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Pour un débat politique sur la protection de l'enfance

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Comment améliorer le système français de protection de l'enfance ? Claude Roméo, directeur de l'enfance et de la famille de la Seine-Saint-Denis (1) et Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis)   (2) appellent à une « vraie réflexion sur la modernisation du dispositif » et proposent quatre pistes d'évolution.

« Notre dispositif de protection de l'enfance est régulièrement et sévèrement interpellé : on le dit complexe, onéreux, inaccessible à l'usager, inefficace, bureaucratique, arbitraire, insécure, etc. Les politiques sont déroutés par ses méandres ; les professionnels ont le sentiment d'être inutiles ; plus grave, le corps social ne les considère plus à la hauteur de leur engagement. [...]

En vérité, même si l'on peut entendre les critiques, notre dispositif est globalement satisfaisant et déjà en cohérence avec les engagements internationaux de la France. En un peu plus d'un bon siècle, il a su s'adapter régulièrement, mais il reste perfectible et doit donc évoluer encore et encore.

Quatre dimensions s'imposent pour franchir une nouvelle étape.

Réaffirmer que la protection de l'enfance relève d'une mission de service public

Parler de mission de service public ne signifie pas que la société civile, à travers le réseau associatif, n'ait pas un rôle majeur à y tenir. Elle le joue déjà. Historiquement, elle a fréquemment interpellé la puissance publique sur ce qui devait relever de ses missions. Souvent il lui a fallu- et il lui faut encore - se battre, supporter l'impulsion initiale avant de voir ses actions reconnues.

Mais ce secteur associatif souffre de nombreux handicaps. Sa faiblesse financière est chronique. Son éparpillement l'empêche d'être aussi percutant qu'il serait souhaitable. Trop souvent, ces associations sont encore des faux-nez d'une administration soucieuse de gagner en souplesse en passant par un habillage privé pour les réponses relevant de sa compétence. Qui plus est, elles respectent rarement les canons démocratiques de la loi de 1901 !Les efforts développés de l'intérieur pour remédier à tous ces défauts demeurent insuffisants.

Reste qu'exercée en régie directe, par le secteur associatif habilité par la puissance publique ou encore sur la base de conventions avec les collectivités locales, la protection de l'enfance est une mission de service public développée au nom de la société. On en oublierait que le seul budget cumulé des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE) est de 4 milliards d'euros, soit cinq fois plus que le budget de l'Unicef pour les enfants du monde ! [...]

Clarifier les responsabilités entre l'Etat et les départements

Il convient déjà d'être au clair sur les rôles des institutions publiques. A l'Etat, la loi, les statuts des personnels, les diplômes et la formation, mais aussi la coordination des informations sur ce qui se fait au nom de la protection de l'enfance. Au préfet de vérifier que chaque département respecte les termes de la loi en inscrivant les budgets nécessaires à ses missions. A l'Etat encore de veiller à offrir des temps d'analyse et de confrontation, voire d'impulser des stratégies sur une base contractuelle. Aux départements, dans ce cadre, la mise en œuvre des politiques adaptées aux besoins locaux des populations.

Donner une cohérence aux actions est tout aussi nécessaire. Déjà, l'Etat se doit de coordonner ses propres interventions. On reste loin du compte : une nouvelle impulsion s'impose ici pour appeler les préfets à y veiller. Les instructions ministérielles du 10 janvier 2001 (3) sont aujourd'hui oubliées. Ensuite, autour du président du conseil général, l'ensemble des partenaires locaux publics et privés doivent se rencontrer régulièrement à travers des “conférences de consensus” pour évaluer les besoins. Des schémas départementaux de développement, y compris conjoints avec l'Etat, s'imposent dans tous les départements sur des objectifs et modalités de travail précis.

Très concrètement, des démarches innovantes doivent en permanence être recherchées dès lors que sont nettement identifiés des objectifs prioritaires. Ainsi, pour offrir des interlocuteurs sociaux aux élèves dans les établissements scolaires, plus qu'un transfert de compétences ou de personnels, de bons accords entre l'Etat (Education nationale) et les départements (ASE-protection maternelle et infantile)  sont possibles. Il y a même urgence pour intervenir au plus tôt en faveur des enfants et de leurs parents ! [...]

Pour les “usagers” - parents, enfants -, il faut enfin faciliter l'accès au dispositif alors qu'aujourd'hui ils errent fréquemment de service en service, notamment quand l'enfant est porteur de handicap ou malade :un guichet unique s'impose avec un interlocuteur référent soucieux de mobiliser les administrations d'Etat ou départementales compétentes. L'ASE est sans doute la mieux placée pour jouer ce rôle.

Réactualiser certaines prestations

L'histoire enseigne la nécessité de prendre en compte la complexité des situations des enfants. Reste à en tirer les conséquences au niveau des prestations avancées.

D'abord, aujourd'hui, le droit premier de tout enfant est bien celui de pouvoir vivre dans sa famille, ce qui suppose souvent d'en identifier chacun des membres et, si besoin, de venir en aide à l'ensemble de cette famille, spécialement en lui permettant d'accéder à des revenus décents. Au point qu'il serait plus exact aujourd'hui de parler d'“aide sociale à la famille et à l'enfance” !

Le fait moderne est bien de travailler dans le même instant, et avec les mêmes intervenants, avec tous les membres de la cellule familiale et sur l'ensemble des dimensions : ressources, statut personnel - y compris droit au séjour -, logement, histoire familiale, etc. Cela se fait déjà, mais trop peu. Il faut savoir mobiliser des moyens importants sur des situations tendues. On doit encore intégrer l'existence de “temps forts” et de “temps faibles” dans l'aide apportée à une famille : souvent, la présence d'un référent social s'imposera des années durant, avec parfois le départ temporaire de l'enfant du domicile familial sans que pour autant les parents renoncent à exercer leurs responsabilités. Cette prise en charge globale ne doit pas faire abstraction d'un besoin majeur : conforter chacun dans ses droits, d'où découlent ses devoirs.

[...] Sur le plan institutionnel, notre dispositif de protection de l'enfance n'est pas mauvais dans son équilibre général entre l'intervention administrative et l'intervention judiciaire. Il faut le maintenir quand, par défiance à l'égard des magistrats, la tentation est de réduire la justice à distribuer des mandats globaux (ordonnance de placement, mandat de dépôt, etc.) à une administration maître ensuite des termes de sa prise en charge. Le juge doit rester garant, pour l'enfant et ses parents, de la qualité de la réponse sociale. L'administration elle-même y trouvera son compte. [...]

Recrédibiliser ce dispositif

Pour trop de nos contemporains, les services de protection de l'enfance sont peu crédibles. Ils ne délivreraient pas les aides financières attendues et on ne comprend pas toujours le sens de leur intervention. Nombre d'intervenants sociaux eux- mêmes ne sont guère convaincus de leur utilité pour rompre la chaîne de l'exclusion sociale.

[...] Nos paramètres d'évaluation de l'action sociale sont trop grossiers. Des instruments fiables aux données partagées s'imposent pour évaluer l'impact des politiques suivies au regard des objectifs affichés. L'Observatoire sur l'enfance en danger créé en janvier 2004 peut jouer ici un rôle essentiel s'il s'articule bien avec les départements. Un Institut national des interventions sociales co-animé par l'Etat et les conseils généraux eût été préférable !

Et quelle meilleure reconnaissance de l'action sociale que des politiques passant une commande publique claire aux travailleurs sociaux et aux institutions de protection de l'enfance dans le respect de leurs compétences ? L'exercice a déjà été tenté (4). Il devrait être mené régulièrement, nationalement et localement, pour tout à la fois ouvrir et sanctionner un débat politique.

Par exemple, à quoi sert-il de s'attaquer à la délinquance des jeunes si dans le même temps on ne fait rien pour que de nouvelles vagues n'arrivent pas à maturité ? Où est la politique de prévention de la délinquance à dimension familiale, sociale, culturelle et citoyenne qui s'impose et associe l'Etat, les collectivités locales et la société civile ? Un plan ambitieux de prévention précoce de la délinquance et de la détresse sociale auprès des 6-12 ans est indispensable. Cet âge nécessite des pratiques éducatives cohérentes, durables, axées sur la création et le maintien de liens stables avec les adultes. Ce qui implique notamment la création de structures de proximité, implantées dans les quartiers et à même, par des méthodes et des pratiques éducatives spécifiques, de réaliser au côté des familles un véritable travail de “co-éducation”.

Pour en arriver là, il faut déjà inverser fondamentalement la logique qui se dessine depuis quelque temps : c'est bien de la protection des individus que résultera la protection de la société !Aujourd'hui, une approche hygiéniste de la société veut que l'on coupe les branches “malades”, quitte à les affecter à tel ou tel : aux départements, les enfants en danger ; à l'Etat, les enfants délinquants. C'est bien en faisant une place à tous les enfants de France que demain la société sera mieux protégée, car respectée. [...]

Arrêtons d'avoir peur d'une partie de la jeunesse de ce pays. Et osons reparler des droits des enfants plutôt que de réduire l'enfant à un objet de protection, sinon d'appropriation. Cela conduirait à mieux considérer la place de l'enfance dans ce dispositif qui lui est destiné.

Ces quelques réflexions illustrent combien il est d'actualité de lancer une vraie réflexion sur la modernisation de ce dispositif. Avec bien d'autres, nous appelons à ce débat politique régulièrement escamoté. »

Claude Roméo et Jean-Pierre Rosenczveig Claude Roméo : Conseil général de Seine-Saint-Denis - Direction de l'enfance et de la famille - BP 193 - 93003 Bobigny cedex -Tél. 01 43 93 80 00. Jean-Pierre Rosenczveig : Tribunal pour enfants - 173, avenue Paul-Vaillant-Couturier - 93000 Bobigny - Tél.01 48 95 13 93.

Notes

(1)  Et auteur en 2001 du rapport L'évolution des relations parents-enfants- professionnels dans le cadre de la protection de l'enfance - Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.

(2)  Et auteur du Dispositif français de protection de l'enfance - Ed. Jeunesse et Droit, 2004.

(3)  Voir ASH n° 2198 du 19-01-01.

(4)  Ce fut le cas des « Nouvelles orientations pour le travail social » de la ministre des Affaires sociales Nicole Questiaux en 1982.

TRIBUNE LIBRE

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