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Privés de logement... et de soins

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Parmi les quelque 600 000 malades psychiques vivant en France, très peu disposent d'une solution de logement leur assurant un suivi médical et social. L'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam) a imaginé le concept de « résidence accueil », reprenant les principes des maisons-relais, mais en les adaptant.

Ces 40 dernières années, la plupart des malades psychiques ont quitté l'hôpital, où beaucoup passaient leur vie, pour la cité. Cette évolution résulte de la réduction du nombre de lits (1) et des progrès des neuroleptiques, qui réduisent la fréquence des crises et soulagent les malades. Malheureusement, faute de logements adaptés, plus d'un tiers des quelque 600 000 malades psychiques en France (2) sont hébergés par leur famille, ce qui n'est pas forcément la meilleure solution pour eux... En outre, lorsque les parents vieillissent, ils s'interrogent avec angoisse sur le devenir de leur enfant malade après leur propre décès.

Certes, le projet de loi sur l'égalité des droits et des chances, adopté en première lecture au Parlement, reconnaît officiellement l'existence du handicap psychique qui a, enfin, droit de cité. Reste néanmoins à donner un contenu concret à ce texte « pour décliner, dans la vie quotidienne, des projets de structures qui soient pensés en fonction de leur spécificité, des pratiques professionnelles, des investissements conçus au service de cette population », affirmait Robert Caulier, président de l'Unafam 94, lors d'une journée qu'elle organisait sur le sujet (3).

Les « conditions d'accueil des handicapés psychiques dans la cité, et notamment de leur habitat, n'ont pas été posées », estime le Haut Comité au logement des personnes défavorisées (4). Alors que la loi Besson ouvre le droit à une aide de la collectivité à « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières » pour accéder à un logement décent, « ses dispositifs ont été orientés sur les seules difficultés d'origine économique et sociale et la question du handicap n'est pas prise en compte par les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées ». Et,  même si des progrès ont été réalisés pour les handicapés moteurs, les handicapés psychiques en ont peu bénéficié.

C'est ainsi que le logement social leur reste difficilement accessible. Au manque de places (5) s'ajoutent les réticences à l'égard de ce public spécifique. « Le bailleur social doit à la fois accueillir ceux qui ne peuvent accéder au logement privé du fait de leurs ressources, mais aussi assurer la jouissance paisible de leur logement à ses locataires et favoriser leur insertion dans la cité », explique Anne-Marie Fékété, directrice du développement social et

de la communication de l'OPAC 94. Il est donc « complètement démuni quand la personne représente un danger potentiel pour son voisinage et pour elle-même. D'autant plus quand elle refuse de se soigner. » Pour remédier à la méconnaissance des bailleurs et diminuer leur méfiance, Anne-Marie Fékété prône le développement, au plan local, des échanges entre les professionnels de l'habitat, ceux de la santé et les associations représentant les personnes souffrantes. L'Union sociale pour l'habitat vient d'ailleurs de lancer un groupe de travail pour élaborer, d'ici à la fin de l'année, un guide sur la santé mentale, afin de permettre aux organismes HLM de mieux appréhender ces situations.

Trop souvent encore, les malades psychiques sont logés dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, même au-delà des 24 mois légaux. Or ces structures, qui misent sur le travail pour réinsérer les publics, leur sont inadaptées et ne font qu'entretenir leur sentiment d'insécurité et leur souffrance. De plus, la banalisation du recours à l'habitat d'urgence démultiplie le risque que ces malades, faute de soins, attentent à leur vie ou à celles des autres.

OÙ SONT LES HANDICAPÉS PSYCHIQUES ?

La section départementale de l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam) a passé au peigne fin tous les établissements du Val-de-Marne et dressé un état des lieux. Parmi les 12 000 malades psychiques du département (1 % des 12 millions d'habitants), l'association estime, en se référant à des données nationales,  que :

 1 200 (10 %) sont des malades chroniques et ont une place à l'hôpital, en maison d'accueil spécialisée, foyer d'accueil médicalisé ou foyer de vie ;

 4 200 (45 %) vivent dans leur famille ;

 2 400 (20 %) vivent en logement indépendant. Les 4 200 malades restant n'ont à leur disposition que les 327 places existant dans des structures adaptées (appartements thérapeutiques, accueil familial thérapeutique, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, ou, pour les plus indépendants, appartements associatifs et maisons-relais). Où sont les autres, s'interroge l'Unafam 94 ? Dans la rue, en prison ou on ne sait où ?...

Les chiffres sont accablants : les malades psychiques représentent de 30 % à 40 % des sans domicile fixe et 50 % des entrants en détention, selon le Haut Comité au logement des personnes défavorisées. A leur sortie de prison, plus de la moitié d'entre eux sont pris en charge par le SAMU social et beaucoup ne sont plus suivis par les psychiatres. Or le manque de soins est un facteur de récidive. D'où un terrible cercle vicieux : « Ce sont souvent les mêmes qui passent des hôpitaux aux foyers d'urgence et aux prisons », constate un psychiatre de l'hôpital Esquirol à Saint-Maurice  (Val-de-Marne). Il est évident que la question du logement fait partie intégrante du soin.

Certes, des structures médicalisées existent pour ces malades au long cours : l'accueil familial thérapeutique, les maisons d'accueil spécialisées, les foyers d'accueil médicalisé et les foyers de vie. Mais le nombre de places est bien en deçà des besoins et les logements thérapeutiques ne suffisent pas : « Il faut des solutions à tous les étages de la maladie incluant logement, accompagnement et occupation », insiste Robert Caulier.

Quant à l'hôpital, il n'est qu'un moment de la vie du patient et ses moyens restent très insuffisants : « Lorsque quelqu'un entre à l'hôpital psychiatrique, la première question n'est pas : comment on va le soigner mais où on va le mettre ? », témoigne le Dr Georges Lanteri-Laura, ancien chef de service à l'hôpital Esquirol, qui juge « grossier » le manque de lits dans les hôpitaux psychiatriques. Comme lui, de nombreux psychiatres ont donc créé des associations pour gérer les baux d'appartements où vivent ensemble deux ou trois malades chroniques « suffisamment autonomes pour se débrouiller dans des conditions protégées ». Agathe, l'association qu'il préside, cherche ainsi des appartements à loyer modeste (de plus en plus rares en région parisienne), négocie avec leur propriétaire et assume le bail jusqu'à ce que le malade se sente capable de le reprendre. Médecin, infirmière et assistante sociale passent toutes les semaines visiter les locataires. Certains accèdent ensuite à un logement autonome où ils continuent à bénéficier d'un suivi.

Cette solution se rapproche du bail glissant des associations d'insertion par le logement. Pendant un an renouvelable, l'Association de prévention soins et insertion  (APSI)   (6) prend en charge le bail, puis, si les objectifs définis de manière tripartite par le bailleur, l'association et les parents au nom du malade sont atteints, le patient passe du statut de sous-locataire à celui de locataire. L'association propose ainsi des logements passerelles collectifs à ceux qui n'ont jamais quitté leurs parents. Elle mise également sur les maisons-relais et espère voir aboutir un projet de ce type à Limeil-Brévannes.

Les professionnels et les familles préconisent en effet des structures semi- collectives légères pour ne pas créer des ghettos, et susceptibles de rompre un isolement qui peut vite se révéler dangereux. Les maisons-relais ont l'avantage d'offrir une solution définitive de droit commun et adaptée au plus grand nombre de ces malades. Le suivi des soins est assuré grâce à une convention signée avec les équipes des secteurs psychiatriques et l'hôpital. Ceux-ci s'engagent à suivre les patients même s'ils changent de zone géographique, quitte à envoyer des équipes soignantes à leur domicile. Mais le montant de l'accompagnement financé par l'Etat (8  € par jour et par personne) est jugé insuffisant par l'Unafam. Laquelle regrette également que le principe de mixité sociale entraîne parfois le refus des commissions régionales de validation des projets et des directions départementales des affaires sanitaires et sociales de retenir les initiatives visant en majorité des handicapés psychiques.

Alors peut-on faire mieux pour les personnes en situation de handicap psychique ?, s'interroge Jean Dybal, secrétaire général de l'Unafam. Le handicap psychique s'exprime notamment « par la perte de capacité à maintenir le lien social, à gérer la relation avec les autres en restant dans la réalité », rappelle-t-il, ce qui nécessite des « aidants et un environnement humain sensibilisés et formés » à cet accompagnement spécifique. En l'absence de logement social adapté à ce besoin, l'Unafam a imaginé le concept de « résidence accueil » reprenant les principes de base de la pension de famille, mais adapté au handicap psychique grâce à des conventions de partenariat avec un service d'accompagnement à la vie sociale et le secteur psychiatrique. Par ailleurs, pour développer la vie sociale, l'organisation a mis en place des clubs d'accueil et d'entraide (quatre en France) animés par des professionnels et des bénévoles (7). Ces lieux de « lien social », qui fonctionnent comme des clubs ordinaires, permettent aux personnes de renouer des contacts, à leur rythme et sans contraintes.

UNE MAISON CHALEUREUSE ET SÉCURISANTE

C'est une grande maison neuve entre ville et campagne, donnant sur un parc et à cinq minutes des lignes de bus. Composée d'une trentaine de studios, sa construction a été financée par l'Etat (dans le cadre des prêts locatifs aidés) et elle fonctionne grâce au conseil général depuis septembre 2003. Comme les autres « maisons-relais » de France, celle de Chevilly-Larue est un « carrefour de compétences », que décrit avec passion Jean-François Watrin, son chef de service : des logements collectifs et individuels permettant l'autonomie mais adaptés et faisant le lien entre les champs sanitaire et social. Il y a deux ans, lorsque l'association Les amis de l'atelier (8) a lancé le projet de cette maison-relais, elle a reçu 150 demandes pour 30 places. Elle a finalement décidé d'accueillir en majorité des malades psychiques chronicisés et stabilisés, aux profils différents. Certains vont à l'hôpital de jour, ou y retournent plus longuement, quelques-uns travaillent. L'important est qu'ici, les gens accèdent à un statut de locataire, sans limitation de durée, ce qui permet le développement d'une vie affective et un processus d'organisation du quotidien.

Sophie Caillat

Handicap psychique. Alors que le handicap mental se situe sur le versant de la déficience intellectuelle, le handicap psychique est la conséquence de la maladie psychiatrique. Cette dernière, essentiellement « une maladie de la relation », entraîne une incapacité de la personne à se situer par rapport à soi et aux autres et une inadéquation à la réalité. Ses conséquences sont l'inadaptation, le repli, ou l'exclusion de la vie sociale. Ce handicap évolue avec la maladie en fonction des soins et de l'accompagnement éducatif.

Notes

(1)  Quelque 125 000 lits ont été supprimés dans les services psychiatriques, les patients étant réorientés pour leurs soins vers les structures sectorisées.

(2)  Soit 1 % de la population, part constante quels que soient le pays et l'origine sociale des personnes.

(3)   « Quels logements pour les personnes souffrant de troubles psychiques ? », le 17 mars, dans le cadre de la semaine d'information sur la santé mentale, à Créteil - Unafam Val-de-Marne : 9, rue Viet - 94000 Créteil - Tél. 01 41 78 36 90 - www.unafam94.org (actes de la journée en ligne).

(4)  Dans son dernier rapport - Voir ASH n° 2337 du 12-12-03.

(5)  Le Val-de-Marne enregistre 45 000 demandes de logement social pour seulement 1 500 vacances par an.

(6)  APSI : 8, rue Marco-Polo - 94373 Sucy-en-Brie - Tél. 01 56 74 21 00.

(7)  Voir ASH Magazine n° 3 - Mai-juin 2004.

(8)  Les amis de l'atelier : 5, avenue de la Croix-du-Sud - 94550 Chevilly-Larue - Tél. 01 49 86 13 30 - www.lesamisdelatelier.org.

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