Elles ne sont pas très nombreuses : environ 3 500, soit moins de 10 % de la profession. Cela explique-t-il que les assistantes sociales du travail soient si mal connues ? Cette méconnaissance, en tout cas, est ici réparée. Répondant à l'enquête réalisée par les deux chercheurs, 400 professionnelles décrivent leur trajectoire, expliquent leur mode d'exercice et analysent le détail de leurs activités. Il s'agit donc d'un portrait très fouillé de la profession, que les auteurs réinscrivent dans le cadre plus large de son histoire.
Le service social du travail, qui s'est structuré dès la fin de la Première Guerre mondiale, a donné lieu à l'une des formations les plus anciennes et les plus prestigieuses du travail social : celle des surintendantes d'usines. En dépit de leur expertise, cependant, ni les surintendantes, ni, ensuite, les conseillères du travail - dont le diplôme d'assistante sociale est également complété par une formation spécifique d'un niveau élevé, aujourd'hui dispensée à l'Ecole supérieure du travail social à Paris -n'ont réussi à se faire leur véritable place dans le monde du travail. Et ce, pour au moins deux raisons. L'une tient au caractère malthusien d'un recrutement très sélectif qui n'a pas permis de former ces spécialistes en assez grand nombre pour répondre aux besoins : les entreprises se sont donc tournées vers des assistantes sociales sans spécialisation particulière. L'autre tient à la concurrence « par le haut » des chefs du personnel et futurs directeurs des ressources humaines, les employeurs manifestant leur préférence pour un encadrement masculin des relations sociales dans un milieu lui aussi majoritairement composé d'hommes. Ce sont donc essentiellement des assistantes sociales, non surintendantes ou non conseillères du travail, qui ont investi le service social du travail et sont aujourd'hui, de loin, les plus nombreuses à y exercer. Sans y être vraiment bien préparées, soulignent les auteurs, notant que les usines ou les administrations ne constituent pas des lieux de stages privilégiés et que seul un petit nombre de mémoires de fin d'études sont consacrés à l'univers du travail salarié. Cette faible sensibilisation initiale contribue probablement à expliquer que l'orientation vers le service social du travail est rarement le fait d'un premier choix : il s'agit le plus souvent d'une reconversion intervenant après une trajectoire plus ou moins longue et complexe, éventuellement marquée par le rejet d'autres formes d'exercice (en polyvalence de secteur notamment). Néanmoins, l'enquête présentée fait aussi ressortir qu'une fois en poste- dans une entreprise ou une administration, un service interentreprises ou dans un cadre libéral -, les professionnelles apprécient l'intervention sociale dans le milieu professionnel : peu projettent de l'abandonner.
L'attrait pour le service social du travail renvoie notamment, selon les intéressées, à la diversité des tâches et des personnes rencontrées, au caractère faiblement routinier de la pratique et à la marge d'autonomie dont elles disposent. Cette radiographie optimiste ne dissimule cependant pas les problèmes qui se posent à la profession. « Non pas que la fonction que tiennent aujourd'hui assistantes sociales et conseillères soit appelée à disparaître. Mais rien n'implique qu'elle soit exercée par des travailleurs sociaux et plus précisément par des assistantes sociales », estiment les chercheurs. L'histoire qui a vu se substituer les assistantes sociales aux surintendantes et aux conseillères du travail pourrait se reproduire au détriment des premières, avancent François Aballéa et Charlotte Simon. Par ailleurs, et c'est là à leurs yeux un plus grand risque encore, le métier pourrait se voir réduit à de la prestation sociale externe centrée sur le hors-travail, ce qui reviendrait à nier la spécificité de la fonction.
Le service social du travail. Avatars d'une fonction, vicissitudes d'un métier -François Aballéa, Charlotte Simon - Ed. L'Harmattan - 24,20 € .