Enseignant et coordinateur de la 3e année ESF au lycée Nicolas-Brémontier de Bordeaux
« La dénonciation de l'implication insuffisante des enseignants, la mise en doute de leur motivation et même de leurs compétences - à la fois saluées et remises en question -, la critique des programmes et la proposition de désenclaver de l'Education nationale la formation des futurs conseillers en économie sociale et familiale, reflètent un discours ambiant de bon ton en ces temps de réforme attendue du diplôme d'Etat. Encore faudrait-il que les arguments avancés ne restent pas sur le terrain passablement polémique et stérile d'une querelle entre ministères (Education nationale et Affaires sociales) ou encadrants. Reprenons donc point par point.
La distinction entre “professeurs” et “formateurs” est purement nominale et non réelle. Aux uns, selon Hélène Faivre, la transmission du savoir. Aux autres, l'accueil de l'étudiant “dans sa globalité”. Opposer savoir théorique et savoir pratique serait plus clair à mes yeux. Car le respect de l'être éduqué n'est pas l'apanage de telle ou telle catégorie d'encadrants. Elle doit ou devrait être le fait de tout éducateur, quelle que soit sa formation d'origine, animé du souci de l'épanouissement de ses élèves.
Il y aurait “rupture” entre le BTS en économie sociale et familiale et le diplôme d'Etat de 3e année. C'est faux : il y a bel et bien continuité, d'ailleurs explicitement exprimée dans tous les référentiels les plus officiels, entre une formation à dominante technique et une formation davantage axée sur le travail social, la seconde parachevant la première.
Formuler des griefs à l'encontre des professeurs en lycée public ne constitue qu'une généralisation abusive douteuse. Pour certains, l'enseignement ne serait qu'“un cours parmi d'autres” sans “souci de professionnalisation”. Cela présupposerait donc que les programmes, pourtant bien définis dans cette dernière optique, ne sont pas traités. Je laisse à Hélène Faivre la responsabilité de cette appréciation relevant davantage de l'inspection.
Elle dénonce “l'invention de compétences”. Tel enseignant s'investit par exemple d'une spécialité en psychologie de l'enfance. Mais où trouvera- t-on l'esprit qui sera spécialiste de la dynamique des groupes, de l'analyse systémique, de la gestion du budget, de la politique de l'immigration, des problématiques de la vie quotidienne de la personne handicapée, etc. ? Le trouvera-t-on davantage chez tel ou tel “formateur”, que l'auteur semble préférer aux professeurs ? Il en est, parmi ces derniers, qui continuent à lire, à se documenter, à faire des revues de presse, à créer même des cours dans le souci d'aider leurs élèves à mieux appréhender la réalité future du terrain professionnel.
Les critiques oscillent entre le regret de “cours trop rares” et celui d'un enseignement dont la finalité pratique serait insuffisante. N'est-ce pas éviter la vraie question : quel enseignement pour ces futurs travailleurs sociaux ? Or il ne devrait pas y avoir de hiatus entre savoir théorique acquis en cours et savoir pratique acquis lors des stages, mais plutôt une complémentarité. La confrontation avec le terrain n'est pas en soi un gage de recul critique suffisant, que seule une solide formation générale peut assurer. A l'inverse, si celle-ci était de fait déconnectée des objectifs pratiques de la profession, elle resterait caduque et ne permettrait pas à l'étudiant d'apercevoir sa finalité. Mais il faut rappeler que l'acquisition de la culture générale - en sciences humaines, en action sociale, en droit ou en économie -présuppose curiosité, effort et qu'elle répond à un processus de maturation. L'obtention du diplôme d'Etat ne saurait mettre fin à une telle disposition d'esprit qui est celle de toute une vie ou de toute une carrière consciencieusement menée. Sans doute faut-il des années pour se familiariser avec l'identité de la personne handicapée, les difficultés de la famille monoparentale, celles des personnes âgées... Et je pense, de mon côté, que l'Education nationale est l'espace propédeutique nécessaire à une approche du terrain : espace de transmission de savoir mais surtout de formation à la réflexion, dégagé de tout impératif de rentabilité, d'efficacité, voire d'idéologie prégnante. L'espace scolaire forme plus qu'un futur professionnel du travail social. Il forme un citoyen qui devra s'affirmer de façon critique dans le champ professionnel où il évoluera. La réflexion, renforcée en troisième année, sur les politiques sociales, les institutions, la lutte contre l'exclusion et le travail social lui-même doit y concourir.
Je ne pense pas non plus que le coordinateur de cette formation doive - ni même puisse - être à la fois enseignant et travailleur social. La spécificité psychologisante que l'auteur lui attribue au demeurant ( “confident, soutien ou aiguillon” )ne laisse d'inquiéter quant au rôle qu'elle lui réserve. C'est probablement ce qu'elle entend ailleurs par “formation humaniste”. A cette utilisation faible et erronée du terme, je substituerai son sens fort. Certes, le futur CESF doit être “humaniste”, non en ce qu'il devrait être “ouvert à autrui”, mais au sens où la formation technique doit servir le mieux- être des publics défavorisés qu'il aura à servir. En revanche, il me paraît essentiel que la formation soit bien assurée à la fois par des enseignants et des travailleurs sociaux. Les heures d'intervenants extérieurs, les visites d'institutions et les stages, prévus dans le référentiel, vont bien en ce sens. Un travail pédagogique d'équipe est également impératif dans la guidance des mémoires et des rapports de stage, à la fois pour une répartition équilibrée et une collégialité éprouvée quant aux objectifs à superviser.
[...] Hélène Faivre semble assurée que les associations seraient davantage habilitées que l'Education nationale à promouvoir une telle formation. Changer le flacon changera-t-il l'ivresse ? Je ne vois pas en quoi le creuset associatif assurerait une formation nécessairement supérieure qualitativement et éviterait les écueils dénoncés d'un programme en partie obsolète ou d'implication insuffisante des encadrants. Je vois au contraire dans le maintien de la formation au sein de l'Education nationale l'avantage d'un compromis équilibré entre savoir théorique et savoir pratique, éveil à l'esprit critique et approche du terrain. Le professeur, qu'il soit de formation bio-technologique, sanitaire et sociale, économique ou philosophique, demeure le référent non interchangeable d'une réflexion sur les pratiques professionnelles que sa position de non-professionnel lui permet d'exercer d'autant plus librement. Former les esprits ne peut revenir à être redevable d'une charte associative ou à appliquer insidieusement un formatage professionnel. Qui maintiendrait au demeurant l'unité entre les différentes tendances associatives privées ?
[...] Par ailleurs, je ne vois pas en quoi un allongement des études renforcerait nécessairement la maturité pour aborder le passage à la vie active. Celle-ci dépend plus d'une disposition intérieure à faire le deuil de son statut d'étudiant plutôt que d'un niveau d'études prétendument idéal.
L'injonction louable à la “foi en la profession” est partagée par plus d'un professeur. Simplement, on ne fait pas non plus de miracles en se contentant de dénoncer “l'escroquerie tant à l'égard des étudiants que des institutions employeurs”. On n'agite alors que les fanions par trop flamboyants de croisades corporatistes. A l'heure des réformes, nous avons tous une responsabilité dans la manière de poser les problèmes, de présenter les pratiques, d'envisager les solutions. Il me semble plus utile d'œuvrer ensemble, professeurs et formateurs, à une harmonisation plus affinée de l'évaluation de ce diplôme et des pratiques de formation. Des propositions récentes de pédagogie transversale ou interdisciplinaire, avancées par le groupe de travail interacadémique de Paris- Créteil-Versailles, sont prometteuses sur ce plan. A nous tous de les appliquer.
Dans la mesure où la position de l'auteur, sans doute commune à d'autres, reflète tour à tour une stigmatisation du corps des professeurs de lycées publics, une conception outrancièrement technicienne de la profession de conseiller en ESF, et encore une planification logistique très discutable de l'organisation future de cette formation, je tenais à faire part de mon propre credo. Que cet enseignement soit aménagé désormais en licence professionnelle ou non, toujours en partie ou plus du tout en lycée, il n'a pas, en tous cas, à être dénaturé en un apprentissage purement technicien. Le futur conseiller en ESF, s'il veut être un vrai acteur de la politique sociale et non le simple exécutant de recettes pré-données, s'efforcera d'être un libre penseur avant d'être un simple technicien. »
Contact : Lycée Nicolas-Brémontier - 152, cou rs de l'Yser -33800 Bordeaux -Tél. 05 56 33 49 60.
Enseignante et coordinatrice de la formation des conseillers en é conomie sociale et familiale au lycée Marcel-Cachin de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Co-auteur, avec R. Remondière et P. Refalo, de Méthodologie en économie sociale et familial e - Ed. ASH, 2001
« Tout ce que propose Hélène Faivre, nous le pratiquons déjà ! Sans doute avons-nous la chance d'avoir dans l'académie de Créteil une inspectrice très à l'écoute qui nous a permis de monter il y a cinq ans une formation de conseiller en économie sociale et familiale digne de ce nom. Dans de nombreuses autres académies (Paris, Versailles, Rouen, outre-mer, entre autres), nous sommes nombreux à travailler en équipe et en lien avec le terrain. Sommes nous privilégiés ? J'en doute.
Nous travaillons ensemble, conseillère, psychosociologue, spécialiste de l'action sociale, tous enseignants de l'Education nationale et fiers de l'être. C'est la CESF qui dispense les cours sur les modes d'intervention et non un enseignant quelconque. Les rapports de stage et le mémoire sont confiés à l'enseignant qui encore aujourd'hui suit une formation universitaire afin de progresser dans la guidance de mémoires. Chacun d'entre nous continue à se perfectionner soit grâce aux formations de l'Education nationale, soit en milieu universitaire.
Les enseignants mettent régulièrement leurs connaissances à jour tant au niveau des cours fondamentaux qu'au regard des consignes données en ce qui concerne l'amélioration du diplôme d'Etat (DE) de CESF. A cet égard plusieurs réunions ont lieu entre établissements publics, privés sous contrats et l'Institut régional du travail social pour améliorer les liens entre BTS rénové et DE, avec l'objectif principal de former de vrais professionnels. Nous apprenons à nos étudiants, avec l'aide des formateurs de terrain, à se positionner comme de futurs travailleurs sociaux capables de savoir-faire, mais aussi de savoir-être. L'éthique et la déontologie font partie de ce que nous enseignons, car il est pour nous important de donner du sens au travail social.
Quant au terrain, nous sommes en contact direct avec les professionnels des différentes institutions (centre communal d'action sociale, conseil général, caisse d'allocations familiales...) et associations. Notre proviseure nous encourage à aller voir des CESF dans divers lieux, ce que nous faisons de manière très régulière. De plus, différents intervenants viennent dans notre lycée rencontrer les étudiantes. La rénovation du BTS a mis en place l'approche du travail social dès la première année. Le travail préparatoire à cette rénovation a été réalisé par une commission paritaire formée, entre autres, de conseillers en économie sociale et familiale et de personnels de l'Education nationale.
Hélène Faivre nous demande de préciser que « jamais elle n'a mis en cause la qualité des professeurs dont elle fait partie », mais qu'elle tenait à souligner qu' « on leur demande parfois de faire preuve d'aptitudes qui ne correspondent pas à leur formation ». Elle veut « interroger une situation et ne se permettrait en aucun cas de critiquer les personnes ». Elle insiste par ailleurs sur son appartenance et son attachement à l'enseignement public. Sa proposition de transférer la formation des CESF à des associations gérant des fonds de l'Education nationale induit que cette dernière demeurerait le cadre global dans lequel se déroulerait le cursus.
Nous ne nous reconnaissons pas dans ce qui est présenté comme un centre de formation de l'Education nationale. Nous sommes au service des étudiants, et non pas l'inverse, et vivons notre métier de formateur comme une passion. Nos résultats aux examens de CESF en attestent.
Je suis enseignante au sein de l'Education nationale et conseillère en économie sociale et familiale, et sans doute pas la seule. Pour reprendre les termes d'Hélène Faivre, nous sommes en effet “référents, confidents, soutiens, aiguillons”. Mais avant tout, nous sommes là pour former des hommes et des femmes dans le temps qui nous est imparti avec de la bonne humeur, du sérieux, de la tolérance dans le respect de chacun, et pour beaucoup d'entre nous (j'ai la faiblesse de le croire) de la compétence[...]. »
Contact : Lycée Marcel-Cachin - 11, rue Marcel-Cachin - 93400 Saint-Ouen -Tél. 01 49 18 97 50.
(1) Voir ASH n° 2360 du 21-05-04.