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Quand l'assurance maladie va au-devant des exclus des soins

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La caisse primaire d'assurance maladie du Calvados a, la première, dès la fin des années 80, développé une action novatrice pour aller au-devant des personnes en grande difficulté et leur permettre d'accéder à une protection sociale et aux soins. Souplesse de fonctionnement, décloisonnement, mobilité, mise en place d'un réseau... la cellule Detres bouleverse la culture et les pratiques de l'institution.

« Ils ont des droits, trouvez-les ! » C'est avec ce seul mot d'ordre qu'une modeste équipe de quatre animateurs et animatrices de la caisse primaire d'assurance maladie  (CPAM) du Calvados, chapeautée par Annick Godin, démarrait, au cours du printemps 1988, une action pilote en direction des publics privés de couverture sociale. Quelques mois plus tôt, un rapport d'ATD quart monde avait pris en exemple un quartier difficile de Caen pour témoigner de la montée des « nouveaux pauvres » dans le pays. L'ensemble des caisses primaires avait alors été incité à prendre en compte cette nouvelle forme d'exclusion. « Nous étions dans une période de choc économique, avec d'importants licenciements dans le pays. Il y avait des gens ayant épuisé leurs droits, touchant des revenus de solidarité et à qui l'on demandait d'apporter bon nombre de justificatifs. Ils n'étaient plus acceptés dans les Assedic, ni dans les centres communaux d'action sociale après avoir obtenu certaines aides. Au bout d'un moment, ils finissaient par laisser tomber et ils n'apparaissaient même plus dans les fichiers de la CPAM », se souvient Alain Lepelletier, l'un des trois agents actuels de la cellule Detres (1).

Ignorance des droits, illettrisme, rejet des démarches administratives jugées peu claires et complexes, difficultés à se déplacer... Pour atteindre le public dépourvu, pour ces multiples raisons, de toute couverture sociale, la cellule va bousculer les pratiques habituelles de la grosse machine qu'est la CPAM. Un numéro vert est mis à la disposition de toutes les personnes susceptibles de côtoyer ceux qui n'ont pas accès aux soins. Dans le même temps, l'équipe écume le département pour expliquer la raison d'être de ce numéro gratuit et faire connaître la démarche aux acteurs associatifs, caritatifs et médicaux et aux partenaires institutionnels (Assedic, caisse régionale d'assurance maladie, caisse d'allocations familiales, etc.). C'est la naissance du réseau sur lequel s'appuie aujourd'hui la cellule pour détecter et traiter ces situations. « Au départ, on n'était pas très bien vu par certains acteurs, comme les services sociaux qui trouvaient que notre dispositif venait s'ajouter inutilement à leur travail, se souvient Alain Lepelletier . Il a fallu leur expliquer qu'on n'était pas là pour “piquer les pauvres” des associations et des services sociaux, mais qu'on avait besoin de signalements. Et que notre intervention permettait de régler des problèmes souvent compliqués et leur donnait du temps pour se consacrer davantage à leur travail d'accompagnement social. »

74 000 DOSSIERS TRAITÉS EN 15 ANS

En 15 ans, la cellule Detres a traité plus de 74 000 dossiers, dont près de 22 000 difficiles. Les deux principaux motifs des demandes d'intervention sont l'absence d'ouverture de droits et l'impossibilité de supporter ou d'avancer le ticket modérateur. Les deux tiers des dossiers difficiles ont pu trouver une solution en moins de 48 heures et 88 %d'entre eux ont été résolus dans un délai maximal de dix jours. Cette efficacité s'explique, selon Annick Godin, par le choix des responsables de créer dès le départ une cellule « autonome », au sein du service action sanitaire et sociale de la caisse primaire d'assurance maladie. « Contrairement à certaines caisses qui ont mis en place des dispositifs comparables dans des unités de liquidation de dossiers, la cellule Detres est un secteur à part, hors production. Cela permet d'éviter par exemple que l'on vienne puiser du personnel chez nous pour résorber le retard qu'il peut y avoir à un moment donné dans le traitement des dossiers du centre de paiement. » Les spécificités développées par la cellule Detres ont d'ailleurs suscité l'intérêt d'autres caisses primaires, par exemple à Brest, à Avignon ou dans la Manche.

Pour répondre aux situations d'urgence, les agents de la cellule et leurs partenaires vont même délaisser les échanges par courrier au profit des signalements des cas problématiques par téléphone ou par fax. Pas question non plus de maintenir des pratiques inadaptées à un public souvent méfiant à l'égard de l'administration. A l'anonymat de la salle d'accueil et du ticket d'appel, l'équipe préfère les rendez- vous individuels et modifie ses comportements (poignée de main, langage plus simple et direct, etc.). « Chaque professionnel suit les mêmes personnes de façon à ce qu'elles ne soient pas obligées de répéter chaque fois leur histoire et que la confiance puisse s'instaurer », précise Françoise Rivière, animatrice de la cellule.

Pour les publics les plus marginalisés et les plus difficiles à toucher, l'équi- pe apprend aussi à sortir des murs de l'institution. Les animateurs rencontrent ainsi une partie de leur public au siège de certaines associations, au domicile des personnes, mais aussi dans des cafés, des caravanes, des squats, des greniers, voire des logements de fortune, comme cette cabane érigée par un homme dans le coin d'un cimetière. Les parcours chaotiques très différents exigent parfois un véritable travail d'enquête pour régulariser un dossier, à l'exemple de celui de cet homme arrivé dans un centre de rééducation après un accident et devenu quasiment amnésique. « La seule chose dont il se souvenait, c'était qu'il avait travaillé dans une boulangerie industrielle de la région parisienne, raconte Alain Lepelletier. Avec le Minitel, j'ai fait la liste de tous les établissements existants et, dès que j'avais du temps, je les appelais. Ça n'a rien donné jusqu'au jour où le comptable d'une entreprise s'est souvenu de lui et m'a orienté vers une autre usine. Il m'a fallu un an et demi pour retrouver ses bulletins de paie et pouvoir lui obtenir un rappel de toutes ses indemnités journalières. »

Les membres de l'équipe doivent faire preuve d'une extrême souplesse pour trouver des solutions pas toujours très « orthodoxes », mais adaptées aux situations particulières. Ainsi, pour permettre à une femme souffrant de troubles psychologiques- et qui refusait catégoriquement d'être appelée par son patronyme - de bénéficier de ses prestations, les animateurs lui ont établi une carte d'assurée portant le nom d'emprunt qu'elle s'était choisi. « Nous respectons bien évidemment les textes en vigueur, précise Véronique Marie, animatrice, mais nous jouons sur la marge de manœuvre qui nous est laissée pour mettre en place des solutions adaptées à la réalité des gens que nous rencontrons. Pour ouvrir des droits à une jeune femme vivant en couple et n'ayant jamais travaillé ni touché le RMI, nous avons choisi par exemple de faire jouer la couverture maladie universelle [CMU]. Pourtant, la solution logique aurait été de l'inscrire comme ayant droit sur le dossier de son compagnon. » Mais cette solution était contre-indiquée pour ce couple toxicomane dont les médecins et les psychologues cherchaient à casser le côté « fusionnel » pour individualiser la prise en charge. L'un des intérêts du réseau est d'ailleurs d'offrir une vision globale des situations qui évite d'engager des actions venant contrecarrer, voire réduire à néant, le travail entrepris par d'autres. Attention, prévient Alain Lepelletier, à ne pas recourir inconsidérément aux aides exceptionnelles dont dispose la caisse : « Si nous arrivons comme le Père Noël, au moment où une assistante sociale tente d'apprendre à une famille à vivre avec un budget, nous risquons de remettre en cause son action. » Par ailleurs, avec cette démarche partenariale, « nous pouvons aller au-delà des questions de protection sociale et monter par exemple un dossier de surendettement pour éviter qu'une situation ne se dégrade », se félicite Françoise Rivière.

Une CMU qui ne règle pas tout

Pour améliorer le fonctionnement du réseau, les responsables de la caisse primaire d'assurance maladie organisent régulièrement des modules de sensibilisation à destination de certains professionnels. Comme les médecins-conseils « dont les décisions, note Annick Godin, étaient justifiées médicalement, mais ne prenaient pas toujours en compte les conséquences pour l'avenir de l'assuré ». Les partenaires profitent en outre des journées santé (une trentaine par an), organisées à l'intention des personnes isolées en situation de précarité par la cellule Detres et le centre d'examen de santé de la caisse primaire, pour établir un bilan de l'action entreprise et réfléchir à de nouvelles orientations.

Environ 6 000 dossiers sont traités chaque année par la cellule Detres avec un taux de résolution des situations de 99 %. « Les quelques rares cas qui nous échappent encore sont les gens qui vont plus vite que leur dossier, comme le routard qui disparaît après une première rencontre », glisse Alain Lepelletier avant de noter les progrès enregistrés depuis l'instauration de la CMU. « On n'est plus obligé de dire aux personnes de revenir avec leurs papiers, ce qui était un facteur de décrochage. Maintenant, elles peuvent avoir accès aux soins immédiatement et sans passer par les circuits de soins associatifs, qui ont pour effet de stigmatiser ces populations. » Reste que malgré la couverture maladie universelle, il faudra toujours aller au-devant des publics qui ignorent encore l'existence de leurs droits et pour qui toute démarche administrative devient vite très compliquée. Il faudra aussi continuer à repérer ceux qui éprouvent un sentiment de honte à l'idée de demander la couverture maladie universelle, « ceux encore qui s'estiment tellement peu importants qu'ils ne font pas cas de leur santé ou ceux qui ont des conduites à risque, comme le tabac ou l'alcool, et qui se cachent par peur de découvrir un gros problème médical ».

 Le service s'inquiète également de la forte augmentation, ces dernières années, du nombre des jeunes en errance à la suite d'une rupture familiale et qui se retrouvent à l'hôpital sans couverture sociale, mais aussi des restrictions apportées à l'aide médicale d'Etat. Par ailleurs, il déplore la disparition de nombreux centres médico-sociaux en milieu rural qui va, inévitablement, créer des trous dans le filet de détection des publics en voie de précarisation.

Autant de bonnes raisons, expliquent les animateurs de Detres, de continuer à développer le partenariat. Par exemple, les agents de la caisse primaire d'assurance maladie de Caen se sont vu proposer une formation afin de mieux repérer les signes de situations d'exclusion, comme l'absence de réponse aux courriers ou la persistance d'indemnités journalières très réduites. « Pour nos collègues qui ne sont plus en contact avec les usagers autrement que par des dossiers, explique Françoise Rivière, c'est l'occasion de voir que, derrière ces documents, il y a des situations qui peuvent être dramatiques. »

Henri Cormier

Notes

(1)  Detres (détection et traitement de l'exclusion sociale)  : boulevard du général Weygand - 14031 Caen cedex - Tél. 02 31 45 79 41 - E-mail : annick.godin@cpam-caen.cnamts.fr.

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