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Quand les allocataires du RMI ont la parole

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Un collectif lillois d'associations se mobilise, au sein d'un « Forum permanent », pour que les titulaires du RMI soient acteurs du dispositif. Une démarche novatrice qui passe par l'organisation de rencontres autour de l'insertion réunissant les allocataires, les élus, les employeurs et les travailleurs sociaux.

L'initiative est assez inhabituelle : des allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) lillois devraient rencontrer, dans les semaines à venir, des agents de l'ANPE et des employeurs.  « Depuis que le dispositif existe, la parole leur a peu été donnée », explique Daniel Maciel, de l'association lilloise Magdala. Portée par des acteurs associatifs et par la commission locale d'insertion de Lille, l'idée de la participation des titulaires du RMI est apparue officiellement en novembre 2001, dans le programme départemental d'insertion du Nord. Celui-ci stipulait qu'ils devaient être des « acteurs à part entière » susceptibles de « peser » sur le dispositif et de participer à « l'évaluation des actions d'insertion les concernant ». Leur participation devenait ainsi une orientation majeure du département. Restait à passer des grands principes à leur effectivité. En février 2002, la commission locale d'insertion de Lille a donc lancé un appel à idées pour la réalisation d'une « journée de l'insertion ». A la fois temps d'échange entre tous les acteurs locaux de l'insertion et moyen d'améliorer l'image des allocataires, cette journée est aussi conçue comme une action d'insertion : des titulaires du RMI participent à sa préparation.

Pour les acteurs associatifs, l'enthousiasme est au rendez-vous. Pourtant, les interrogations sont nombreuses : comment associer et faire se rencontrer des personnes aussi diverses que des techniciens du département, des bénévoles associatifs, des professionnels d'organismes d'insertion, des agents institutionnels de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de l'ANPE, des employeurs, des élus... ? N'est-il pas illusoire d'inciter les allocataires du RMI à être acteurs d'un dispositif qui les place, de fait, dans une situation précaire ? Tous s'accordent néanmoins sur deux points : d'une part, il n'est pas possible de lutter efficacement contre la misère et toutes les formes d'exclusion sans la participation active de ceux qui les subissent ; d'autre part, chaque personne, même la plus démunie, est porteuse d'un savoir digne d'être communiqué.

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Initié par la commission locale d'insertion, mais organisé par un collectif d'associations (1), un forum de l'insertion, intitulé « Regards croisés sur le dispositif RMI », a donc lieu en juin 2003 sous la forme de trois journées de débats et de rencontres. Son fil directeur n'est pas un contenu mais une posture : faciliter la présence active et la prise de parole des allocataires. Le succès de l'événement - qui réunit plus de 700 personnes - invite à poursuivre une aventure qui a bénéficié de la confiance des deux coprésidents de la commission (2), soucieux de laisser une grande liberté aux promoteurs du projet. En outre, le collectif a su fonctionner dans le respect de ses différences, chaque association apportant son savoir-faire, ses idées et ses moyens logistiques. « Nous étions d'accord sur ce que nous ne souhaitions pas,  explique Eric Vandewaele, un des organisateurs, responsable des ateliers culturels de l'Orange bleue (association Martine-Bernard) à destination des bénéficiaires du RMI. Nous ne voulions ni d'un forum sans représentation des allocataires, ni d'un forum-cocktail à destination des élus, ni d'un forum éphémère. »

QUATRE PRINCIPES FONDATEURS

Le Forum permanent (3) s'est doté de quatre principes fondateurs :

 permettre à chaque personne impliquée dans le dispositif de s'exprimer sur celui-ci, d'en devenir acteur et de participer aux décisions le plus en amont possible ;

 favoriser les échanges entre allocataires, élus, professionnels, bénévoles, dans un esprit d'égalité, de fraternité, de liberté et d'accès aux droits fondamentaux ;

 permettre la prise en compte de la parole de chacun ;

 développer une dynamique interassociative et interinstitutionnelle favorable à l'émergence d'un réseau d'acteurs œuvrant dans le cadre de la lutte contre les exclusions. Le Forum permanent s'appuie sur une plate-forme d'associations (4)  qui vise l'élargissement de la démarche à de nouveaux partenaires (allocataires, élus, professionnels, etc.), le maintien de son indépendance de fonctionnement (même si les élus continuent à apporter leur soutien), la mise en place d'événements fédérateurs et l'implication effective des allocataires du RMI dans l'animation, le secrétariat et l'organisation.

Dès juillet 2003, les associations imaginent une suite sous la forme d'un forum permanent. « Grâce à cette démarche, j'ai eu le droit à l'expression », explique Laurence Decis, de l'association Magdala, qui a participé aux réunions d'organisation depuis ses débuts. Sans domicile fixe entre 1992 et 1996, cette femme n'a pas travaillé pendant de nombreuses années. Aujourd'hui agent d'entretien en contrat emploi-solidarité, elle s'exprime publiquement lors des différents événements issus du Forum permanent : « Petit à petit, j'ai fait ma place, dit-elle. On m'a donné des responsabilités comme la prise de notes lors des réunions. Les gens ont désormais confiance en moi. »

Cette mère de famille de 43 ans est une des « figures » du forum. Lors de la dernière rencontre (5), elle s'est mêlée à ceux qui n'ont pas l'habitude de se côtoyer - allocataires du RMI, responsable des ressources humaines d'une grande chaîne de distribution, élus, représentants du plan local pour l'insertion et l'emploi  (PLIE) de Lille, directeur de PME, artisan, etc. Pour ce troisième rassemblement organisé par le Forum permanent et animé par Pascal Wecxsteen de l'Institut lillois d'éducation permanente-centre de ressources emploi-formation (ILEP- CREF), une association partenaire, le succès a tenu à la présence importante d'employeurs de différents secteurs d'activité - nettoyage, distribution, restauration, mécanique, communication, etc. « Ce n'était pas gagné, admet aujourd'hui Véronique Marrecau, de l'association Magdala. En effet, lors des précédentes rencontres, ils nous avaient fait faux bond de peur d'être pris à partie par les allocataires... »

Lors du travail en petits groupes d'une dizaine de personnes, chacun a pu s'exprimer. Parfois, au bout de quelques minutes, les uns et les autres ont fini même par se tutoyer, jetant leurs étiquettes respectives aux orties. Avec les masques, ce sont les préjugés qui tombent. « Mon regard sur les employeurs a changé parce que j'ai pu parler avec eux d'être humain à être humain, raconte Laurence Decis. De leur côté aussi, je pense que les employeurs, tout comme les élus ou les agents de la CAF, ont pu me rencontrer différemment. Bien sûr, ça ne change pas tout mais, au moins, ils peuvent comprendre ma situation... » Et ce, même si les points du vue restent tranchés. Qu'un employeur d'une petite entreprise affirme la nécessité, pour lui, de licencier un salarié en cas de baisse de son chiffre d'affaires ou qu'un allocataire du RMI explique les discriminations à l'embauche dont il est victime, ce sont des univers différents qui se télescopent et des expériences qui se croisent. « Nous travaillons sans filet, affirme Rachid Lamri, de l'ILEP-CREF. Chacun apporte sa contribution de façon spontanée dans le cadre d'un dialogue qui vise à rapprocher les points de vue. Ce qui nécessite d'arriver l'esprit ouvert. » « Cela fonctionne parce que nous ne sommes pas dans la captation, qu'elle soit militante, électorale ou associative », explique Eric Vandewaele. Si certains allocataires adoptent un comportement revendicatif, ils sont rares. Car, plus qu'un mot d'ordre ou un slogan, il s'agit d'accueillir la parole de chacun. D'ailleurs la confrontation de la diversité des points de vue, sans recherche de consensus à tout prix, suffit à déclencher chez les participants « un processus de dégel progressif », note Guillaume Tissot, d'ATD quart monde.

Le Forum permanent n'a pas pour objectif principal de changer les pratiques des opérateurs et des acteurs associatifs. Néanmoins, la plupart des participants notent que « rien n'est plus jamais pareil après ». Alors que les allocataires insistent sur leur besoin d'être considérés et respectés -  « Ce n'est pas parce qu'on est Rmiste qu'on est moins que rien ! »  -, les professionnels éprouvent le besoin d'expliquer leur travail dans la durée. « Dans nos associations respectives, nous sommes souvent dans le registre de l'urgence, remarque Eric Vandewaele. Le Forum élargit notre cercle en nous permettant de rencontrer des personnes que nous n'avons pas l'habitude de croiser - des employeurs par exemple. Ce qui relativise aussi notre façon d'aborder le travail social. » En outre, les allocataires du RMI, devenant « experts » du dispositif, ne manquent pas de déstabiliser les pratiques des travailleurs sociaux, qui défendent souvent jalousement leur propre « expertise ».

« Le forum me permet de rencontrer des gens et de ne pas pleurer sur mon sort, reconnaît Frédéric Duchaussoir, titulaire du RMI, usager des ateliers de l'Orange bleue et membre de la plate-forme d'organisation. C'est ça aussi, l'insertion ! Mais ce n'est pas tout : le forum pousse chacun à se remettre en question. A mon sens, c'est un moment de démocratie nécessaire. » Pourtant, bien que la démarche ne vienne pas « d'en haut », il est difficile de toucher l'ensemble des quelque 10 000 Lillois bénéficiaires du RMI. Certains, qui se sont pourtant investis au départ, ont fini par déserter le Forum permanent. D'autres n'en ont jamais entendu parler. « Nous visons en priorité ceux qui sont déjà en contact avec nos associations, explique Guillaume Tissot. Il est vrai que nous atteignons peu les nouveaux allocataires ou ceux qui perçoivent le RMI de façon temporaire. En revanche, nous sommes en contact avec des personnes qui ont des parcours de vie les ayant conduits à une extrême marginalité et qui sont dans le dispositif du RMI depuis très longtemps. » Le Forum permanent s'appuie néanmoins sur des relais institutionnels comme le centre communal d'action sociale de Lille ou l'ANPE.

Une dynamique est née

« Contrairement à ceux qui pensaient que ces rencontres seraient un pugilat et qui manifestaient de fortes réticences, nous avons fait la preuve que notre démarche était utile, sérieuse et viable, se réjouit Patrick Fortin, de l'association Magdala. On peut espérer que, dans un avenir proche, la ville de Lille propose directement aux nouveaux allocataires de participer au forum. » Une chose est sûre : la démarche a déjà impulsé une dynamique. Pour preuve, le PLIE a mis en place des réunions d'information sur le RMI en direction des nouveaux allocataires dans plusieurs quartiers de Lille. Quant au futur programme départemental d'insertion qui devrait voir le jour en 2005, Michel-François Delannoy, vice-président du conseil général du Nord chargé de la lutte contre les exclusions, précise qu'il sera le fruit de rencontres avec l'ensemble des acteurs de l'insertion, dont les allocataires du RMI : « Je souhaite partir de la parole des usagers pour être au plus près du terrain et faire reculer l'exclusion. » Un soutien explicite au Forum permanent, qui n'empêche pas l'aventure de demeurer fragile : « Nous ne savons toujours pas où l'on va, reconnaît Daniel Maciel. Mais nous connaissons la direction. Alors nous y allons ensemble... » Caroline Dinet

Notes

(1)  Dont l'APU du Vieux Lille, ARAS/ADNSEA, l'Armée du Salut, l'Orange Bleue, ATD quart-monde, Magdala, SISAA/ADNSEA...

(2)  Caroline Nio, vice-présidente du conseil général du Nord, et Christophe Marx, secrétaire général adjoint de la préfecture.

(3)  Forum permanent : c/o CREF-ILEP - 8, allée de la Filature - 59000 Lille - Tél. 03 20 58 19 58.

(4)  Dont l'Association baptiste pour l'entraide et les jeunes, ATD quart monde, la Coopérative de recherches, d'études et de leurs applications dans les domaines de la formation et de l'insertion (Creafi), la Fondation Armée du Salut, l'ILEP/CREF, Kekchose, Magdala, la Maison de quartier de Wazemmes, l'Orange bleue, Oslo, Starter, l'Uriopss...

(5)   « Aujourd'hui, qu'est-ce qui facilite, qu'est-ce qui freine l'accès à l'emploi... ? », le 17 juin 2004, à Lille.

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