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La voie innovante et malaisée de l'économie sociale

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Proposer des modes de garde plus adaptés aux évolutions actuelles du travail, intégrer les parents à l'élaboration des dispositifs, développer le lien social... Les acteurs de l'économie sociale et solidaire cherchent de nouvelles réponses pour l'accueil du jeune enfant. Mais la démarche repose sur un véritable engagement de ses promoteurs.

« Demain, nous aurons autant besoin d'entrepreneurs de sens que nous avons eu hier besoin d'entrepreneurs économiques. Dans le domaine de la petite enfance, on n'a pas uniquement besoin de prestations de services, mais aussi de communication, d'échanges et de mettre du lien entre les parents », expliquait l'économiste Henri Noguès, lors de la journée des chambres régionales de l'économie sociale (CRES) de Bretagne, des Pays-de-la-Loire et de Poitou-Charentes, consacrée à l'accueil du jeune enfant (1). Augmentation des familles monoparentales, développement du travail féminin, accroissement de la flexibilité et des inégalités liées aux horaires ou aux déplacements..., pour Catherine Coutelle, vice-présidente de la communauté d'agglomération de Poitiers, les modes de garde traditionnels ne peuvent plus répondre à eux seuls aux nouvelles contraintes sociales et professionnelles : « Les temps qui rythment la vie de la société se sont désynchronisés, nous ne vivons plus sur le temps industriel [...]. On est passé à une organisation fondée sur la rapidité, la réactivité [...], avec des horaires décalés, morcelés, des délais de prévenance (obligatoires pour faire changer les horaires de certains salariés) pas toujours respectés. » Dans ces conditions, « la recherche de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle débouche sur la demande de nouveaux services, ouverts autrement ». En s'appuyant sur une articulation entre les familles, les entreprises et les collectivités, les associations et mutuelles de l'économie sociale cherchent donc à apporter aux parents une plus grande souplesse de fonctionnement. Comment répondre aux demandes ponctuelles de garde d'un parent intérimaire à qui l'on vient de proposer une mission de quelques jours avec des horaires décalés ?Que proposer à l'aide-soignante qui rentre tard le soir ou à une femme seule qui travaille la nuit dans l'hôtellerie quand les crèches traditionnelles n'acceptent pas les enfants au-delà de 18 h 30 et que des solutions de garde individuelle se révèlent financièrement inabordables ?

Permettre l'accès à l'emploi

Créée en 2002 par un collectif de parents déplorant l'absence de solutions adaptées au rythme et aux ressources financières de certaines familles rennaises, l'association Parenbouge a lancé la même année un service de garde à domicile à horaires décalés et adapté aux revenus des personnes. Parendom, c'est son nom, met à disposition des familles rennaises, en situation souvent de précarité, un service de garde assuré à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit par une douzaine de professionnels (CAP petite enfance, auxiliaires de puériculture et éducateurs de jeunes enfants). « Le slogan de l'association était :“ne pas empêcher un parent d'aller travailler”. Nous avons essayé de prendre le mode de garde comme un prétexte à une réflexion plus globale sur la façon de donner la possibilité aux femmes d'accéder à un emploi, pas toujours idéal, mais qui leur permette de reprendre pied », précise Emmanuelle Rousset, sa directrice. En 2003, les équipes de Parendom ont assuré 7 400 heures de garde (facturées entre 1 € et 9  € selon les revenus) à des horaires atypiques et auprès d'un public composé à 80 % de familles monoparentales et à plus de 50 % d'origine étrangère. « Sans ce service, ces femmes n'auraient jamais eu accès à l'emploi », assure Emmanuelle Rousset. A Angers, la Mutualité française Anjou-Mayenne et la caisse d'allocations familiales (CAF) ont ouvert, en septembre 2002, « Les Bambins », une crèche expérimentale recevant les enfants 24 heures sur 24, du lundi au vendredi. Un dispositif mis en place à la suite d'une enquête menée auprès de 4 800 familles, dont les conclusions faisaient apparaître des besoins d'accueil à partir de 6 heures du matin (pour 6 % des parents interrogés), entre 18 heures et 20 heures (pour 7 %) et la nuit (pour 4 %). « L'accueil de nuit répond soit à des situations d'urgence comme les départs en stage ou en formation, soit à des situations difficiles comme celle de cette famille dont le père travaille la nuit à l'usine et la mère est veilleuse de nuit plusieurs fois par semaine. Fréquemment, des mamans nous disent que, sans cette possibilité d'accueil, elles seraient obligées de refuser des propositions de missions d'intérim », raconte Annie Richard, responsable de la structure.

LA PETITE ENFANCE  : UN « MARCHÉ » CONVOITÉ

L'économie sociale, qui représente plus de 760 000 associations, mutuelles et coopératives et un peu moins de 2 millions de salariés, est fondée sur des principes de liberté d'adhésion, d'utilisation des bénéfices au service de l'activité commune et de gestion démocratique. Quant à l'économie solidaire, elle « se revendique d'une sorte de mise à jour des valeurs de l'économie sociale en mettant en place des initiatives directement co-portées par les usagers qui deviennent aussi des producteurs de services », précise Bernard Mérand, délégué général de la chambre régionale de l'économie sociale (CRES) de Bretagne. Une organisation qui est particulièrement « contrecarrée en ce moment, regrette Jacques Stern, membre du bureau de la CRES des Pays-de-la-Loire. Le domaine de la petite enfance est un secteur dont l'économie de marché cherche à s'emparer. Je suis frappé, par exemple, de voir en première page du site d'une institution le détail des mesures permettant aux entreprises de créer des crèches. »

Développer le lien social

Au-delà de cette aide indirecte à l'insertion professionnelle des parents, les dispositifs d'accueil visent aussi souvent à créer du lien social entre des familles très isolées sur un territoire. La politique d'accueil instaurée par une association de parents et d'assistantes maternelles bénévoles sur un canton proche d'Angers (regroupant plus de 14 000 habitants, dont 1 220 enfants) témoigne de cette préoccupation : l'association « La Boîte à malice » a ainsi créé en 1999 un Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) pour signer le contrat petite enfance avec la CAF et mettre en place un relais assistantes maternelles et deux haltes-garderies (dont une itinérante destinée aux zones les plus rurales) pour les dix communes du territoire. A partir de cette démarche de complémentarité de services, la mobilisation des bénévoles de l'organisation a permis d'encourager la mobilité et de susciter des échanges. « Rapidement les parents ont pris l'habitude de se déplacer et ils n'hésitent plus à faire 20 km pour confier leur enfant à une des garderies ou pour participer aux activités des “ateliers-rencontres” organisés par le relais assistantes maternelles sur l'ensemble du canton », se félicite Isabelle Legall, ancienne vice-présidente de l'association. Une mise en relation jugée primordiale également par les responsables de Parenbouge. S'ils organisent des temps d'échanges entre parents, leur formule de garde à domicile incite parfois aussi les familles à s'orienter vers d'autres dispositifs de l'association ou à organiser des gardes partagées.

Cette participation citoyenne des parents et autres bénévoles, inhérente à l'économie sociale et solidaire, permet « d'apporter des réponses qui dépassent celles mises en place par les différentes institutions », estime Bernard Mérand, délégué général de la CRES de Bretagne. Illustration avec « Rêves d'enfance », un collectif de parents lancé en septembre 2000 dans la communauté de communes de Guingamp pour engager un débat avec les élus sur la politique de la petite enfance. Il a organisé plusieurs rencontres pour recueillir les aspirations des familles. « Il s'agissait de voir quels étaient leurs rêves pour leurs enfants et d'examiner ensuite comment les ancrer dans la réalité à partir d'actions à mener avec les parents eux-mêmes, les professionnels et enfin les institutions et les élus. Une synthèse a été présentée aux candidats lors de l'élection de mars 2001 », raconte Isabelle Arhant, du collectif. A la suite des élections municipales, le collectif a été associé aux travaux de la commission petite enfance de la communauté de communes. En début d'année, un comité d'animation, composé de parents et d'assistantes maternelles, a été créé pour réfléchir aux moyens d'aller au-delà du rôle classique d'un relais assistantes maternelles : « Alors que les parents prenaient une journée pour faire des sorties organisées par l'école maternelle, on s'est demandé pourquoi ils ne feraient pas la même chose avec les assistantes maternelles », explique Isabelle Arhant. Entre-temps, une journée festive a également été organisée pour solliciter leur avis sur la mise en place d'une maison du petit enfant.

Les associations et mutuelles doivent néanmoins essayer de concilier les logiques divergentes, voire antagonistes, des professionnels qui défendent les conditions d'accueil de la petite enfance, des collectivités locales soucieuses de promouvoir les atouts de leur territoire et des entreprises à la recherche d'une flexibilité accrue : « Il y a trois ans, on a mené un travail avec Mitsubishi, alors installé dans la région de Vitré, pour que les salariés puissent commencer leur travail à 6 heures plutôt qu'à 5 heures du matin et profiter du service de garde à horaires décalés qu'on mettait en place », explique ainsi Bernard Mérand. « Néanmoins, nous sommes confrontés à un dilemme. Faut-il créer des structures aux horaires atypiques au risque d'encourager la dérégulation du travail, ou au contraire freiner ce mouvement sous peine de contribuer à une plus grande précarité des parents ? », s'interroge Martine Caillat- Drouin, adjointe au maire d'Angers. D'autant, soulignent les responsables des associations et mutuelles, que les horaires décalés concernent également les salariés des structures.

Temps partiels subis, dureté du travail à domicile avec des horaires atypiques, nécessité d'une organisation de travail spécifique..., il n'est pas toujours simple d'obtenir des conditions de travail idéales, reconnaît Emmanuelle Rousset : « Nous ne sommes pas non plus toujours des employeurs formidables. Mais nous essayons à Parendom de tendre vers un maximum de garanties. Tout le monde est en contrat à durée indéterminée et nous cherchons à développer un maximum de temps complets. »

Il est clair que la souplesse des formules d'accueil implique un véritable engagement et une disponibilité de la part des professionnels de la petite enfance, ainsi qu'une logistique bien rodée. Certaines structures, à l'instar de la crèche « Les Bambins », ont par exemple instauré des cahiers de transmission pour assurer la continuité de la prise en charge des enfants. D'autres, comme Parendom, ont créé un poste de coordinatrice pour gérer des plannings particulièrement complexes et organisé des réunions d'analyse de pratique pour les professionnels effectuant les gardes à domicile.

Les acteurs de l'économie sociale et solidaire spécialisés dans l'accueil du jeune enfant déplorent enfin le décalage entre les bassins de vie et d'emploi et la vision départementale de la caisse d'allocations familiales, même s'ils reconnaissent ne pouvoir se passer de son soutien financier pour pérenniser les structures innovantes. « La crèche ouverte 24 heures sur 24 à Angers est un projet expérimental voulu et porté par la CAF, explique ainsi Francis Guiteau, directeur du secteur enfance à la Mutualité française Anjou- Mayenne. Mais aucun gestionnaire, public ou privé, ne peut s'engager dans une telle démarche avec la garantie de pouvoir équilibrer. C'est impossible. »

Henri Cormier

Notes

(1)   « Evolution de l'accueil du jeune enfant : la valeur ajoutée de l'économie sociale et solidaire », le 25 juin 2004, à Angers. Un recueil d'expériences a été édité à cette occasion. Contact : CRES Bretagne - 11, square de Galicie n° 293 - 35200 Rennes - Tél. 02 23 35 02 02.

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