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Quand l'insertion professionnelle devient envisageable

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Dans le Nord-Pas-de-Calais, les acteurs de l'insertion et du soin ont réfléchi à un dispositif destiné à évaluer l'aptitude au travail des personnes handicapées psychiques et à les accompagner jusqu'à la formation ou l'emploi. Une collaboration dont les premiers résultats sont encourageants.

« Le déclic s'est produit en 1999, lorsque nous nous sommes aperçus qu'une personne sur trois accueillies dans notre association présentait un handicap psychique. Cela soulevait beaucoup de questions autour d'un handicap qu'on connaissait mal et d'une population qui arrivait avec une demande qu'on ne savait pas vraiment traiter », se souvient Guy Robert, responsable de la mission d'appui Raisonance (1).

Sa réaction reflète bien le désarroi de bon nombre de professionnels de l'insertion face à un handicap peu visible pour les personnes extérieures et évoluant de façon très fluctuante. Ils ne disposent d'ailleurs, le plus souvent, d'aucun outil efficace permettant de valider le parcours d'insertion de ceux qui en souffrent.

Réunis par la délégation régionale de l'Agefiph du Nord-Pas-de-Calais en février 2000, les professionnels de l'insertion et du soin ont donc réfléchi à un schéma régional pour l'insertion des personnes handicapées par la maladie mentale. Objectif : intégrer ce public dans les dispositifs de droit commun et mettre en place des parcours évolutifs fondés sur la cohérence des interventions.

En 2001, l'équipe de Raisonance va s'efforcer de fédérer les énergies locales. Il s'agit avant tout de réussir à convaincre les partenaires du soin et de l'insertion professionnelle de travailler ensemble pour faciliter l'accès à l'emploi des personnes en souffrance psychique. « Il a fallu faire un gros travail de persuasion auprès des structures de soins. Certains psychiatres n'y croyaient pas du tout. Beaucoup ont du mal à comprendre ce qu'est le secteur de l'insertion professionnelle avec ses mesures qui changent constamment, ses sigles, etc. », raconte Guy Robert. Des efforts qui ont finalement payé puisqu'une grande partie des secteurs psychiatriques a fini par adhérer à la démarche. Ce qui a permis au dispositif d'être lancé en février 2002 sur plusieurs bassins d'emploi de la région.

Aujourd'hui, plus des deux tiers de ses bénéficiaires ont été orientés par les 45 secteurs psychiatriques partenaires (les autres sont adressés par les Cap Emploi, les missions locales et l'Agence nationale pour l'emploi). « On connaît bien les personnes que l'on dirige vers cet accompagnement, ainsi que leur environnement familial et social. Après avoir pris la décision avec le psychiatre et le secteur infirmier, nous faisons tout un travail d'explication en amont du parcours », précise Anne Marcq, assistante sociale au centre hospitalier d'Arras.

Première étape :le diagnostic

Les personnes sont ensuite reçues par une des dix unités territoriales d'évaluation  (UTE) réparties sur les bassins d'emploi pour qu'à l'issue d'une première étape de trois mois, un diagnostic soit effectué. Au rythme de sept rencontres individuelles et de périodes collectives, mêlant groupes de parole et activités dans divers ateliers, l'équipe de formateurs de l'unité va recueillir la demande de la personne et analyser avec elle la possibilité d'envisager un parcours d'insertion.

ASSURER LA MÉDIATION AVEC L'EMPLOYEUR

En 2003, 310 personnes ont été reçues pour la phase de diagnostic et 166 d'entre elles ont pu accéder à l'étape de l'évaluation.132 se sont engagées dans un parcours professionnel. Pour 86 personnes, il a débouché, dans les trois mois suivant la fin de l'évaluation, sur une formation d'insertion ou un contrat emploi-solidarité. Chaque participant peut bénéficier d'un accompagnement social d'une durée moyenne de 18 à 24 mois. Un suivi important pour parvenir au maintien dans l'emploi. « Il faut essayer d'optimiser le rapport entre les attentes de l'employeur et les capacités de la personne, et parler de manière précise du handicap par rapport au travail proposé. Le reste relève du domaine du secret médical et du choix du bénéficiaire », explique Martine Ferrai, de l'UTE de Valenciennes. « Nous effectuons un travail de médiation très important auprès de l'employeur en lui expliquant qu'il pourra y avoir, par exemple, des petits problèmes d'attention à tel moment et qu'il faudra sans doute prendre du temps pour expliquer une consigne, ne pas changer la personne de place tous les jours, etc. », ajoute Bertrand Facon, directeur de l'association ANITA.

Faculté d'intégration au sein d'un groupe, effets éventuels du traitement sur l'état physique et intellectuel (fatigue, diminution de l'attention, etc.), capacité à soutenir un effort dans le temps... Toutes ces observations sont indispensables pour ne pas entretenir chez certains de fausses illusions sur leur chance de pouvoir accéder à l'insertion professionnelle. « Le travail étant considéré comme un signe de guérison, quelques-uns vont faire un effort désespéré pour se prouver à eux-mêmes et prouver aux autres qu'ils peuvent occuper un emploi. C'est dangereux car cela peut provoquer une rechute en cas d'échec », prévient Bertrand Escaig, vice-président de l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam). A la suite de cette première phase, d'ailleurs,  la moitié des personnes sont contraintes d'interrompre leur parcours d'insertion.

Il ne s'agit pas, tempère néanmoins Anne Marcq, de leur fermer définitivement les portes de la vie professionnelle : « Nous ne vivons pas le retour de la personne dans le secteur du soin comme un échec. Ce passage dans le dispositif a permis au patient de s'auto-évaluer et de comprendre pourquoi il ne peut pas travailler à ce moment-là. A partir de ce constat, il est possible de reprendre les choses avec lui et d'envisager ensemble ce qu'on peut faire pour que ça marche plus tard, dans six mois ou un an. Nous travaillons sur le long terme. »

Pour les autres, le parcours se poursuit par une phase d'évaluation de trois mois. Elle doit permettre d'analyser de façon plus précise leurs compétences et capacités à accéder à un emploi et de déterminer l'environnement professionnel le plus adapté à leurs difficultés particulières.

A cette fin, les équipes se sont familiarisées avec un outil d'évaluation spécifique : Tactis (test d'aptitude et de compétences au travail et à l'insertion sociale) - qui permet de mesurer les difficultés cognitives. « Le handicap psychique se manifeste par un certain nombre de déficits assez invisibles, comme la difficulté à maintenir son attention, à traiter plusieurs messages à la fois ou encore à élaborer et à suivre un planning, explique Bertrand Escaig. Et certains d'entre eux, comme la lenteur d'idéation, qui provoque un retard dans les réponses données, peuvent constituer une source de malentendus. »

Cette étape d'évaluation et d'orientation professionnelle permet en outre aux participants d'élaborer un projet d'insertion et de pouvoir accéder à un stage en entreprise. Si cette immersion de deux semaines dans le monde du travail s'avère indispensable pour envisager les dernières adaptations (comme des aménagements d'horaires), elle constitue néanmoins le moment le plus difficile du parcours. « Cette confrontation à la réalité génère des angoisses chez des personnes qui prennent plus ou moins conscience qu'un certain nombre de leurs capacités ont diminué », explique Martine Ferrai, de l'UTE de Valenciennes. Les partenaires du soin sont alors très souvent sollicités pour apporter leur soutien au stagiaire pendant cette étape délicate et éviter si possible la sortie du dispositif d'insertion.

Le regard des professionnels change

A la fin de l'évaluation, 65 % des bénéficiaires ont validé un projet professionnel et peuvent s'orienter, avec l'aide d'un référent, vers le travail en milieu ordinaire. Un résultat qui démontre la pertinence de ce rapprochement entre le secteur médical et le milieu de l'insertion professionnelle, en vue d'un cheminement progressif vers la formation ou l'emploi. Rapprochement qui, en outre, enrichit les pratiques. « Ce dispositif est un outil précieux au niveau du soin parce qu'il nous donne une photographie plus complète de la personne et nous permet de mieux la connaître et d'adapter ses possibilités à la réalité extérieure. Et, s'il se révèle qu'elle ne peut pas avoir une activité professionnelle, nous allons essayer de travailler ensemble à une réinsertion sociale, d'ouvrir une autre porte », souligne Anne Marcq.

En outre, les réunions informelles et les comités de suivi réguliers (réunissant les intervenants des UTE, les acteurs du soin, la Cotorep ou l'ANPE) permettent de faire évoluer les représentations face à un handicap encore largement méconnu. La collaboration apporte, par exemple, au médecin des informations nouvelles sur ses patients car « les symptômes qui vont se développer dans le milieu professionnel sont différents de ceux qu'il peut constater en milieu hospitalier », relève le vice-président de l'Unafam. De même, les médecins du travail modifient eux aussi tout doucement leur façon de voir. « Au début, certains d'entre eux disaient qu'il n'y avait pas de handicapés psychiques dans les entreprises. Aujourd'hui, ils nous demandent de réaliser un recueil de témoignages montrant que l'accès à l'emploi de ces personnes est possible », se félicite Guy Robert. Enfin, un changement est également perceptible chez les intervenants de l'insertion. « Alors qu'au départ certains d'entre eux étaient très méfiants,  ils savent désormais qu'ils peuvent mener une action auprès de ce public », observe Bertrand Facon, directeur de l'association ANITA.

Il est néanmoins trop tôt pour tirer un bilan approfondi de l'insertion professionnelle des bénéficiaires d'un dispositif qui a tout juste dépassé les deux ans d'existence. Que faire, par exemple, des 15 % qui ne peuvent pas accéder à un emploi ou à une formation en milieu ordinaire à la fin du parcours ? Non seulement les structures du milieu protégé sont saturées (2), mais elles sont aussi « conçues pour accueillir des personnes souffrant d'un handicap moteur ou de déficiences intellectuelles, et pas celles présentant un handicap psychique ». C'est pourquoi Raisonance veut aussi mobiliser les autres dispositifs d'insertion (contrats emploi-solidarité, entreprises d'insertion...) afin de réaccoutumer progressivement les personnes aux contraintes du travail.

Reste enfin les personnes sorties prématurément du parcours d'insertion, et qui, ne pouvant prétendre à un emploi, se retrouvent désœuvrées. Pour celles-là, estime Guy Robert, il est nécessaire de créer des passerelles vers les services d'accompagnement à la vie sociale.

Incontestablement, le projet de loi sur l'égalité des droits et des chances, qui reconnaît officiellement le handicap psychique, va renforcer la légitimité de ce dispositif. Certains, comme le vice- président de l'Unafam, y voient l'occasion de faire tomber les cloisonnements et d'amener d'autres financeurs tels que l'assurance maladie à le soutenir. Néanmoins, les pilotes du dispositif tiennent à préserver son objectif d'insertion professionnelle fixé par l'Agefiph. « Le risque serait que le parcours qui a été monté soit instrumentalisé par le secteur du soin, se méfie Bertrand Facon. Il ne faudrait pas qu'il devienne un lieu où le médecin vienne chercher à un moment donné une réponse thérapeutique pour un patient. »

Henri Cormier

Notes

(1)  Assurée par l'Association du Nord pour l'insertion par le travail adapté (ANITA)  : 30, rue Léon-Salembien - 59200 Tourcoing - Tél. 03 20 01 50 25 - E-mail : raisonance@anita.asso.fr.

(2)  3 500 personnes attendraient déjà une place en centre d'aide par le travail dans le Nord-Pas-de-Calais.

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