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Un lieu-ressources pour tous au tribunal de Marseille

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La Sauvegarde assure une permanence d'accueil au sein même du tribunal pour enfants de la cité phocéenne et y reçoit les publics en difficulté, souvent orientés par des services sociaux. Un dispositif pour le moins atypique mais dont le service est apprécié des magistrats.

A quelques encablures du Vieux-Port de Marseille et des voiliers qui y mouillent paisiblement, une structure originale a jeté l'ancre au cœur du tribunal pour enfants. Chaque matin, des assistants de service social (1) de l'Association du service social de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence et des jeunes adultes des Bouches-du-Rhône (Asssea 13)   (2) tiennent au sein même du palais de justice une permanence spécialisée au civil et reçoivent les justiciables en difficulté. Enfants en souffrance, parents en détresse, jeunes en errance... peuvent ainsi trouver secours au service « Accueil, écoute, information, conseil et orientation » (AEICO). « Nous sommes une bouée de sauvetage, résume sa responsable, Martine Albrand. A l'heure où les lieux d'écoute se raréfient, ici il est possible de rencontrer une assistante sociale vite et sans rendez-vous. »

En 2003, 1 002 personnes ont été accueillies. Parmi elles, 359 venaient pour une demande d'assistance éducative et 90, de placement ; 452, d'accès au droit (filiation, nationalité...) et 101, de renseignements. Comment ont-elles eu l'idée de s'adresser directement au tribunal pour demander de l'aide ? Pour Gérard Fassio, directeur général de l'Asssea 13, la qualité est la meilleure publicité. « Ce service est repéré par la population et le bouche-à-oreille fonctionne. Surtout, les travailleurs sociaux de divers organismes : caisse d'allocations familiales, sécurité sociale, conseil général... lui envoient beaucoup de gens car ils savent qu'ils seront entendus et qu'au moins une orientation leur sera proposée. » Le service a en effet pour règle d'or de ne laisser personne repartir bredouille. « Ces gens ont besoin d'une réponse cohérente, pratique, rapide et efficiente, affirme Martine Albrand. Une information précise leur est donc fournie. Nous remettons des documents, établissons des liaisons, rédigeons des courriers, prenons des rendez-vous... et la porte n'est jamais fermée. »

Pendant qu'un professionnel assure la permanence téléphonique, l'autre reçoit les usagers en entretien et tente de cerner la demande qui se cache derrière leur détresse, voire leur agressivité. La formulation des droits et devoirs de chacun, le soutien à la parentalité, l'esprit de médiation sont les fils conducteurs de l'intervention. « Lorsqu'un mineur vient seul, nous enregistrons sa demande mais nous lui expliquons que nous ne ferons rien sans rencontrer ses parents, observe Anne Cohen-Bacrie, assistante sociale. Nous les recevrons si possible dès l'après-midi pour faire le point ensemble et vite dénouer la situation. » De même, lorsque des parents excédés viennent seuls, les assistantes sociales organisent une rencontre avec le mineur. Un travail d'investigation et de liaison permet alors de savoir si la situation est déjà connue : un dossier a-t-il été ouvert au tribunal ? les services de prévention du conseil général sont-ils intervenus ? quelle est la situation dans l'établissement scolaire ? « Grâce à un accord passé avec l'Education nationale, on nous faxe la situation de l'élève :résultats, comportement, absentéisme... » Une réflexion est ensuite menée avec les justiciables « dans le but de mobiliser le droit commun avant d'arriver dans le droit judiciaire », assure Martine Albrand. Lorsque la famille souhaite déposer une requête, cependant, un courrier lui est demandé afin de susciter sa participation. « Ce temps de l'écrit permet de dédramatiser la situation, de prendre de la distance et favorise un réinvestissement dans la réflexion parentale. » Adressées aux juges des enfants compétents, les requêtes sont accompagnées d'un descriptif de la situation et d'éléments d'analyse. Moins de 30 % des demandes exprimées sont soumises aux magistrats, mais, parmi celles-ci, 90 % donnent lieu, à Marseille (3), à l'ouverture d'un dossier de protection judiciaire. A la demande des juges, le service effectue également des liaisons avec l'extérieur pour obtenir des précisions ou convoque les familles pour des entretiens complémentaires. Les juges des enfants le sollicitent aussi souvent pour créer du lien avec les justiciables.

La pédagogie est au cœur de la démarche. Il s'agit autant d'expliquer les fondements de l'autorité parentale - l'équipe envisage d'ailleurs d'élaborer un document très concret sur ce sujet pour les usagers -, que les tenants et aboutissants de l'assistance éducative ; de démêler l'imbroglio des procédures dans lequel se perdent les justiciables et de clarifier ce qui relève des différents juges (des enfants, aux affaires familiales, d'instruction, des tutelles...), que de s'assurer de la compréhension de toute information donnée. « Nombre de gens sont en situation de détresse ou de révolte car ils ne comprennent pas les décisions de justice, observe Martine Albrand. Aussi les décryptons-nous afin qu'elles fassent sens. Mais il s'agit également de tout reformuler avec des mots simples car beaucoup ont un vocabulaire limité. » Cela implique aussi de travailler en partenariat avec des traducteurs pour les non-francophones. Le besoin en est d'autant plus aigu que, privilégiant le respect de l'intimité et de la vie privée, l'équipe évite de faire intervenir un tiers non neutre (voisin ou autre), susceptible en outre d'interpréter les propos de chacun.

Dans cette même volonté de faciliter l'accès au droit, le service assure le retour d'information auprès des usagers, justiciables ou professionnels, et des suites données à leur requête. « Par exemple, lorsqu'un magistrat n'ouvre pas de dossier d'assistance éducative, nous expliquons pourquoi il a eu une approche différente de la notion de danger et nous essayons d'orienter la personne vers un service de droit commun pour qu'un soutien soit tout de même mis en place », explique la responsable. De même, l'équipe mène des recherches pour connaître les suites données à un signalement. Enfin, le service tient aussi, toute la journée, une permanence téléphonique, vouée en grande part à dispenser du conseil technique. En 2003, 2 053 appels ont été reçus.

Au fil des ans, maints partenariats ont été tissés avec divers services, institutions ou professions (préfecture, consulats, brigade des mineurs, Education nationale, médecins, avocats...). Des réunions sont désormais régulièrement organisées et l'essor partenarial reste un objectif permanent. « Pour bien informer les usagers, nous nous devons de connaître parfaitement l'ensemble des dispositifs. Il s'agit aussi de mieux articuler nos pratiques et de constituer des réseaux pour gagner en efficacité », analyse Martine Albrand. Afin de parfaire leurs connaissances, notamment en matière de législation, mais aussi d'acquérir de nouveaux outils, les intervenants ont suivi - ou suivent - des formations poussées, notamment à la maltraitance, à la médiation, à la systémie familiale, à la gestion de la violence ou à l'ethnopsychiatrie. « A Marseille vivent de nombreux Maghrébins et Comoriens, témoigne Anne Cohen-Bacrie. L'ethnopsychiatrie nous est très utile pour interroger ces populations et les mettre en confiance. Nous parvenons ainsi peu à peu à communiquer avec elles, à créer du lien et à approfondir leur situation et leur demande. »

Les populations accueillies ont des origines de plus en plus variées. Parmi elles, le service s'inquiète de recevoir un nombre croissant de mineurs isolés. Face à ces jeunes, mais pas uniquement, le service travaille main dans la main avec le service éducatif auprès du tribunal

(SEAT)   (4), qui prend le relais l'après-midi tout en assurant sa permanence pénale. Services privé et public parviennent ici à collaborer sans heurts, voire à s'entraider. « Nous ne sommes pas en concurrence. Comme nous sommes très spécialisés, nos compétences sont au contraire complémentaires », assure Gérard Fassio. « Si le SEAT reçoit une situation complexe sur le plan civil, notre porte reste ouverte, observe Anne Cohen-Bacrie. En outre, certains publics : jeunes filles enceintes, mesures de tutelle aux prestations sociales... sont souvent renvoyés d'emblée sur notre permanence, le SEAT ayant à gérer d'autres urgences. » L'intervention d'AEICO permet ainsi indéniablement de soulager éducateurs et magistrats. « Le SEAT a tellement été recentré sur ses tâches pénales qu'il n'aurait pas les moyens de rendre le service fourni par AEICO sur le plan de l'assistance éducative », affirme Christine Bartolomei, présidente du tribunal pour enfants de Marseille, pour qui il s'agit là d'un « outil précieux ». « Il nous apporte beaucoup car il permet de filtrer les demandes et nous évite aussi maintes démarches administratives. Mais cela ne fonctionne que parce que ce sont d'excellents professionnels, sachant parfaitement sérier les problèmes et distinguer ce qui relève du juge des enfants ou non. »

L'autre condition est la neutralité du service, car la présence d'une structure du secteur associatif habilité dans une institution publique telle qu'un tribunal peut poser question. « Cette situation n'est pas très saine sur le principe, reconnaît la magistrate. Un tel service devrait relever du public, malheureusement, faute de personnels, c'est impossible. Le danger de ce système est qu'il peut générer des liens privilégiés avec une association plutôt qu'avec une autre et que celle-ci tente d'en tirer profit. Mais, avec la Sauvegarde, ce n'est pas le cas. Il n'y a aucune corrélation directe entre le travail effectué ici en amont et les mesures prises par la suite. » Gérard Fassio reconnaît cependant que le service « offre une vitrine à l'association ». A leur arrivée en poste, les juges des enfants sont souvent perplexes, voire méfiants, face à cette « bizarrerie », mais vite les barrières tombent devant l'intérêt de la prestation rendue.

Un outil de coordination

S'il est un effet pervers, la présidente du tribunal pour enfants le verrait plutôt découler paradoxalement de la qualité du service. En effet, analyse-t-elle, « les services sociaux du département ont du coup tendance à se reposer un peu trop sur lui et à envoyer les gens directement ici au lieu de faire leur travail au niveau des circonscriptions. De fait, le tribunal pour enfants est très bien repéré dans la ville et les familles comme les services sociaux pensent que la mesure sera plus vite prise en venant ici. Le risque, c'est la judiciarisation à outrance et le recul de la prévention. »

Même s'il faut parfois bien recadrer la nature et la mission du service, la présence dans un tribunal d'une permanence associative a maints avantages, selon Gérard Fassio. « Dans un grand tribunal, il y a matière à travailler sur une conception d'un espace propre à l'intervention sociale, pour un public désemparé qui ne sait plus où aller et auquel souvent personne ne sait répondre. Ce type de dispositif, singulier, mériterait d'être étendu. » Sans compter qu'il améliore la coordination des services au niveau départemental en favorisant la connaissance que les uns ont des autres et en les poussant à collaborer, et qu'il sert utilement d'interface entre les services judiciaires et l'extérieur. Des rôles que l'ancien éducateur aimerait voir reconnus et valorisés. Aujourd'hui, le service n'existe que de par la volonté de l'Asssea 13 de maintenir ce travail au sein du tribunal : aucun contrat n'a été établi et l'équipe est financée sur son budget d'action éducative en milieu ouvert. Enfin, il est une autre légitimité pour laquelle se bat Gérard Fassio : « Nous voulons démontrer que la possibilité offerte, depuis 2002, aux usagers concernés par une mesure d'assistance éducative de prendre connaissance des pièces de leur dossier auprès dugreffe du tribunal n'est pas exempte de risques et que les justiciables doivent pouvoir être accompagnés dans leur compréhension. Cette tâche devrait revenir à des techniciens de la relation humaine, autrement dit à des travailleurs sociaux. »

Florence Raynal

Notes

(1)  2,5 équivalents temps plein et un chef de service.

(2)  C'est afin de vérifier la situation des mineurs avant qu'un juge ne soit saisi que le Comité de protection de l'enfance en danger physique ou moral, ancêtre de l'Asssea 13, a été créé en 1935. Hébergée dès le départ par le tribunal de grande instance, l'association y a toujours maintenu son siège social. Quant à son siège administratif, il se situe : 28, boulevard de la Corderie - 13007 Marseille - Tél. 04 91 54 92 86.

(3)  AEICO intervient également dans les juridictions d'Aix-en-Provence et de Tarascon.

(4)  Le SEAT suit le jeune tout au long de la procédure. Il s'occupe de l'accueil, de l'orientation et de l'insertion sociale et professionnelle du mineur ou du jeune majeur confié par le juge aux services de la PJJ.

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