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Quelles perspectives pour les missions locales ?

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Selon Jean-Luc Charlot, qui assure, au sein de l'association Développement et emploi (1), l'animation nationale du réseau « Moderniser sans exclure » fondé par Bertrand Schwartz, les missions locales doivent aujourd'hui, pour renforcer leur légitimité, renouer avec un principe qui a guidé leur création :l'affirmation d'une « fonction politique autonome ».

« Le coup de tonnerre institutionnel qu'a constitué la possible “régionalisation” des missions locales - horizon qui semble écarté aujourd'hui à la lecture de la loi relative aux libertés et responsabilités locales)   (2)  - faisant suite à celui de la suppression de la délégation interministérielle à l'insertion des jeunes, pose, au-delà de ces soubresauts, la question de leur devenir, ou plus précisément de leur utilité. Les missions locales se trouvent en effet à un moment un peu paradoxal de leur histoire. D'une part, le constat que “l'entrée des jeunes dans la vie active, après la fin de la scolarité, est pour beaucoup d'entre eux une véritable course d'obstacles et une période d'incertitude et de déstabilisation”, formulé par Pierre Mauroy en 1981 dans sa lettre de commande à Bertrand Schwartz- qui fit une synthèse à proprement parler saisissante de la situation des jeunes et inventa dans la foulée les missions locales - reste encore valable. D'autre part, cependant, l'évolution du contexte économique et social a bouleversé profondément la nature même de la question sociale jeune et la modification du contexte de leur intervention a mis à l'épreuve les principes mêmes de celle-ci. Penser l'avenir des missions locales au-delà de leur devenir administrativo-institutionnel nécessite d'interroger avec lucidité ces évolutions.

Comme l'a démontré fort pertinemment le rapport Charvet (3), les “jeunes” ne sont plus confrontés seulement à des problèmes sociaux particuliers, qu'il s'agit pour eux d'affronter un à un, mais bien à une question sociale, celle de l'effritement du salariat. Les mutations profondes de l'organisation productive qui ont caractérisé la période dite “de crise” ont eu pour conséquence principale le renoncement délibéré au principe majeur du système d'intégration de la société salariale (à savoir l'emploi garanti pour tous), tout en préservant sa survie (en le garantissant à certains). Ces choix socio- économiques se sont concrétisés par l'assignation des jeunes sur des zones d'emploi très spécifiques, et particulièrement sur ce qu'il est convenu d'appeler des “formes particulières d'emploi” :intérim, contrats à durée déterminée, travail à temps partiel, etc. Cette situation est sans doute à l'origine de la véritable “fracture générationnelle”   (4) qui caractérise le plus douloureusement la question sociale des jeunes aujourd'hui.

Des politiques d'insertion sans ligne directrice

Afin d'“amortir” ces choix socio-économiques, le développement de l'action gouvernementale pour l'emploi et l'insertion des jeunes s'est appuyé, depuis une vingtaine d'années, sur une accumulation et une sédimentation de mesures spécifiques, sans ligne directrice, et donc sans cohérence d'ensemble. Ces mesures correspondent à une succession de choix pragmatiques plus qu'à des options théoriques nettes. Elles ont été ciblées sur des “publics en difficulté” dont la définition a évolué en fonction du diagnostic porté successivement par les pouvoirs publics sur les chances respectives des différentes catégories touchées ou menacées par le chômage. Ces politiques d'emploi et d'insertion ont ainsi oscillé sans cesse entre des actions visant à redonner leur chance aux catégories les plus vulnérables, par des actions destinées à contrecarrer la sélectivité du marché du travail (formation et contrats aidés) et d'autres visant à enrichir la croissance en emplois, soit en abaissant le coût du travail, soit par le biais de dispositifs de réduction collective du temps de travail ou de création de “nouvelles” activités dans les services non marchands.

Ces brouillages ont imposé aux acteurs de l'insertion, et particulièrement aux missions locales, chargées de mettre en œuvre localement les politiques d'insertion sociale et professionnelle des jeunes, une série de messages paradoxaux et, en définitive, contre-productifs.

Les missions locales doivent “favoriser la concertation entre les différents partenaires en vue de compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion”. Les difficultés de mise en œuvre de cette fonction historique n'ont cessé, elles aussi, de croître du fait d'un enchevêtrement de dispositifs quasi exponentiel durant cette période. Enchevêtrement qui rend l'offre de services pratiquement illisible, sa régulation improbable et “dévoreuse” de temps et l'évaluation de ses effets incertaine. Alors que, dans le même temps, de nouvelles collectivités sont apparues, entraînant le redéploiement des compétences liées à l'insertion, aux politiques d'emploi, de développement économique et de développement local. Cependant, l'aspect le plus paradoxal de cette situation se révèle être la surprise qu'affichent avec constance les acteurs de l'emploi et de l'insertion devant le constat que l'ajustement du marché du travail ne s'opère pas de manière simple et que les individus n'y sont pas interchangeables. Dans les discours et dans les actes, en effet, il apparaît que l'on ne sait toujours pas que ce difficile ajustement tient autant à l'adéquation entre la formation reçue et l'insertion professionnelle choisie, à “l'attractivité” des emplois proposés et au niveau d'exigence, notamment en termes d'expérience, des employeurs lors du recrutement, qu'à un glissement du sens du travail et de son importance dans les représentations des jeunes.

Le danger de l'instrumentalisation

Une des fonctions principales de la mission locale est “d'aider les jeunes de 16 à 25 ans à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion sociale et professionnelle, en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement”. De toutes les activités d'une mission locale, celles-ci apparaissent comme les plus évidentes, sans doute parce qu'elles sont les plus visibles. Elles constituent de fait les activités qui concourent le plus, dans la proximité des jeunes, à leur insertion sociale et professionnelle. Elles représentent une part importante de la professionnalité historique des missions locales, en ce qu'elles contribuent à l'objectif de “qualification sociale” des jeunes que suggérait déjà Bertrand Schwartz dans son rapport de 1981. Mais la conception de ces activités, centrée sur la construction d'une relation inconditionnelle, a été constamment remise en cause par une tendance à la rationalisation fonctionnelle des modes d'organisation de ces structures et à leur instrumentalisation comme des outils d'application de directives, de lois ou de dispositifs administratifs, comme se les représentent aujourd'hui leurs principaux financeurs et partenaires.

Désormais, la question centrale posée aux missions locales est bien celle de la possibilité de la reconquête d'une “fonction politique autonome”. Ce principe constitue l'un des fondements à l'origine de leur création. Il est même une des intuitions majeures du rapport de Bertrand Schwartz, qui voyait en elles non pas des institutions, des administrations ou des guichets supplémentaires, mais bien des dispositifs d'animation territorialisés, susceptibles de transformer l'approche que pouvaient avoir les autres institutions de la question sociale jeune.

Réaffirmer une utilité sociale en déshérence

Redéfinir une stratégie et refonder un nouveau projet en ce sens nécessite de concevoir les missions locales non plus simplement comme l'instrument de l'application de textes divers mais comme une institution, qui, à partir de ses pratiques et des discours de ses représentants et agents, construit son territoire, définit ses activités, et délimite un espace politique. Ce renversement de perspective apparaît comme la condition nécessaire, mais certainement pas suffisante, pour construire un avenir possible.

Les missions locales doivent donc tout à la fois affirmer la pertinence de leur approche de l'accompagnement de l'insertion professionnelle des jeunes, tout en redevenant les animatrices de démarches de réflexion et de propositions d'actions structurantes concernant l'orientation des flux de formation, l'amélioration des salaires et des conditions de travail, ainsi que la prise en compte des “nouveaux” rapports qu'entretiennent les jeunes avec le travail, et ce à partir de la connaissance qu'elles ont de ces publics et des territoires où ils vivent. C'est ainsi que pourra se réaffirmer leur utilité sociale et politique, actuellement en déshérence dans ce pays qui connaît le taux de chômage des jeunes le plus élevé d'Europe. »

Jean-Luc Charlot Animateur du réseau « Moderniser sans exclure » Développement et Emploi : Carré Saint-Nicolas - 10, rue Saint-Nicolas - 75012 Paris -Tél. 01 43 46 28 28.

Notes

(1)  L'association Développement et emploi, fondée en 1981, vise à nourrir le débat de société sur l'emploi et les conditions du développement économique. Elle organise régulièrement des débats et des journées d'études sur la question. Site : www.developpementetemploi.com.

(2)  Voir ASH n° 2371du 3-09-04 et ce numéro.

(3)  Rapport rédigé sous l'égide du Commissariat au Plan - « Jeunesse, le devoir d'avenir »  - La Documentation française - 2001 - Voir ASH n° 2204 du 2-03-01.

(4)  Cf. Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France, Louis Chauvel - PUF - 2002.

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