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L'assistant social nouveau arrive

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Fondamentaux réaffirmés, identité professionnelle rénovée... Les premiers titulaires du diplôme d'Etat d'assistant de service social réformé sortiront dans trois ans des promotions 2004. Les écoles n'ont plus que trois mois pour se conformer aux nouvelles exigences de formation, dans un contexte financier très aride.

Ça y est. La réforme du diplôme d'Etat d'assistant de service social (DEASS), sur les rails depuis plus de dix ans et véritable serpent de mer, devrait devenir réalité dès la rentrée de septembre. Retardé par la mise en place en avril d'un nouveau gouvernement, puis bloqué à la signature sur le bureau du Premier ministre, le décret d'application vient enfin de paraître (voir ce numéro). Un arrêté fixant le contenu et l'organisation de la formation devrait suivre. Le tout arrivant un peu tard au goût de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts), qui devait réclamer le 18 juin auprès de la direction générale de l'action sociale (DGAS) le report de la réforme à la rentrée 2005. « Les écoles fermant pour la plupart en juillet, préparer les nouvelles modalités du diplôme est irréalisable dans les délais impartis, explique Elisabeth Javelaud, directrice de l'Aforts. Nous tenons à exprimer cette position forte en tant qu'association auprès du ministère, même si les centres ont des avis partagés et qu'en tout état de cause, ils risquent de ne pas avoir le choix. » A la DGAS, on affirme en effet qu'un tel report n'est pas envisagé.

Cette rénovation pourtant très attendue - la première depuis le dépoussiérage de 1980 - contribuera-t-elle à donner une nouvelle légitimité à la profession ?C'était en tout cas l'objectif, quand les travaux ont été lancés, il y a cinq ans, par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité. A ce moment-là, centres de formation et employeurs s'entendent sur la nécessité de rénover la formation des assistants sociaux (AS) au regard des nouveaux besoins. La massification des problèmes sociaux et la multiplication des dispositifs de lutte contre l'exclusion ont complexifié leurs missions. Dans le même temps, les AS (38 000 en 1998, dont 40 % employés par les conseils généraux) ont de plus en plus le sentiment d'accomplir des tâches standardisées, au détriment de l'accompagnement global des personnes, et de gérer l'urgence. Alors que les frontières de leur intervention se brouillent, ils doutent de la finalité de leurs missions. « Pour le directeur de l'action sociale de l'époque, Pierre Gauthier, cette réforme devait être emblématique pour l'ensemble du travail social », se souvient Christine Garcette, déléguée du Comité de liaison et de coordination des services sociaux de Seine-Saint- Denis et ancienne présidente de l'Association nationale des assistants de service social (ANAS).

Le chantier a d'abord consisté à construire le référentiel professionnel du diplôme, le premier du secteur social. Objectif : l'adapter à la validation des acquis de l'expérience (VAE), tout en affirmant l'identité de la profession. Selon les projets présentés par la DGAS en février dernier (1), qui doivent encore être validés par l'arrêté à venir, décrocher le DEASS suppose désormais de maîtriser quatre blocs de compétences : les interventions professionnelles en service social, l'expertise sociale, la communication professionnelle et l'implication dans les dynamiques partenariales, institutionnelles et inter-institutionnelles. Le candidat doit attester de sa capacité à mettre en œuvre cette série de « savoir agir », acquise en formation ou en situation professionnelle.

La démarche, qui semble consensuelle parce qu'elle favorise les parcours individuels de formation, suscite tout de même quelques réserves. « A-t-on suffisamment entendu les professionnels pour construire ce référentiel ?, s'interroge François Astolfi, vice-président de l'association 7-8-9 Vers les états généraux du social. Le métier comporte une part d'autonomie, qui renvoie à des notions telles que la responsabilité, l'éthique, l'esprit critique, qui vont au- delà des seules exigences de l'employeur. » L'approche par la compétence ne risque- t-elle pas de se limiter à l'appréciation de l'aptitude individuelle et de faire passer au second plan la qualification, qui, elle, repose sur une logique professionnelle commune ? (2) « Les compétences à elles seules ne peuvent suffire, renchérit Christine Garcette. Avec la décentralisation, est-ce qu'on ne cherchera pas en outre à les adapter localement aux besoins des employeurs ? » Dans un courrier adressé le 15 juin à Jean-Louis Borloo, ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, l'ANAS pointe d'ailleurs ces risques et demande que les services de l'Etat continuent à garantir l'égalité des formations sur le territoire (voir ce numéro).

La mise en œuvre de la VAE suscite également des réactions mitigées. « Il ne faut pas perdre de vue le sens de l'action, souligne Marie-Andrée Sadot, directrice adjointe de l'école sociale de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de- France. Je suis très réservée sur la validation des acquis pour l'intervention auprès de la personne et l'expertise sociale ». L'ANAS, de son côté, demande des garanties sur l'accompagnement des candidats et la composition du jury, pour éviter que la VAE ne vienne « brader » le diplôme.

Pour autant, l'association professionnelle est plutôt rassurée par le contenu du référentiel. « Nous avions peur au départ que la réforme, que nous n'avions pas demandée, remette en cause nos fondamentaux, explique Didier Dubasque, président de l'ANAS. Mais nous sommes satisfaits du référentiel de compétences et de la définition de la profession, qui confirme la dimension éthique de notre intervention, et que les AS sont tenus au secret professionnel. » Une des unités de formation porte d'ailleurs sur la « philosophie de l'action », aux côtés de sept autres, parmi lesquelles la législation et les politiques sociales, la sociologie-anthropologie- ethnologie et la santé publique.

Développement social

Le référentiel professionnel a aussi le mérite de confirmer le caractère global de l'intervention de l'assistant de service social. Ce dernier « contribue aux actions de prévention, d'expertise, ainsi qu'à la lutte contre les exclusions et au développement social en complémentarité avec d'autres intervenants ». Les professionnels doivent pouvoir accompagner les individus comme les groupes (« intervention collective » ) et s'impliquer dans le travail en réseau avec les autres acteurs sociaux.

Le nouveau diplôme répond donc au souhait des départements d'associer leurs assistants sociaux au développement social. « Ces fonctions étaient jusqu'ici peu enseignées à l'école, témoigne Didier Dubasque. Pour s'impliquer dans des partenariats, par exemple avec la ville, les organismes HLM ou la caisse d'allocations familiales, les assistants sociaux doivent pour l'heure se former en cours d'emploi au montage de projet. » Mais si les employeurs sont pour la plupart convaincus que l'action sociale doit être décloisonnée, de telles pratiques sont en réalité encore marginales.

Le sociologue Philip Mondolfo, apôtre de l'intervention collective depuis plusieurs années (3), est parmi les premiers à se satisfaire de l'avancée qu'apporte en la matière la réforme. « Nous assistons à la refondation de la profession, refondation qui repose sur l'articulation d'un modèle clinicien orienté vers la relation d'aide avec une problématique environnementale », estime-t-il. Pas question pour autant de jeter aux oubliettes ses missions fondamentales : « La réforme réussit à mettre sur un pied d'égalité l'intervention “classique” de l'AS et cette nouvelle dimension. »

L'idéal d'un nouveau « clinicien développeur », cher à Philip Mondolfo, risque tout de même d'achopper au moins sur un point : la reconnaissance au niveau III (bac + 2) du diplôme d'assistant de service social se voit confirmée par la réforme, au grand dam des centres de formation et des professionnels. Ces derniers ont réclamé, en vain, un niveau II, arguant du programme étoffé de la formation, du renforcement de son volume horaire (désormais 1 740 heures, contre 1 400 précédemment, sans compter l'unité optionnelle de langues) et surtout des trois années d'études. Difficile de demander aux AS d'occuper des postes valorisés sans la reconnaissance statutaire qui va avec. Quelques centres de formation ont déjà passé des conventions avec des universités qui reconnaissent le diplôme au niveau bac + 3. Ils espèrent surtout que le DEASS puisse un jour être inscrit au niveau L du schéma universitaire européen Licence- Mastère-Doctorat (LMD). Ce qui ne changerait rien à la classification professionnelle des AS au niveau II mais aurait au moins le mérite de favoriser leur mobilité en Europe.

Reste, pour les écoles, à se conformer aux nouvelles exigences du programme. Les établissements auront à mettre en place ou à développer certains enseignements, comme ceux portant sur la « philosophie de l'action », la « communication professionnelle en travail social » et les « spécificités de l'intervention d'intérêt collectif ». Certaines auront du mal à être totalement prêtes en septembre, tandis que d'autres sont déjà dans les starting-blocks. C'est le cas de l'Institut social de Lille-Vauban. « Le texte de 1981 laissait assez de marge de manœuvre aux projets pédagogiques pour que l'on ne soit ni surpris ni démuni aujourd'hui. La réforme vient en outre entériner une quinzaine d'années d'avancées déjà réalisées dans beaucoup de centres de formation », estime Elisabeth Prieur, sa directrice, vice-présidente de l'Aforts. En l'absence des textes officiels, toutes les écoles n'ont néanmoins pas eu les moyens d'anticiper.

Pour s'adapter au référentiel de compétences, les établissements devront décliner leurs projets pédagogiques en thématiques, plutôt qu'en unités de formation, et renforcer l'approche modulaire pour faciliter l'accès aux candidats à la VAE. Les écoles rattachées à un institut universitaire de technologie (IUT), quant à elles, ont une contrainte supplémentaire : « Nous avons en plus des exigences liées au LMD, explique Martine Noalhyt, directrice de l'école de service social de l'IUT de Paris V. Nous allons devoir “semestrialiser” la formation pour favoriser les passerelles entre les filières de l'IUT. » D'autres écoles, comme l'Institut social de Lille-Vauban, ont également choisi de découper leur programme sur ce modèle, dans le dessein d'accueillir les étudiants en travail social européens, formés, eux, à l'université.

PRÉFIGURATION DES SITES QUALIFIANTS DANS LE NORD

« En mai 2002, nous avons signé un accord-cadre avec les centres de formation pour entériner notre partenariat avec eux et, sur le fond, contribuer à l'évolution du travail social », explique Patricia Sicard-Kalka, adjointe à la direction de la lutte contre les exclusions du conseil général du Nord, chargée du travail social. En formalisant ainsi son implication dans l'alternance, le département s'est donné une longueur d'avance pour mettre en place les « sites qualifiants »  : il s'est engagé à garantir une offre minimale de terrains de stage, à mobiliser ses agents pour réaliser des interventions pédagogiques et à inscrire la formation des « formateurs terrain » dans son plan de formation. Ces derniers sont d'ailleurs rémunérés : un peu plus de 50  € par mois et par stagiaire. Le conseil régional et les centres s'apprêtent à relire cet accord pour l'adapter au DEASS nouvelle génération, au sein d'un groupe de travail qui devrait réunir ce mois-ci les professionnels, les écoles et la direction régionale des affaires sanitaires et sociales. Le rôle du référent de stage devrait être confié aux chefs de service. « Les centres de formation estiment que nous sommes en mesure de transmettre toutes les compétences requises, ajoute Patricia Sicard-Kalka . De leur côté, les cadres sont conscients, à travers cette nouvelle approche du tutorat, de l'importance de sensibiliser les étudiants au sens et à la valeur de leurs missions. » Le site qualifiant devrait être défini à l'échelle de l'unité territoriale et des trois services : aide sociale à l'enfance, service social départemental et prévention santé.

Autre innovation majeure dans l'architecture de la formation : les terrains de stage, rebaptisés « sites qualifiants », sont reconnus comme « organisations apprenantes » devant assurer l'acquisition de chacune des compétences obligatoires. « Cette notion concrétise le fait de ne pas séparer l'école et le terrain, souligne Elisabeth Prieur. Le système va permettre de formaliser ce qu'on appelle l'alternance intégrative. » Un progrès important, même si une bonne part des centres regrettent qu'il n'y ait pas également, dans la certification, un véritable équilibre entre les notes des professionnels et celles de enseignants.

La période de stage durera au total 12 mois, au lieu de 14, dans deux ou trois sites au maximum, y compris en service spécialisé, et devra intégrer en volume identique les deux modes d'intervention sociale - individuelle et collective. L'instauration des « sites qualifiants » suppose une plus grande implication des institutions employeurs, contractualisée par convention avec les établissements. Ces derniers devront de leur côté s'investir dans l'identification des lieux de stages et dans leur suivi. Une plus grande implication sera également demandée au « référent de stage », non plus agréé par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales, mais nommé par l'employeur. A sa charge d'assurer la coordination entre le centre de formation et l'institution, d'encadrer avec l'équipe l'accueil pédagogique du stagiaire.

Si le concept du « site qualifiant » est approuvé par tous, son caractère plus contraignant soulève tout de même des d'inquiétudes. « Alors que les stages sont déjà difficiles à trouver, on demande aux employeurs de se mobiliser encore plus autour de la formation », pointe Martine Noalhyt. Le référent sera-t-il d'ailleurs un chef de service, un autre professionnel ? Rien n'est précisé en la matière. La fonction de « formateur terrain », de surcroît, n'a pas fait l'objet d'une quelconque valorisation à l'occasion de la réforme. La reconnaissance- éventuellement par une indemnisation - des professionnels engagés dans cette mission continuera d'être laissée à la discrétion des institutions. « Certains employeurs mettent déjà une forte pression pour inciter à l'accueil des étudiants, soulève Laurence Margerit, chargée des questions sociales à la fédération des services publics de la CGT. Une aggravation ne serait pas un gage de qualité du terrain de stage. »

La CGT, qui n'a pas voté favorablement la réforme en Commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale (CPC), exprime encore une autre crainte. La nouvelle réglementation prévoit que les stagiaires puissent être accueillis pendant la moitié seulement de leur temps de stage par un assistant de service social diplômé. « La réforme met en questions l'identité professionnelle du futur AS, déjà attaquée aujourd'hui, explique Laurence Margerit . On voit en effet arriver en troisième année des étudiants qui n'ont jamais travaillé avec une assistante sociale diplômée à cause de la pénurie de stages. »

Autre regret : le stage dans un service polyvalent n'est plus obligatoire, ce qui porte atteinte à la polyvalence de secteur, qui avait déjà du plomb dans l'aile dans certains départements après la première vague de décentralisation. Au final, l'ANAS craint que la notion de site qualifiant ne favorise la « transmission de la demande institutionnelle » plutôt que celle de l'usager.

Des surcoûts générés

Si beaucoup de travail reste encore à accomplir, cette partie cruciale de la réforme est plutôt bien engagée dans certains départements. Le conseil général de Seine-Saint-Denis, qui a signé il y a quatre ans une charte de partenariat avec les écoles, a organisé des groupes de réflexion avec les formateurs terrain depuis que la réforme est dans les tuyaux. Au conseil général de l'Isère, la réflexion est également en cours. « Par convention avec l'IUT de Grenoble, une assistante sociale consacre 10 % de son temps au suivi des stages, avec une indemnisation que l'établissement nous rembourse », explique Françoise Raynaud, chef du service « Evolution des pratiques professionnelles »  au conseil général. Ce type d'accord pourrait éventuellement se développer, mais il faut que les centres de formation aient des moyens. »

Des moyens, il en faudra en effet aux établissements pour mettre en œuvre les nouveaux dispositifs de formation. Or c'est justement ce que la réforme n'a pas prévu, malgré des volumes horaires renforcés et des exigences supplémentaires. Au 1er janvier 2005, l'organisation et le financement des formations seront théoriquement transférés aux régions dans le cadre de la décentralisation, sur la base des enveloppes de 2004. « Si j'ajoute sur trois ans 500 heures de formation, j'arrive à un total de 5 000  par étudiant. Qui va pay er ? », calcule Chantal Cornier, directrice de l'Institut de formation des travailleurs sociaux d'Echirolles, dans l'Isère. Face à cette interrogation, l'Aforts a demandé à la DGAS que soient « clairement identifiées dans la réforme les heures affectées à l'enseignement et nécessitant un encadrement pédagogique », afin que la subvention soit évaluée en fonction de l'heure programme. Or, aujourd'hui, l'augmentation non compensée du volume d'heures de formation (cours et travaux dirigés compris) ne pourrait « qu'aggraver la situation financière des centres ».

Manque de subsides, délais extrêmement courts entre la parution des textes officiels et la rentrée... Pour certains centres de formation, il aurait mieux valu retarder l'application de la réforme. « Il y avait d'autant moins d'urgence que le véritable enjeu était de conduire ensemble les réformes des diplômes de niveau III, pour conserver la logique de l'appareil de formation, estime Dominique Susini, directeur de l'Institut de recherche en travail social de Franche-Comté et secrétaire général adjoint du Groupement national des instituts de travail social (GNI) . L'idée étant d'aller vers une licence européenne de travail social avec options, sans pour autant définir un travailleur social unique. » Dans ce sens d'ailleurs, la CPC a mis en place un groupe de travail sur l'architecture des diplômes et les moyens de favoriser les reconnaissances au fur et à mesure que les formations sont rénovées.

Jean-Pierre Blaevoet, directeur de l'Institut régional du travail social du Nord-Pas-de-Calais, également au sein du GNI,  est plus nuancé. « Il vaut mieux engager cette réforme tant attendue, sinon nous risquons de repartir pour quatre ou cinq ans de négociation, commente-t-il. Ce qu'il faudrait, c'est appliquer la réforme à la rentrée 2004 et nous laisser une période probatoire de un an. » Les écoles auront, en tout état de cause, trois ans pour s'adapter progressivement à ces bouleversements. Prudente, la CPC a décidé de mettre en place un comité de suivi de la réforme.

Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Voir ASH n° 2347 du 20-02-04.

(2)  Voir ASH n° 2186 du 27-10-00

(3)  Et créateur à la fin des années 80 d'une filière « Développement et travail social » à l'université Paris-XIII - Voir ASH n° 2230 du 28-09-01.

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