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« Un code n'épargnerait pas une réflexion sur la déontologie »

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Pendant six ans, le Comité national des avis déontologiques, constitué à l'initiative de l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE), a éclairé les travailleurs sociaux en fournissant des réponses à leurs questionnements. Elles sont aujourd'hui publiées (1). Ses auteurs, Françoise Corvazier et Pierre Bonjour, animateurs de l'instance, expliquent comment ce travail va connaître une nouvelle impulsion, à l'heure où les repères professionnels se brouillent.

Actualités sociales hebdomadaires : Nombre d'avis publiés portent sur le signalement de la maltraitance. Comment ont évolué les préoccupations des travailleurs sociaux dans ce domaine ?

Françoise Corvazier : On ressent dans les premiers avis publiés l'impact de la loi de 1998 relative à la prévention des infractions sexuelles. Puis les questions des professionnels se sont élargies à la position qu'ils peuvent tenir au sein d'une institution dont le fonctionnement leur paraît critiquable au regard du droit des usagers. Les travailleurs sociaux témoignent d'un contexte de plus en plus lourd : logiques gestionnaires des institutions, primauté des dispositifs sur l'accompagnement de la personne, instrumentalisation. Pierre Bonjour : Le Comité national des avis déontologiques, créé en 1997 (2), est désormais en sommeil, à la suite de la disparition de l'ANCE qui a eu lieu en 2003. Depuis, les préoccupations ne nous ont pas été directement exprimées sous forme de demandes d'avis. Nous avons en revanche reçu plusieurs demandes d'intervention, y compris de la part d'institutions. Le Collectif des acteurs sociaux de Moselle nous a sollicités dans le cadre d'une réflexion sur l'engagement éthique et déontologique des travailleurs sociaux. Une Sauvegarde nous a demandé d'intervenir dans une formation sur le droit et la déontologie dans les écrits professionnels. La ques- tion ressurgit d'autant plus que les politiques font injonction aux travailleurs sociaux de prouver à quoi ils servent, sous prétexte de contrôler l'utilisation des finances publiques. Les « références déontologiques » rédigées en 1996 à l'initiative de l'Association nationale des communautés éducatives (3) sont-elles toujours d'actualité ?

F. C.  : Il avait déjà été prévu à l'époque de les réviser au bout d'un certain temps. Le comité de suivi des références déontologiques, créé pour les diffuser et les faire vivre, a travaillé à leur réécriture entre 2000 et 2002, avant que les difficultés de l'ANCE ne ralentissent son activité. Il est toutefois en train de renaître sous la forme d'une fédération d'associations  (voir encadré au verso). Lors de l'assemblée constitutive, prévue début octobre, la priorité sera d'adopter les statuts du comité et d'avaliser les propositions de transformation des références déontologiques. Nous souhaitons ajouter des précisions sur les engagements des acteurs sociaux à l'égard des usagers et des clarifications sur la notion de secret partagé. Déjà en débat avant d'être inscrite dans l'avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance, cette notion n'a pas de fondement juridique. Or le partenariat n'entraîne pas le partage des responsabilités et des missions. P. B. : Il faudra aussi clarifier les relations entre le travailleur social et son employeur. La notion de clause de conscience, telle que nous l'avons formulée dans les références déontologiques, est trop dangereuse. Elle suppose que le terme existe dans les conventions collectives des travailleurs sociaux, ce qui n'est pas le cas. Un éducateur qui arguerait de cette clause ne serait pas protégé. En même temps, la législation évolue de façon assez positive : la loi du 2 janvier 2002 garantit une protection consistante des professionnels qui dénonceraient des maltraitances ou des dysfonctionnements dans leur institution. Il faut donc continuer à soutenir sous une autre forme le « devoir de désobéissance » lorsque les lois portent atteinte aux principes de base du travail social. Les références sont nées de l'idée qu'il ne fallait pas de code de déontologie pour le travail social. La position des professionnels est-elle toujours la même ?

F. C. : Le comité de suivi ne se reconstitue pas pour écrire un code, mais en vue de poursuivre sa démarche de soutien à la pensée des professionnels. Sachant que les références déontologiques peuvent devenir opposables si la jurisprudence admet qu'un professionnel s'appuie sur un texte éprouvé par ses pairs. C'est avec cette philosophie qu'elles ont été conçues et d'ailleurs reconnues par le Conseil supérieur du travail social (CSTS), qui s'en est inspiré dans ses travaux sur l'éthique des pratiques professionnelles.

Pour leur part, les états généraux du social, auxquels je participe ainsi que Brigitte Bouquet, la vice-présidente du CSTS, travaillent sur un projet de charte (4). Mais son objectif est d'aider les professionnels à se situer par rapport à des principes qui régissent nos métiers, de façon synthétique et accessible, sans aller plus loin. Tout le monde est d'accord pour dire que ce n'est pas un code déontologique qui épargnerait la réflexion.

Si vous refusez toute codification, comment aidez-vous les professionnels à placer le curseur, en matière de transmission d'information par exemple ?

P. B. : Le curseur ne doit jamais être placé a priori, et un cas ne peut être assimilable à un autre. Le comité construit ses avis selon une méthodologie qui repose sur quatre temps :problématiser d'abord la situation, se demander ce que dit le droit, puis les principes éthiques universels auxquels on se réfère, que l'on soit éducateur, enseignant, médecin, psychologue... Et enfin, au regard de ce cadre général, en tirer des conclusions pour le cas particulier. Cette méthodologie, que chacun peut s'approprier, situe la déontologie au carrefour du droit, de l'éthique et de l'applicabilité. F. C. : Le cadre juridique ne peut suffire en soi, car il est possible pour une même situation de renvoyer à trois ou quatre lois contradictoires ! Nous avons eu, par exemple, une demande d'une assistante sociale qui suivait un homme atteint du sida mais qui ne voulait pas le dire à sa famille. Avait-elle le droit d'en informer sa femme- enceinte - pour qu'elle et leurs enfants puissent faire des examens et suivre un traitement en conséquence ? Un droit s'opposait à un autre : le droit de silence de l'usager et le droit à la protection de son entourage. Ce n'était pas forcément à l'assistante sociale de convaincre le malade de parler, mais elle pouvait soutenir le médecin dans cette démarche. Il s'agit au bout du compte d'aider l'usager à prendre la dimension de sa responsabilité. C'est parce que ces situations sont toujours complexes qu'il est important pour nous d'être un collectif de personnes exerçant des professions différentes- éducateurs, directeurs d'établissement, médecins... - dans des institutions différentes. Nous ne sommes ni des sages, ni des référents experts. C'est seulement au prix d'un débat démocratique que peut vivre l'éthique. Pourquoi prendre le droit comme première entrée dans la réflexion déontologique ?

P. B. : On pourrait effectivement partir d'un débat philosophico-éthique, puis ensuite aborder les questions de droit. Notre démarche est d'abord d'étudier le cadre juridique d'intervention, ce qui renvoie d'ailleurs à la conception de la déontologie formulée par Yves Le Duc (5)  : elle ne doit pas correspondre à une définition corporatiste libérale, mais s'inscrire dans la notion de service public. Et c'est justement parce que les travailleurs sociaux remplissent une mission de service public qu'il nous semble pertinent de nous référer en premier lieu à la loi conçue, en théorie, pour protéger les plus démunis. F. C. : Ce qui n'empêche pas que l'on puisse interpeller ceux censés garantir le service public sur la vision qu'ils en ont. Mais attention, il faut être précis dans sa démarche : ce n'est pas la même chose d'interroger un conseil général, qui déciderait par exemple que telle catégorie de population n'a pas de droits, sur la politique qu'il entend mener, que de questionner un inspecteur de l'aide sociale à l'enfance sur la façon dont il remplit la mission qui lui est confiée avec les financements qui lui sont donnés. Une question importante - pourtant malheureusement jamais posée en ces termes - est de savoir comment l'on peut assurer le minimum quand il n'y a pas de moyens. Que conseilleriez-vous aux professionnels en matière de transmission de l'information ?

F. C. : D'une part, de s'interroger :quelles informations détenez-vous ? Les avez-vous eues dans le cadre de l'exercice de votre mission ? Qui demande quoi, dans quel but ? Est-ce au bénéfice de l'usager ? D'autre part, face à une personne dans l'illégalité, il ne s'agit pas de devenir complice et de fermer les yeux sans la mettre devant ses responsabilités. Mais c'est autre chose que de la dénoncer ou d'enfreindre les règles de confidentialité ! Si les lois deviennent iniques, on peut imaginer qu'au-delà de son rôle actuel, le comité puisse, comme l'avait fait Pierre Verdier sur la protection des salariés qui signalent des cas de maltraitance, constituer un groupe de travail qui mettrait en lumière que certains textes ne sont pas compatibles avec le travail social. Le débat philosophique oppose éthique de responsabilité et éthique de conviction...

P. B. : C'est une problématique quasiment centenaire. Lorsqu'on est dans une période de tension, l'éthique de conviction est mise en avant :actuellement, les collectifs de travailleurs sociaux se sont mis en position de se défendre. Alors que, dans l'idéal, il faudrait concilier la responsabilité et la conviction. L'article V des références déontologiques indique que les acteurs sociaux ont des obligations professionnelles et morales à l'égard de leurs employeurs qui assurent la responsabilité légale de la mission qu'ils exercent. C'est-à-dire qu'ils doivent les informer pour les mettre en capacité de prendre des décisions pertinentes à l'égard des usagers. Propos recueillis par Maryannick Le Bris

DIFFUSER LA DÉONTOLOGIE ET RENDRE DES AVIS

wLe comité de suivi. Les « références déontologiques » pour l'action sociale ont été adoptées en 1996 à l'initiative de l'ANCE, alors présidée par Jean-Pierre Rosenczveig, après deux ans d'une réflexion menée avec un millier de professionnels, sous l'impulsion d'Amédée Thévenet. Le comité de suivi, créé pour les diffuser et les actualiser, devrait être relancé en octobre avec les associations qui y participaient à l'origine, comme l'Association nationale des assistants de service social, l'Association des paralysés de France, l'Association nationale des personnels de l'action sociale en faveur de l'enfance et de la famille, l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, le Groupement national des instituts de travail social, mais aussi les associations issues de l'ANCE, comme l'Œuvre des villages d'enfants et les Pupilles de l'enseignement public. Au total, il devrait compter une vingtaine d'organismes. wLe comité national des avis déontologiques (6) . Même si elles ont été diversement accueillies, les  « références déontologiques » ont déclenché une dynamique de réflexion et suscité l'intérêt des travailleurs sociaux : le Comité national des avis déontologiques, créé en 1997 et composé d'une quinzaine de professionnels, a depuis reçu une centaine de demandes. Les avis qui ont été autorisés pour diffusion - une soixantaine en tout - sont publiés dans Repères déontologiques pour les acteurs sociaux. Commentés, ils sont répartis en trois thèmes : les questions de société et le respect de l'usager - qui traite de la question du signalement-, les droits fondamentaux de la personne et, enfin, les relations professionnelles et hiérarchiques au sein de l'institution.

Notes

(1)  Repères déontologiques pour les acteurs sociaux - Par Françoise Corvazier, pédiatre en PMI, et Pierre Bonjour, docteur ès lettres et sciences de l'éducation, ancien directeur de centre médico-psycho-pédagogique - Editions érès - 22  €.

(2)  Voir ASH n° 2014 du 14-03-97.

(3)  Voir ASH n° 1978 du 7-06-96.

(4)  Voir ASH n° 2351 du 19-03-04.

(5)  La déontologie de la relation à l'usager - Yves Le Duc - Ed. Dunod - 2000 - 21  €.

(6)  Contact provisoire : OVE - BP 1508 - 69204 Lyon cedex 1 - cnad@ove-asso.com.

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