D'une part, une agence nationale de solidarité pour l'autonomie (ANSA) qui assure le financement et la régulation de la compensation de la perte d'autonomie, et par laquelle transitent, outre le nouveau produit de la « journée de solidarité », l'ensemble des actuels crédits d'Etat et d'assurance maladie consacrés aux établissements et services spécialisés pour les personnes handicapées et les personnes âgées. D'autre part, un transfert de compétences sans ambiguïté pour un pilotage de proximité par le département, mais dans le cadre « d'une politique qui est et devra demeurer nationale », l'Etat gardant une fonction d'orientation, d'édiction des normes et de contrôle. Avec ces deux « volets indissociables », le rapport définitif de la mission Briet-Jamet, enfin remis au Premier ministre le 8 juillet (1), confirme les orientations formulées dans le rapport d'étape (2), les précise et les complète, tout en poussant plus loin la logique d'individualisation du risque « dépendance » et de son nouveau type de gestion décentralisée. En écho aux nombreuses inquiétudes qui se sont manifestées sur ce point, il insiste néanmoins sur le fait que le département se verrait confier une « responsabilité encadrée », l'Etat et l'agence nationale devant rester garants de l'égalité de traitement des citoyens sur le territoire, voire l'améliorer.
Deux points de vocabulaire tout d'abord. Pour définir le public visé, la mission a choisi de parler de « personnes en situation de handicap quel que soit leur âge » ou bien « en perte » ou encore « en quête d'autonomie ». Parce que le terme de personnes âgées « dépendantes » « apparaît aujourd'hui mal accepté » et surtout parce que la mission estime souhaitable d'avancer vers un « mode homogène » de compensation des incapacités. Ses propositions laissent donc la voie ouverte aux « évolutions nécessaires » pour renverser les barrières d'âge, notamment celle des 60 ans. Seconde suggestion : parler d'une « agence » nationale de solidarité pour l'autonomie plutôt que d'une « caisse », à la fois pour mieux décrire des fonctions qui ne seront pas que financières, mais aussi pour bien marquer la différence par rapport aux caisses de sécurité sociale...
Le dispositif proposé repose donc d'abord sur l'attribution d'une compétence de droit commun au département, qui se verrait confier, outre la gestion des prestations - l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) aux personnes âgées, qu'il assume déjà, et la nouvelle prestation de compensation du handicap -, l'autorité de tarification et de financement sur l'ensemble des établissements et services consacrés aux personnes handicapées et âgées (3). Les schémas d'organisation sociale et médico-sociale relèveraient donc de la seule responsabilité des départements. La mission préconise néanmoins le maintien d'un avis préalable obligatoire du comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale et, symétriquement, l'association des départements à l'élaboration des schémas régionaux d'organisation de la santé. Les planifications sanitaire et médico-sociale doivent en effet « impérativement être conçues globalement et de façon cohérente », surtout pour ce qui concerne les personnes âgées et certaines formes de handicap (psychique notamment). Une seule exception : les équipements concernant les handicaps rares dont la planification serait du ressort de l'agence nationale.
Dans ce cadre, les départements auraient la responsabilité de la mise sur pied et du pilotage des maisons départementales du handicap, étant bien entendu qu'il ne s'agit pas d'un bâtiment au sens physique du terme mais d'une fonction à assurer, et pas seulement au chef-lieu. Le maillage des sites de proximité pourrait s'adosser, par exemple, aux circonscriptions d'action sociale du département ou bien s'appuyer sur les centres communaux et intercommunaux d'action sociale. La forme juridique de ces maisons devrait être laissée à la « libre administration des collectivités territoriales » mais faire obligatoirement l'objet d'une formalisation avec tous les partenaires concernés, la solution retenue pouvant aller (indication nouvelle) « d'une simple convention au groupement d'intérêt public, en passant par des formes associatives ».
Pour la mise en œuvre du droit à compensation, les équipes pluridisciplinaires d'évaluation - qui devraient « disposer d'un degré suffisant d'indépendance vis-à-vis des financeurs » (sans autre précision) - pourraient comprendre des travailleurs sociaux « issus non seulement du département ou des organismes de sécurité sociale mais aussi des associations, des établissements ou des services à domicile ». Leur investigation devrait inclure systématiquement une visite au domicile et s'appuyer sur un référentiel national « qui devrait, à terme, pour une partie au moins, » être commun aux personnes âgées et handicapées. Le plan d'aide proposé devra être « accepté par la personne bénéficiaire, sa famille ou son représentant légal ».
C'est à la commission des droits et de l'autonomie, dont la présidence revient au conseil général, qu'appartiendrait la décision de la validation du plan d'aide, avec la reconnaissance du taux d'invalidité, l'attribution des prestations et l'orientation afférentes. Pourraient siéger à cette commission cinq représentants du conseil général, deux des autres collectivités locales, deux des services déconcentrés de l'Etat, deux de la sécurité sociale et quatre des associations de personnes handicapées. Ce dispositif devrait, d'ici trois à cinq ans, s'étendre à tous les bénéficiaires, après « rapprochement voire fusion » des instances et des équipes pour les plus et les moins de 60 ans.
Une mission « de suivi et de régulation » serait confiée à un comité départemental de solidarité pour l'autonomie (CDSA) où siégeraient à la fois les représentants des personnes en perte d'autonomie et ceux des gestionnaires d'établissements. Le département devrait lui soumettre chaque année un état budgétaire et un rapport sur les politiques menées et sur les orientations. A lui d'alerter, en cas de dysfonctionnement grave, les services de l'Etat et l'ANSA.
Cette décentralisation appelle une « intervention renouvelée » de l'Etat, précise la mission, qui préconise l'extension des compétences juridiques des services déconcentrés, de préférence au niveau régional. Au-delà des contrôles ponctuels sur les établissements, ceux-ci devraient pouvoir évaluer des blocs de compétences des départements.
Au plan national, l'ANSA - une structure d'état-major dotée d'une cinquantaine d'agents de qualification élevée - devrait recevoir une double mission d'aide aux acteurs, d'évaluation et de mise en cohérence des politiques locales d'une part, de répartition des financements d'autre part.
A l'agence donc de définir les outils et les référentiels qui seront utilisés par les équipes d'évaluation, d'expertiser les aides techniques, de diffuser les pratiques innovantes, de structurer les actions de recherche et d'étude (par convention avec les organismes existants), de veiller au rééquilibrage des capacités d'accueil sur l'ensemble du territoire et de garantir la bonne utilisation des moyens.
Au plan budgétaire, l'agence devra d'abord mobiliser les financements, en ajoutant à ses ressources propres (environ 3 milliards d'euros) les crédits correspondants aux compétences transférées (de l'ordre de 14 milliards d'euros). La mission parvient à ce total en ajoutant les sommes actuellement versées par l'Etat pour les centres d'aide par le travail, les sites pour la vie autonome, les auxiliaires de vie ou d'intégration scolaire (2,3 milliards) et les dépenses de l'assurance maladie pour les aides techniques et pour les établissements et services à domicile pour les personnes âgées ou handicapées (11,7 milliards). Le périmètre des transferts ainsi délimité inclut les forfaits soins et la charge de la médicalisation des maisons de retraite de même que les unités de soins de longue durée (4).
Nouveauté importante par rapport au document d'étape : la mission, qui envisageait le transfert à l'ANSA « d'enveloppes fermées » éventuellement actualisées du coût de la vie - ce qui faisait bondir un secteur appelé à un fort développement démographique et qualitatif -, suggère cette fois l'affectation d'une recette fiscale. Il pourrait s'agir d'une part de la contribution sociale généralisée (CSG) ou bien de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), deux pistes qui pourraient, pour la première « garantir un rythme d'évolution régulier », pour la seconde « laisser des marges de manœuvre ». Ce qui n'empêcherait pas le Parlement de débattre, éventuellement d'infléchir, chaque année la politique de compensation de la perte d'autonomie, par exemple à l'occasion de l'examen des lois de financement de la sécurité sociale.
L'ANSA ne sera jamais en déficit puisqu'elle ne transférera aux départements que les fonds disponibles (une petite réserve nationale mise à part), chaque conseil général étant responsable de la politique menée, y compris avec ses propres deniers. La dotation de l'agence devrait lui être attribuée en deux enveloppes étanches -personnes âgées et personnes handicapées -, mais avec possibilité de fongibilité au sein de chacune d'elles. Le montant de chaque enveloppe serait défini en « trois étages » : le premier consacré aux charges transférées de l'Etat pour les établissements et services, le deuxième finançant les prestations (APA et droit à compensation), le troisième visant l'harmonisation des taux d'équipements et le financement de priorités nationales, le tout s'effectuant au travers de contrats d'objectifs signés entre l'ANSA et chaque collectivité.
Reste le point délicat des frontières de l'ANSA avec l'assurance maladie, certes déplacées par le transfert des budgets médico-sociaux, mais toujours floues. La mission affirme haut et fort qu'il n'est pas question de sortir une partie de la population du régime de droit commun. Ce qui s'applique aux soins ambulatoires ou hospitaliers mais pas aux traitements dispensés dans les établissements médico-sociaux. Au point que le rapport suggère de renoncer à la tarification ternaire des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes créée en 1999, pour revenir à une tarification binaire fusionnant les soins et la dépendance.
Quel sera le sort réservé à ces propositions, sachant qu'elles épousent parfaitement le cadre fixé dès le départ par la lettre de mission de Jean-Pierre Raffarin ? Matignon indique que les ministres respectivement en charge de la protection sociale, des personnes âgées et des personnes handicapées, Philippe Douste-Blazy, Hubert Falco et Marie-Anne Montchamp, « vont maintenant procéder à une expertise approfondie de ce rapport et engager l'ensemble des concertations nécessaires », en particulier avec les collectivités territoriales et les associations. Le « schéma le mieux approprié » pour la mise en place de la politique de la dépendance sera ensuite soumis au Parlement. La décision ne saurait tarder, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ayant été créée entre-temps (5), mais pour l'instant avec une seule fonction de « tiroir-caisse » et une « feuille de route » qui s'arrête au 31 décembre 2004.
M.-J.M.
(1) Et rendu public le 9 juillet sur le site
(2) Voir ASH n° 2356 du 23-04-04.
(3) La mission s'interroge sur l'éventuel rattachement des centres de rééducation professionnelle aux régions, au titre de leur compétence sur la formation professionnelle.
(4) D'autres prestations restent hors du champ des propositions, comme l'indemnisation de l'invalidité ou bien l'allocation aux adultes handicapés, laquelle pourrait logiquement, selon la mission, être transférée à court terme aux départements mais sans transiter par l'ANSA.
(5) Voir ASH n° 2365 du 25-06-04.