux sortants de prison.

Une minorité des adolescents qui fréquentent la consultation de La Corde raide viennent, après les premiers contacts, de leur propre initiative. Les autres sont accompagnés de leur famille ou de professionnels (assistant social, enseignant, conseiller principal d'éducation, médecin ou infirmier). Les adultes sont alertés par des « comportements à risques »  : « Ces adolescents mettent en scène leur mal-être, par exemple en fumant du cannabis sous les fenêtres du proviseur, et ils activent ainsi un circuit de réponse sociale », explique Jean-Marc Campiutti.

Empruntée aux statisticiens, l'expression « comportements à risques », recouvre toutes les conduites qui peuvent mettre en danger la vie à des degrés divers : tentative de suicide, absorption de produits, mais aussi repli sur soi, agressivité, fugue, désinvestissement scolaire... Si de telles conduites font partie des expériences normales de l'adolescence, « elles deviennent un symptôme lorsqu'un tiers extérieur va en signifier l'apparition et le révéler parce qu'il est inquiet », complète Jean- Marc Campiutti.

Le parent ou le travailleur social est mis en situation d'incompétence : il ne parvient plus à communiquer avec l'adolescent, qui soutient que fumer l'aide à être normal alors que sa conscience est altérée par le produit. Il faudra « tout un travail de préparation, parfois plusieurs mois, avant que le jeune soit prêt à aller rencontrer un psychologue ou un psychiatre », souligne Zahia Raugel, ex-assistante sociale scolaire qui assure, depuis septembre, le rôle de relais entre l'unité de prévention et les équipes scolaires. Savoir qu'ils vont obtenir un rendez-vous dans des délais brefs et qu'ils pourront éventuellement être reçus sans l'autorisation des parents (pour les plus de 16 ans à condition d'être accompagnés par un éducateur ou un assistant social) aide souvent les adolescents à composer le numéro de téléphone.

Le psychologue débute généralement l'entretien par un questionnement sur l'entourage : « A ton avis, pourquoi l'adulte qui t'envoie se fait-il du souci pour toi ? », explique Roselyne Crété, psychologue et directrice de l'association. L'évaluation est une « phase majeure et délicate car le jeune ne reconnaît pas toujours le bien-fondé du problème repéré par l'adulte ». Le psychologue s'intéresse au malaise du jeune derrière ses manifestations. Là où un parent dira : « il ne va pas bien parce qu'il fume », il comprendra : « il fume parce qu'il ne va pas bien ». Si ce travail sur la situation de crise peut aboutir à une thérapie, il a surtout pour but de « faire éclore le nœud dépressif que le produit avait masqué en altérant la conscience », précise Jean-Marc Campiutti.

Un ou deux entretiens suffisent parfois. Mais, plus souvent, le malaise de l'adolescent renvoie à un problème relationnel avec ses parents. Le psychologue remplit alors sa mission s'il parvient à organiser, par l'intermédiaire du jeune, une consultation familiale. Le travail consistera donc à aider les parents à prendre de la distance par rapport à leur enfant. « Une fois la communication rétablie, le jeune n'aura plus besoin de prendre des risques pour trouver son autonomie », souligne Jean-Marc Campiutti. Il arrive que le psychologue détecte des troubles psychotiques à venir (5 % à 10 % des cas) et il peut alors orienter le jeune vers le psychiatre de La Corde raide.

L'association développe aussi, depuis peu, des outils de prévention auprès des parents d'adolescents en crise. Elle a ainsi organisé avec le soutien de divers partenaires des ateliers de communication (sous forme d'improvisations théâtrales) au Pôle d'appui, de ressources et d'informations pour la parentalité (PARI-Parentalité)   (4).

Afin d'étendre encore son action, La Corde raide a également passé, il y a cinq ans, la convention de prestation Min-Risk avec le tribunal pour enfants afin de pouvoir accueillir des adolescents mineurs ou bénéficiant d'une « mesure jeune majeur ». La demande de soins est alors exprimée par le juge des enfants ou l'éducateur en charge de la mesure éducative.

Les psychologues de La Corde raide doivent, en trois entretiens, évaluer l'état de l'enfant et lui suggérer une orientation. Dans deux tiers des situations, l'unité de prévention propose un suivi psychologique, individuel ou familial, un suivi psychiatrique, la participation aux ateliers de communication ou une orientation vers une autre structure. Certains jeunes acceptent de continuer à fréquenter l'association, d'autres reviennent en pointillé ou se volatilisent. Cela dépend aussi de « la qualité des contacts avec les intervenants à l'origine de l'orientation du jeune », constate l'association.

La convention Min-Risk-addiction a, quant à elle, été mise sur pied à la demande du parquet des mineurs, inspirée par sa grande sœur Min-Risk. Elle s'adresse aux mineurs (sans antécédents judiciaires), appréhendés par les services de police en train de fumer du cannabis ou d'en acheter. Ils sont reçus avec leurs parents par un délégué du procureur. Ils ont alors 15 jours pour prendre rendez-vous à La Corde raide en vue d'un entretien d'évaluation. Pour certains, la rencontre avec un psychologue est un « électrochoc », raconte Isabelle Gouret. « La peur de devenir un toxico peut les pousser à arrêter », poursuit-elle. Les plus de 16 ans non accompagnés semblent « contents de parler de leur consommation avec quelqu'un qui ne les juge pas ». Quant à ceux venus avec leur famille, c'est souvent « l'occasion de sensibiliser à leur mal-être des parents surmenés ou dépassés ». Dans environ un tiers des cas, un suivi n'est pas nécessaire. Les autres se voient proposer une orientation (acceptée seulement par la moitié d'entre eux).

« Mettre en drame » les souffrances

Ce suivi se passe souvent dans l'association, notamment au travers des ateliers de communication. Animés le mercredi après-midi par l'art-thérapeute Isabelle Barbanti, ils vont leur permettre de « mettre en drame » leurs souffrances quotidiennes : le suicide du père, le divorce des parents, l'addiction au cannabis... Et d'exprimer des choses qu'ils ne parviennent pas à formuler en entretien individuel face au psychologue.

Enfin, La Corde raide poursuit son travail en direction des adolescents qui inquiètent les équipes des établissements scolaires. Elle a créé, début juillet, un stage autour du décrochage scolaire avec les 16-21 ans. L'équipe et son art-thérapeute ont aussi été sollicitées pour intervenir auprès des jeunes en crise dans certaines écoles. Autant d'initiatives qui témoignent de sa volonté de faire de la prévention auprès des adolescents en souffrance sur tous les lieux où ils passent (famille, école, tribunal). Reste que ces actions demeurent souvent fragiles en raison de la précarité des financements et des aléas du partenariat sur lequel elles reposent.

Sophie Caillat

Notes

(1)  Unité de prévention des risques à l'adolescence : 10,  passage Raguinot - 75012 Paris - Tél. 01 44 87 98 73.

(2)  Qui est financé par des crédits de la DASS de Paris, du conseil régional et de la Ville de Paris - CSST : 6, place Rutebeuf - 75012 Paris - Tél. 01 43 42 53 00.

(3)   « La santé des adolescents »  - Etudes et résultats n° 322 - Juin 2004 - DREES - www.sante.gouv.fr/drees/ etude-resultat/.

(4)  Lieu qui dépend de la Ville de Paris - Centre Chaligny : 15, rue de Chaligny - 75012 Paris - Tél. 01 44 67 21 78.

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