A en croire ses promesses, c'est par voie d'amendements, au cours des débats parlementaires dont le démarrage est prévu pour le 26 octobre, que Jean- Louis Borloo devrait reprendre une bonne partie des suggestions du Conseil économique et social (CES) sur le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale (1). « L'avant-projet de loi avait déjà fait l'objet d'arbitrages complexes au sein du gouvernement et le ministre sait que la bataille n'est pas terminée, témoigne Jean Bastide, rapporteur général de l'avis du CES. Il s'est engagé sur un certain nombre de dispositions, mais encore faut-il que cela tienne le coup devant le Parlement. »
Les protestations qu'a suscitées l'idée d'un « contrat d'activité », que les syndicats opposent à la notion d'emploi pérenne, ne devraient ainsi pas seulement déboucher sur une nouvelle appellation (le « contrat d'avenir » ). Un « comité de vigilance » devrait, a soutenu Jean-Louis Borloo devant le CES, être mis en place pour s'assurer que ce dispositif répond bien aux objectifs d'insertion professionnelle durable. L'aménagement du système de sanctions des chômeurs ne respectant pas leurs obligations de recherche d'emploi, même si le Medef le juge insuffisamment coercitif, pourrait être recentré sur l'accompagnement. Le ministre s'est également engagé à réfléchir à une aide à la mobilité des demandeurs d'emploi. Et à intégrer, toujours selon les recommandations du CES, toutes les mesures décidées lors du comité interministériel de lutte contre les exclusions de juillet dernier (2). Un comité de pilotage sur l'individualisation du RMI devrait également être créé avec ATD quart monde, qui travaille sur ce thème de longue date.
Alors que la majorité comme l'opposition s'apprêtent à déposer de nombreux amendements au projet de loi, l'Assemblée des départements de France, désormais majoritairement à gauche, pose aussi ses conditions. Dénonçant le manque de concertation du ministère avec les départements, elle souhaite que ces derniers « se voient confier le pilotage territorial du dispositif des contrats d'avenir », en toute cohérence, estime-t-elle, avec la répartition des compétences définie par la loi sur les responsabilités locales. Son secrétaire général, Michel Berson, président (PS) du conseil général de l'Essonne, va plus loin : « Une fois encore, l'Etat impose et les collectivités locales doivent payer l'addition. Et elle sera lourde ! », s'insurge-t-il, évoquant notamment la création des maisons de l'emploi associant les collectivités territoriales.
Les acteurs de l'insertion, eux, espèrent des ajustements techniques. Alors qu'ils appelaient à un contrat unique et souple, ils se retrouvent finalement avec une juxtaposition de dispositifs. Quelle cohérence pour les employeurs et les bénéficiaires ? L'association nationale Chantier école réclame que la durée hebdomadaire minimale de travail soit fixée à 20 heures pour le contrat d'accompagnement dans l'emploi (qui fusionne les contrats emploi-solidarité et les contrats emploi consolidé), comme pour le contrat d'activité destiné aux bénéficiaires des minima sociaux, qui pour l'instant propose un minimum de 26 heures. La partition entre secteurs marchand et non marchand suscite aussi des interrogations : « Nous demandons que la définition de ces secteurs soit assouplie afin de prendre en compte la notion de secteur mixte d'utilité sociale », explique Philippe Louveau, délégué national de l'association.
Cette dernière souhaite également que le ministère indique, outre le taux de prise en charge par l'Etat des contrats d'accompagnement, un chiffrage précis de la part dévolue au secteur de l'insertion. « Le Conseil national de l'insertion par l'activité économique a demandé un amendement pour la mise en place d'une “volumétrie” prévoyant une montée en charge du nombre de postes d'insertion : soit 50 000 sur les 120 000 contrats de 2005, pour arriver à 75 000 à la fin de la programmation », souligne Philippe Louveau.
Le réseau déplore que les 15 000 € d'aide structurelle à l'accompagnement par chantier- contre les 35 000 réclamés - ne soient pas à la hauteur des investissements nécessaires pour les employeurs de l'insertion et compte sur des cofinancements des conseils généraux. Il demande également une compensation par l'Etat de l'exonération des charges sociales des bénéficiaires de ce contrat unique, afin qu'ils ne soient pas exclus des cotisations de retraite. Et que des précisions soient apportées sur le financement et la durée des temps de formation. Dans l'immédiat, le réseau attend de connaître « quelles mesures transitoires seront mises en place, quand on sait qu'à l'heure actuelle, certains chantiers-école sont confrontés à des refus de poursuite ou de démarrage d'actions ».
La CFDT et les sept organisations - dont l'association nationale Chantier école -, qui avaient, en mai dernier, proposé des pistes pour soutenir l'insertion par l'activité économique (3), regrettent l'absence de mesure pour lutter contre l'emploi précaire. La déception est d'ailleurs partagée par la CGT, qui a rédigé pas moins d'une trentaine de pages de propositions d'ajustement, détaillant en grande partie celles du Conseil économique et social. « Les entreprises doivent participer à l'effort d'insertion en prenant le relais des associations d'insertion » pour insérer durablement dans le travail ceux qui en sont exclus, ajoute la confédération.
Au-delà du projet de loi, alors que les mouvements de chômeurs réclament toujours d'être associés aux décisions concernant l'emploi et l'indemnisation du chômage, les huit organisations réclament au gouvernement « des états généraux sur le chômage, l'insertion et l'emploi ». Et la création d'un conseil d'orientation pour l'emploi, pour définir une « stratégie cohérente pour mobiliser la société autour du plein emploi de qualité ».
M. LB.
(1) Sur ce projet de loi, voir ce numéro, et sur les critiques du CES, voir ASH n° 2371 du 3-09-04.
(2) Voir ASH n° 2367 du 9-07-04.
(3) La FNARS, le CNEI, la Coorace, Solidarités nouvelles face au chômage, l'association nationale Chantier école, le Comité national de liaison des régies de quartier et Emmaüs France. Voir ASH n° 2361 du 28-05-04.