C'est au mois d'avril que l'inspection générale des services judiciaires et l'inspection générale des affaires sociales ont remis au garde des Sceaux leur rapport d'évaluation sur les séjours de rupture à l'étranger, qui vient d'être rendu public (1). Le document promet de faire date pour deux raisons. Commandé après le décès en Zambie, en mars 2003, d'un adolescent confié à l'aide sociale à l'enfance, il pointe d'une part les insuffisances du cadre juridique dans lequel s'inscrivent ces séjours. Il formule d'autre part des préconisations pour mieux contrôler les structures organisatrices, à l'heure où la décentralisation de l'assistance éducative devraient donner aux départements l'entière responsabilité du choix des opérateurs chargés du placement des mineurs.
Premier rappel : les séjours de rupture ne constituent pas un mode de placement spécifique encadré par un texte législatif ou réglementaire. Ils sont inscrits dans les projets pédagogiques de deux types de structures : les centres éducatifs renforcés (CER), dont 16, sur les 69 créés, tous appartenant au secteur associatif, recourent à ces séjours, et les lieux de vie - ou structures d'accueil non traditionnelles (SANT) - dont le statut juridique est lui-même encore instable. Une circulaire de 1983 prévoit en effet une simple déclaration de ces structures auprès du département. Certes, elles devraient être soumises à autorisation depuis la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, mais le décret précisant leur statut et leur régime spécifique n'est toujours pas paru...
Au total, 563 jeunes ont été envoyés en séjour de rupture en 2002 (dont 313 placés au titre de l'ordonnance de 1945), pour la plupart en Afrique, soit 0,70 % des 80 000 mineurs placés à l'aide sociale à l'enfance ou à la protection judiciaire de la jeunesse. Des jeunes pour lesquels « le séjour de rupture apparaît comme l'ultime solution, “le joker éducatif” selon l'expression d'un juge des enfants, après épuisement des autres tentatives ». Alors que le séjour à l'étranger ne représente pour les CER qu'une phase (deux mois en moyenne) dans la session de prise en charge, certaines SANT accueillent les mineurs exclusivement à l'étranger, négligeant parfois les phases de préparation et de retour. Sur place, certaines associations emploient des éducateurs locaux encadrés par des salariés français vivant ou non dans le pays, donc rencontrant épisodiquement les jeunes accueillis. D'autres ont recours au placement familial, alors que ce dernier n'est pas toujours annoncé dans le projet pédagogique. Un troisième type de structures confie, par convention, les mineurs à une association de droit étranger.
Compte tenu du flou entourant les normes applicables aux SANT, les inspections ont relevé des pratiques variées en matière de relations avec les services sociaux. Si certaines sont constituées en établissement social et médico-social, sont dûment tarifées, contrôlées et mentionnées dans le schéma départemental de l'aide sociale à l'enfance, d'autres n'ont rempli que leur obligation de déclaration. En l'absence de liste nationale des lieux de vie autorisés, la mission souligne le « caractère presque “privé” des filières de placement » , les travailleurs sociaux, confrontés à la rareté des lieux de placement acceptant des mineurs difficiles, se reposant sur « leurs réseaux d'information » sans avoir le moyen d'apprécier au préalable la qualité des structures.
Malgré toutes ces ambiguïtés, les témoignages recueillis par la mission font presque tous état « de l'évolution satisfaisante des mineurs à leur retour » . Les deux tiers des réponses des juges notent une absence de réitération des faits de délinquance. Une appréciation positive, donc, qui a conduit la mission « à souhaiter que les juges des enfants puissent continuer à recourir à de tels placements », à condition d'en réduire les risques. Elle considère en premier lieu que le séjour de rupture à l'étranger doit rester une mesure exceptionnelle décidée après audience au cabinet du juge des enfants (afin de recueillir le consentement du mineur et de sa famille ou, dans le cadre de l'ordonnance de 1945, les informer précisément des conditions du séjour), confiée à des associations nationales au statut juridique clair, soumises à des contrôles accrus. Elle recommande que les SANT ne puissent plus « entrer sur le marché » sans autorisation, et donc que le décret prévu par la loi du 2 janvier 2002, devant préciser leur capacité maximale (que la mission souhaite voir porter à huit jeunes), soit rapidement publié. Elle souhaite aussi que les ministères des Affaires sociales et de la Justice travaillent de concert à l'élaboration « des modalités permettant de mieux contrôler les conditions dans lesquelles fonctionnent les associations optant pour un projet pédagogique largement ciblé sur l'étranger », ce contrôle devant porter également sur la tarification des structures. Autre préconisation : que le responsable du mineur soit clairement identifié, et qu'en conséquence soit proscrit le fait de confier un mineur placé à une association étrangère. Elle demande de plus que les placements dans des familles d'accueil soient plus transparents et mieux encadrés.
La mission souhaite en outre que ces séjours soient intégrés dans le parcours éducatif des mineurs et suggère plusieurs pistes pour réduire les risques encourus à l'étranger, comme une procédure de déclaration des organisateurs auprès des pays d'accueil, mais aussi l'élévation du niveau de qualification des encadrants, avec la présence d'au moins un responsable français, éducateur diplômé et disposant d'une expérience avérée, et la limitation des responsabilités confiées au personnel local.
Les inspections souhaiteraient au final qu'un cahier des charges pour les séjours de rupture à l'étranger, du même type que celui imposé aux CER, soit rédigé avec la PJJ et les conseils généraux. Il fixerait les normes applicables à leur organisation, leur encadrement, leur durée et leur coût. Pour éviter que l'éloignement ne se solde par un oubli, elle préconise un renforcement du suivi du mineur par l'envoi régulier d'un rapport aux services éducatifs ainsi qu'au juge des enfants. Quant au contrôle des associations, il devrait être étroitement assuré par les services déconcentrés de la PJJ et les services de l'aide sociale à l'enfance, qui devraient « croiser » leurs informations pour « repérer les anomalies les plus manifestes ». La mise en œuvre de ces préconisations relève de l'action des services de l'Etat, comme de celle des collectivités territoriales, soulignent en conclusion les deux inspections, qui renvoient aux dispositions sur l'assistance éducative du projet de loi sur les responsabilités locales. Tout en précisant qu' « il est souhaitable, cependant, que le placement en séjour de rupture à l'étranger, particulièrement lourd de conséquences pour le mineur et sa famille, demeure sous le contrôle du juge des enfants, même dans le cadre de l'expérimentation annoncée ».
M. LB.
(1) Disponible sur