Même s'il se veut positif dans son ensemble, l'avis du Conseil économique et social (CES) sur le plan de cohésion sociale et l'avant-projet de loi de programmation qui le traduira au niveau législatif (1) - dont il avait été saisi le 8 juillet - n'en comporte pas moins nombre de critiques de fond. En premier lieu sur l'aspect pécuniaire : « C'est sur la question des moyens budgétaires alloués par l'Etat, sur la durée, à cet objectif de cohésion sociale que se focalisent pour beaucoup les débats autour de la loi de programmation », souligne l'avis adopté le 31 août à une large majorité (151 voix pour sur 176 votants, une abstention, seul le groupe des entreprises ayant voté contre), présenté par Jean Bastide, membre du groupe des associations, rapporteur général, président de la commission ad hoc (2). Jean-Louis Borloo a balayé ces critiques en arguant, devant l'assemblée plénière, qu' « une loi de programmation sur cinq ans était le plus haut degré d'engagement financier possible », et en se réjouissant que « le budget 2005 corresponde à l'euro près aux engagements financiers du plan pour sa première année d'application ». Pour le reste, il s'est félicité du « caractère constructif des suggestions formulées, dont un bon nombre seront retenues dans le projet de loi de cohésion sociale ». Lequel devrait être présenté le 15 septembre en conseil des ministres.
Des trois grands volets du plan (3) et de l'avant-projet de loi - emploi, logement, égalité des chances -, c'est le premier, le plus volumineux, qui a suscité la plupart des critiques. Pour l'instance, la politique annoncée aurait ainsi « gagné en force et en crédibilité » si elle avait cherché dans le même temps à résoudre les problèmes de croissance et de destruction des emplois liés aux effets de la mondialisation. Mais elle regrette également que les termes du plan de cohésion sociale, repris dans l'exposé des motifs de l'avant-projet de loi, accordent « la priorité absolue au retour à l'activité alors que la première priorité doit être le retour à l'emploi » et que le gouvernement assimile dans les deux textes l'indemnisation des chômeurs à une « logique d'assistance ». Le conseil se montre également très réservé sur les « nouvelles possibilités d'activité pour les personnes peu qualifiées » dans le secteur des services aux personnes - mesure discrète du plan mais qui pourrait ouvrir la voie à leur déqualification.
Autre reproche majeur sur l'emploi, qui vaut d'ailleurs pour les autres « piliers » de l'avant-projet :le « décalage entre la communication du plan de cohésion sociale et l'avant-projet de loi lui-même, dont la finalité n'est pas toujours en concordance avec les objectifs fixés ». Alors que le texte prévoit, pour piloter le « nouveau » service public de l'emploi, une amélioration de la coordination de l'Etat, de l'ANPE, de l'Unedic et des autres organismes participant aux missions de l'emploi, le CES estime que cette coordination ne doit pas conduire, « en droit et en fait, à une mise sous tutelle des organismes paritaires qui interviennent dans ce champ ». Concernant les exigences en matière d'obligation d'accepter un emploi (des sanctions seraient désormais prévues, y compris quand le poste refusé correspond à une formation que le demandeur « pouvait acquérir » ), le conseil craint qu'elles ne touchent d'abord les personnes les plus fragilisées. Et estime « qu'aucune sanction de l'obligation de recherche active d'emploi, quelle que soit la graduation introduite dans sa mise en œuvre, ne devrait pouvoir être prise sans que l'intéressé ait pu faire valoir son point de vue dans le cadre d'une procédure contradictoire en se faisant accompagner par une personne de son choix ». Il dénonce « une méconnaissance de la réalité du marché du travail » qui pourrait aboutir à une « déqualification des salariés » et à une baisse des rémunérations. Le contrat d'apprentissage, à ses yeux, risque une forme de dévoiement en étant de plus en plus considéré comme un moyen d'insertion.
Le Conseil économique et social formule également plusieurs propositions d'amélioration sur la « rationalisation » des contrats aidés, portant essentiellement sur les questions de formation (dans l'avant-projet de loi, elle n'est pas obligatoire pour le contrat unique marchand) et de rémunération. Il souhaiterait dans tous les cas de retour à l'emploi un mécanisme de cumul intégral avec le revenu minimum d'insertion, notamment avec le contrat d'activité -réservé aux bénéficiaires des minima sociaux. Ce cumul pour une période limitée est déjà prévu pour les contrats aidés, qui doivent fusionner en un unique contrat d'accompagnement dans l'emploi. Pour inciter les allocataires à la reprise du travail, il préconise la mise en place d'une allocation compensatrice de revenu décroissante par rapport au salaire et s'annulant au niveau du SMIC mensuel.
Sur le volet du logement également, les craintes du CES se focalisent sur les moyens financiers, la réalisation des objectifs reposant « en grande partie sur les budgets de l'Etat, des collectivités locales et des partenaires sociaux ». Quelle sera également la cohérence du plan et du projet de loi avec la loi sur les responsabilités locales (4) ?Ainsi, rejoignant la position des associations, l'assemblée aurait préféré que cette dernière autorise le transfert du contingent préfectoral de logements sociaux aux seuls établissements publics de coopération intercommunale, et non aussi aux maires. En outre, l'opposabilité du droit au logement devrait selon l'instance figurer dans le projet de loi Habitat pour tous, qui doit être présenté avant la fin de l'année par le ministère du Logement.
Le conseil doute par ailleurs de l'efficacité du renforcement du statut de créance privilégiée des impayés relatifs à la charge de logement, prévu dans le plan de Jean-Louis Borloo afin de sécuriser les bailleurs privés. « L'accent mériterait d'être davantage porté sur les dispositifs de sécurisation destinés à assurer la solvabilité des ménages (Fonds de solidarité, Loca-pass...), leur complémentarité et leur coordination », rappelle-t-il, tout en demandant que le gouvernement prévoit la mise en œuvre de la couverture logement universelle (5).
Au-delà, la programmation budgétaire pour le logement ne lui semble pas « à la hauteur de l'ambition du plan de cohésion so ciale ». Le CES craint qu'elle « conduise davantage à un rattrapage des retards qu'à la mise en œuvre d'une nouvelle politique ». Il déplore ainsi qu'au delà des chiffres annoncés, le programme ne prévoie qu'une augmentation nette relativement faible du nombre de places d'accueil d'urgence (+ 3 400). Au regard des besoins, le nombre de places prévues en centre d'accueil pour demandeurs d'asile (20 500 places en 2007) est jugé insuffisant. Même inquiétude pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale : l'effort budgétaire consacré à ces structures ne devrait progresser que de 1,3 % entre 2004 et 2007, contre 2,9 % tous les ans entre 2 000 et 2004, et le nombre de places supplémentaires prévu n'est que de 1 800 sur trois ans.
Reste la « promotion de l'égalité des chances », réduite, selon le Conseil économique et social, à la portion congrue du projet. « Compte tenu des travaux réalisés par le conseil sur ce sujet depuis des années, il ne pouvait nous satisfaire », a souligné Hubert Brin, rapporteur pour ce volet . Les internats de réussite éducative, présents dans le plan mais étonnamment absents de l'avant-projet de loi, devraient selon la commission être précisés dans le projet de loi d'orientation sur l'école. Surtout, le rapporteur attire l'attention sur le fait que ces structures ne doivent pas devenir « un outil répressif » et qu'il ne doit pas y avoir de confusion entre les missions de l'Education nationale et celles de la protection judiciaire de la jeunesse.
L'avant-projet de loi prévoit également des dispositions sur le contrat d'accueil et d'intégration, expérimenté depuis plus d'un an et qui doit être généralisé en 2006. Regrettant qu'il ne concerne que les nouveaux arrivants et conditionne fortement l'obtention de la carte de résident, le conseil craint des confusions « entre politique d'intégration, qui inclut bien évidemment l'apprentissage de la langue, et gestion des flux migratoires ». L'avant-projet de loi redéfinit par ailleurs les missions du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild), qui participerait désormais aux programmes régionaux d'intégration des populations immigrées et financerait les actions de formation linguistique. Le conseil considère que « ces missions nouvelles ne peuvent se réaliser par un simple redéploiement financier des moyens actuels du Fasild ». Et craint que la réorientation de ces activités sur des objectifs d'accueil des primo-arrivants ne se fasse au détriment de ses missions d'intégration.
Enfin, pour remettre un peu de cohérence entre les ambitions affichées et les propositions gouvernementales, le CES réclame que le plan de cohésion sociale intègre toutes les décisions prises lors du comité interministériel de lutte contre l'exclusion (6), que l'avant-projet de loi inclue celles qui nécessitent une traduction législative et que le gouvernement s'engage, dans le cadre du débat parlementaire, sur un calendrier de mise en œuvre de toutes ces décisions.
M. LB.
(1) Disponible sur
(2) Et également par Danielle Bourdeaux, rapporteur pour le logement, membre du groupe de l'artisanat ; Hubert Brin, rapporteur pour la promotion de l'égalité des chances, membre du groupe de l'Union nationale des associations familiales et Christian Larose, rapporteur pour l'emploi, membre du groupe de la CGT.
(3) Voir ASH n° 2366 du 2-07-04. Le plan fera l'objet d' « accords-cadres » pour sa mise en œuvre à l'échelon territorial. Le premier a été signé par Jean-Louis Borloo le 27 août à Strasbourg.
(4) Voir ASH n° 2370 du 27-08-04.
(5) Le Conseil national de l'habitat devrait recevoir prochainement un rapport de Jean-Luc Berho, secrétaire confédéral CFDT chargé du logement, sur un projet de fonds de garantie mutualisé des risques locatifs.
(6) Voir ASH n° 2367 du 9-07-04.