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Le suivi médico-social des apprentis relève-t-il de l'assurance maladie ?

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A la suite d'une décision de justice, une association toulousaine a dû rembourser le prix de journée perçu pour un jeune handicapé envoyé en apprentissage. La caisse primaire d'assurance maladie voulant étendre son refus de paiement à tous les apprentis, un compromis est intervenu. Affaire locale ou problème plus général ?

Au plan judiciaire, l'affaire commence en juillet 1998. Elle oppose la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Garonne et l'Association pour la sauvegarde des enfants invalides (ASEI)   (1), un important organisme qui gère 86 établissements et services en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon, accueillant plus de 6 000 personnes.

Le dossier concerne le jeune D., un adolescent orienté, en novembre 1996, par la commission départementale de l'éducation spéciale (CDES) vers un institut de rééducation, décision assortie d'une mesure de placement familial spécialisé. Tout en étant hébergé par une assistante maternelle salariée de l'établissement, D. a suivi une formation professionnelle en apprentissage, en alternance dans un centre de formation d'apprentis (CFA) et chez un employeur.

La CPAM demande à l'association le remboursement du prix de journée acquitté pour lui pendant un an. A ses yeux, l'adolescent, hébergé en famille d'accueil et percevant un salaire, n'était pas effectivement pris en charge par l'établissement.

L'ASEI conteste cette remise en cause. Après l'échec du recours amiable, elle porte le différend devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Dans son argumentaire, elle rappelle que la formation professionnelle fait partie des missions de l'institut de rééducation. Elle explique que si les établissements médico-sociaux ont longtemps animé en leur sein des sections de pré-formation et de formation professionnelle, beaucoup ont aussi souhaité s'ouvrir vers l'extérieur pour profiter du savoir-faire des lycées professionnels et des CFA, élargir la palette des métiers proposés aux jeunes et inscrire ces derniers dans une dynamique d'insertion en milieu ordinaire. Elle soutient enfin que le jeune D. a bénéficié du suivi médico-social de l'établissement, aussi bien chez son employeur qu'au CFA et chez l'assistante maternelle, en recevant la visite du psychologue, de l'assistante sociale, de l'éducateur, et qu'il a continué à fréquenter l'institut pour y voir le psychiatre.

De son côté, la CPAM défend que l'établissement a assuré l'accompagnement de l'insertion sociale et professionnelle prévu à la sortie - par l'article 8 de l'annexe XXIV (2)  -, accompagnement qui n'entraîne aucune facturation de prix de journée.

Le 4 décembre 2002, le TASS donne raison à l'association en reconnaissant la réalité de la prise en charge et sa conformité à la mission de l'établissement. La CPAM conteste la décision et obtient, le 10 octobre 2003, un arrêt contraire de la chambre sociale de la cour d'appel de Toulouse. Selon celle- ci, « l'établissement n'a plus assuré [...]de fonction d'enseignement, d'encadrement socio-éducatif et de suivi quotidien de l'adolescent dont il est établi[…] qu'il avait atteint une autonomie personnelle et financière ».

Au-delà du cas d'espèce

Pour Olivier Poinsot, directeur des affaires juridiques et du contentieux de l'ASEI, « cette lecture des faits est sélective. Elle occulte le lien salarial qui unit l'assistante maternelle et l'établissement et oublie que c'est au directeur de prononcer la sortie. Le juge remet aussi en cause l'orientation décidée par la CDES, ce qui ne relève pas de sa compétence. » Un point de vue que l'association ne peut faire valoir car, « malheureusement, ce jugement fondé sur une appréciation des circonstances, et non sur des arguments de droit, ne permet pas un pourvoi en cassation ». En juin 2004, après sommation d'huissier, l'ASEI doit rembourser les sommes réclamées. Pour elle, c'est le droit à l'apprentissage des jeunes handicapés accueillis en établissement médico-social qui est purement et simplement remis en cause.

Car, entre-temps, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne n'en est pas restée au cas d'espèce. Dès l'année 2000, elle avait prévenu les établissements qu'elle comptait appliquer progressivement la circulaire budgétaire de 1999 (3). Ce texte stipule qu'en cas d'apprentissage, l'établissement n'a qu'un « rôle de suite [...] mineur », qui « ne devrait pas » donner lieu à facturation de prix de journée. Restée sans effet immédiat, l'annonce est réactivée en janvier 2004..., la caisse s'appuyant aussi sur l'arrêt de la cour d'appel. Elle prévient qu'elle mettra fin au paiement des prestations médico-sociales pour les apprentis en septembre 2004.

La Haute-Garonne compte plus d'une centaine de jeunes handicapés en apprentissage. « Pour tenter de trouver une solution », la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) réunit toutes les parties concernées le 28 avril 2004. Dans le débat, les directeurs des instituts de rééducation et instituts médico-professionnels (IMPro) suivant des apprentis font valoir que leur accompagnement est de même nature que celui des jeunes handicapés scolarisés en lycée d'enseignement professionnel (LEP), dont la prise en charge n'est pas remise en cause. Sauf à considérer que le retour en milieu scolaire ordinaire serait automatiquement synonyme de « guérison », ce qui serait contraire à la politique actuelle d'intégration. Ils rappellent aussi que ce sont souvent les jeunes les plus en difficulté qui sont orientés vers l'apprentissage. Sans accompagnement spécialisé, beaucoup courent à l'échec, estiment les professionnels unanimes. Alors qu'un apprentissage bien accompagné est parfois la seule chance d'insertion professionnelle pour les intéressés.

La CPAM « ne conteste pas le besoin d'accompagnement », précise Roselyne Jaume, responsable du service gestion des risques. Mais elle estime « qu'il ne relève pas de l'assurance maladie. Si le jeune peut aller en apprentissage, c'est qu'il dispose d'assez d'autonomie pour n'avoir pas besoin d'une prise en charge lourde. » Une position approuvée par la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM). Selon Jean-François Rouget, chef de projet sur la politique du handicap, « le suivi se résume souvent à un coup de fil hebdomadaire passé par l'éducateur ou l'assistante sociale. Pas de quoi justifier le versement d'un prix de journée. » En tout état de cause, « la circulaire à caractère réglementaire de 1999 est un document opposable » et la CNAM ne peut que l'appliquer. Ce qui, d'ailleurs, « ne semble pas faire problème ailleurs ».

Dans la Haute-Garonne en tout cas, un compromis a été adopté, pour cette année, sur proposition de la DDASS. Celle-ci souhaitait « pouvoir maintenir un accompagnement médico-éducatif pour les jeunes qui en ont besoin, à hauteur de ce besoin », explique Martine Servat, médecin-inspecteur. Une nouvelle procédure a donc été mise en place. Tous les dossiers des apprentis font l'objet, avant la réunion de la CDES, d'un examen par une équipe technique spécifique, incluant notamment le médecin-conseil de la CPAM et le médecin-inspecteur de la DDASS. Le 18 juin, plusieurs dizaines de dossiers ont ainsi été « examinés un à un, en regardant le projet individuel du jeune et le projet de suivi formulé par l'établissement ». Quelques dossiers ont été rejetés car incomplets ou insuffisamment justifiés. Quelques jeunes ont été maintenus en internat. Pour la plupart, une prise en charge de type service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) a été retenue. Ce qui implique, selon le cahier des charges régional, un accompagnement de trois à neuf heures par semaine. Pour un coût nettement inférieur au prix de journée en établissement (4). La CDES a suivi toutes les propositions de l'équipe technique.

Pour la caisse nationale de l'assurance maladie, il n'y a pas lieu « de transformer une crispation locale en exemple national ni de créer un faux problème là où il n'y en a pas », indique Jean-François Rouget. Il n'est pas question non plus d'introduire de rupture dans les prises en charge ni de susciter de difficulté pour l'insertion des jeunes. Mais le prix de journée ne peut être versé que si l'intervention est effective, rappelle-t-il, décret budgétaire et comptable 2003 à l'appui. « La réanimation de vieilles querelles » lui semble d'ailleurs d'autant moins opportune que l'emploi et la formation des personnes handicapées pourraient bientôt relever des seuls départements.

De son côté, la direction générale de l'action sociale (DGAS) a « pris acte » de la procédure adoptée à Toulouse, mais sans se prononcer par écrit. Elle confirme aussi qu'aucun autre département n'a fait état de difficultés en la matière.

Une palette de solutions

Pour autant, estime une source proche de la DGAS, la question soulevée a une portée générale. D'une part, estime-t-elle, la facturation à l'assurance maladie doit correspondre aux prestations effectuées et il est difficile à un établissement de « justifier un prix de journée intégral pour un apprenti qui passe la moitié de son temps dans son entreprise ou au CFA ». D'autre part, il ne semble pas possible, ni souhaitable, de traiter différemment des jeunes qui suivent la même formation et préparent le même diplôme selon qu'ils le font en IMPro, en LEP ou en apprentissage. D'autant- tout le monde est d'accord là-dessus - que les apprentis ne sont pas forcément les moins en difficulté.

Le secteur médico-social offre une palette de solutions, dont l'accompagnement de type Sessad, qui doivent toutes pouvoir être mobilisées, estime ce bon connaisseur du dossier. A ses yeux, rien n'empêche une prise en charge adaptée, ni le jugement de la cour d'appel de Toulouse qui n'a tranché que pour le cas particulier qui lui était soumis, ni la circulaire de 1999. Ce texte emploie le conditionnel pour dire que le suivi d'un apprenti « ne devrait pas » donner lieu à facturation, souligne-t-il tout en convenant qu'il sonne plutôt comme un impératif. Pour ce spécialiste, il y a sans doute une « réflexion à mener, avec tous les partenaires concernés » et elle pourrait déboucher sur une nouvelle circulaire. Soucieuse des deniers de la sécurité sociale mais plus souple et plus attachée à la reconnaissance et à la prise en charge des besoins réels de chacun.

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  ASEI : 4, avenue de l'Europe - BP 62243 - 31522 Ramonville-Saint-Agne cedex - Tél. 05 62 19 30 30.

(2)  Annexe XXIV au décret du 27 octobre 1989 qui précise les « conditions techniques d'autorisation des établissements et des services prenant en charge des enfants ou adolescents présentant des déficiences intellectuelles ou inadaptés ».

(3)  Annexe 9 à la circulaire DAS/TS2/DSS/1A n° 99.125 du 1er mars 1999. Ses recommandations sont issues d'un groupe de travail commun à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, à la direction de l'action sociale et à la caisse nationale de l'assurance maladie.

(4)  Les comparaisons sont difficiles entre le budget global alloué aux Sessad, différent pour chacun d'eux, et le prix de journée attribué, là aussi au cas par cas, aux établissements. Ce dernier atteint, en moyenne nationale, 200  € par jour. La dotation des Sessad est souvent de trois à cinq fois inférieure.

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