Ce qui se passe dans les prisons est épouvantable. » « Une horreur, une honte ! » Echappés de la bouche d'avocats appelés à se rendre régulièrement dans les établissements pénitentiaires, ces deux « cris du cœur » ont conclu l'inquiétant état des lieux présenté, le 22 juin, par 15 organisations regroupées autour de l'Observatoire international des prisons (OIP) (1). Celles-ci ont demandé aux députés et sénateurs un « retour à la case prison », quatre ans après la publication des rapports alarmants de deux commissions d'enquête parlementaires (2). 80 élus ont visité une prison ou vont le faire avant début juillet. Première conclusion, résumée par le représentant du PCF, Henri Malberg : « rien n'a changé, sauf en pire ».
Avec 63 448 détenus au 1er juin, un nouveau record historique a été enregistré. La densité carcérale atteint 129 %. Avec des disparités : un tiers des établissements est dans une situation normale, un autre tiers compte des taux d'occupation allant de 100 % à 150 %, le dernier tiers connaît une surpopulation de 150 % à plus de 200 %. Comme l'a constaté en juin 2003 le Comité européen de prévention de la torture, cette situation se traduit souvent par un « traitement inhumain et dégradant » pour les détenus, qui s'accompagne de conditions de travail indignes pour les personnels, d'une réduction dramatique des politiques d'accompagnement social et de réinsertion et d'un respect de « plus en plus impossible » des droits de la défense.
Face au surpeuplement, la solution réside-t-elle dans l'augmentation du nombre de places programmée par le gouvernement ? Non, disent fermement les organisations. « Plus on construit, plus on incarcère », constate Michel Flauder, secrétaire général du Snepap-FSU, « et plus le coût social de la prison augmente ». La croissance de la population carcérale n'a rien de naturel ni d'inéluctable, elle est bien le fruit d'une politique.
Premier facteur d'inflation : le recours à la détention provisoire, qui avait commencé de décroître en 2000 et 2001, et qui est reparti à la hausse. Le nombre de prévenus en attente de jugement représente aujourd'hui 34,6 % des détenus. Preuve que les décisions des magistrats sont influencées par les orientations de la politique pénale et le recul du législateur sur la présomption d'innocence, remarque Côme Jacqmin, du Syndicat de la magistrature. Autre facteur de remplissage des prisons : l'explosion du recours aux comparutions immédiates, qui « engendre mécaniquement » le prononcé de peines d'emprisonnement, souvent courtes, mais avec mise à exécution immédiate, ce qui exclut tout aménagement de peine. Cette source a fourni à elle seule 31 % des entrées en prison au premier trimestre 2004.
Plus globalement, c'est « l'obsession sécuritaire » du gouvernement qui est en cause, juge Henri Malberg, et l'idée que l'enfermement est la seule peine qui vaille. « Mais cette politique ne peut aller au bout de sa logique. La tolérance zéro, cela représenterait 200 000 personnes en prison, estime-t-il. Il faudra bien remettre en route la machine dans l'autre sens. »
A cet effet, le collectif préconise d'abord de ressortir en urgence la proposition de loi relative aux conditions de détention et au contrôle général des prisons, adoptée à l'unanimité par le Sénat le 26 avril 2001 et qui n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée (3). « La moitié du chemin est faite sur ce texte consensuel », souligne François Carlier, de l'OIP. Autre préconisation : l'examen du projet de loi pénitentiaire préparé sous la précédente législature (4) et tombé depuis aux oubliettes. Au passage, Henri Malberg suggère aussi au président de la République une large amnistie à l'occasion de la fête nationale, « pas seulement pour faire de la place, mais parce que ce serait un signal de réinsertion autrement plus fort que l'entassement ».
Sachant quelle est la situation des prisons, « pouvons-nous continuer à prononcer des peines d'emprisonnement et de détention provisoire ? », se demande même, de son côté, le Syndicat de la magistrature.
M.-J. M.
(1) L'appel a été signé par des associations - ACAT, AFC, ANJAP, Farapej, Genepi, JAL, LDH, OIP -, par des syndicats professionnels - CFDT Interco-Justice, SAF, SM, Snepap-FSU, UGST-CGT - et par deux partis - PCF et PS - Contact : OIP : 31, rue des Lilas - 75019 Paris - Tél. 01 44 52 87 90.
(2) Voir ASH n° 2174 du 7-07-00.
(3) La députée UMP, Christine Boutin, a d'ailleurs écrit le 22 juin au président de l'Assemblée nationale afin qu'il favorise l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi.
(4) Voir ASH n° 2224 du 20-07-01.