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L'agrément ANPE : plus de souplesse ou de contrainte ?

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Après 18 mois de négociations, la procédure d'agrément par l'ANPE des personnes embauchées par les structures d'insertion par l'activité économique a été assouplie en octobre dernier. Malgré de nombreux points positifs, le dispositif apparaît encore trop lourd pour beaucoup d'acteurs de terrain.

Les acteurs de l'insertion par l'activité économique  (IAE) saluent les deux avancées majeures de la circulaire du 3 octobre 2003 qui assouplit la procédure d'agrément par l'ANPE des personnes embauchées par les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) (1). A savoir : l'institution de périodes de neutralisation de l'agrément qui garantit au bénéficiaire un parcours de 24 mois d'embauche effective dans une SIAE et l'élargissement de la prescription de l'agrément à certains intervenants sociaux.

Pourtant, à y regarder de près, l'accueil de ce dispositif, qui se met doucement en place, est plus nuancé. Alors qu'à la Coorace la vigilance est de mise « sur les dysfonctionnements qui pourraient apparaître », la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) affiche sa lassitude face à ce qu'elle craint être « un outil administratif de plus ».

Il faut dire que les négociations entre les pouvoirs publics, l'ANPE et les réseaux de l'IAE pour modifier la circulaire précédente du 26 mars 1999 (instituant pour la première fois cet agrément) ont été longues et difficiles. A l'époque, l'agrément avait pourtant été plutôt bien accueilli par les réseaux du secteur qui y voyaient le signe d'une implication plus grande de l'ANPE auprès des publics en difficulté et, partant, une reconnaissance de la spécificité des SIAE. De fait, si l'agrément était, dès le départ, un garde- fou institué par l'Etat pour que seules les personnes éligibles à l'IAE accèdent effectivement aux structures d'insertion, la philosophie de la circulaire mettait déjà en avant le principe d'une coordination entre les acteurs pour garantir la continuité des parcours d'insertion.

Que s'est-il donc passé pour que, à peine trois ans après son entrée en vigueur, les réseaux de l'IAE aient souhaité la modifier ? Non seulement les comités techniques d'animation  (CTA) prévus pour coordonner le suivi des bénéficiaires de l'IAE n'ont pas vu partout le jour, mais l'agrément est aussi apparu inadapté : fixé à 24 mois, il ne permettait pas de tenir compte des ruptures de parcours.

« Nous avons souhaité reprendre ce qui avait mal fonctionné », explique Didier Piard, chargé de l'emploi à la FNARS. Or, bien qu'elle aille dans le bon sens, il n'est pas sûr que la nouvelle procédure modifie la donne sur le terrain. « Il faut peser le pour et le contre, affirme Yann Fradin, directeur d'Espaces, un chantier d'insertion situé à Meudon (Hauts-de- Seine). S'il est positif que la circulaire réaffirme le rôle de l'ANPE dans le suivi des personnes embauchées, je crains qu'elle ne soit qu'un carcan supplémentaire. »

Rien n'indique en effet que les dispositifs demeurés lettre morte en 1999 voient le jour cette fois-ci. A l'instar des comités techniques d'animation. Certes, la nouvelle circulaire stipule que ces derniers « doivent être généralisés et mis en place sur tout le territoire à raison d'au moins un par département ». Il n'empêche, « la situation risque de varier suivant les bassins d'emploi, notamment en fonction des directeurs des agences locales pour l'emploi », note Barbara Tiriou, responsable du service juridique de la Coorace. Il est vrai que l'agrément a mis au jour des relations parfois difficiles entre les agences locales pour l'emploi et les SIAE, même si, selon la Coorace, la situation a eu tendance à s'améliorer ces deux dernières années.

Cette circulaire pose donc la question du partenariat ANPE/SIAE. Si d'aucuns se félicitent de la réactivation de cette collaboration, d'autres sont plus sceptiques. « Je reste persuadé que l'ANPE est incontournable dans l'insertion des personnes en difficulté et dans l'évaluation des publics, mais je reste prudent sur l'avenir de nos relations », avoue Didier Piard. Bien que la circulaire rappelle que les outils de l'ANPE (évaluations, ateliers de recherche d'emploi, bilans de compétences, etc.) doivent pouvoir être utilisés par les bénéficiaires de l'IAE, le contexte de mise en concurrence progressive de l'agence ne joue pas en faveur de sa prise en compte des publics les plus en difficulté. Pour autant, la Coorace est optimiste. Elle y voit « une volonté d'uniformiser l'accès des salariés en insertion à ces mesures, sur l'ensemble du territoire ». Quant au Réseau national chantier-école, il se félicite de l'effort de clarification de la circulaire. Celle-ci devrait, notamment, favoriser l'agrément de tous les salariés des chantiers d'insertion - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - et faire en sorte que ces derniers soient véritablement reconnus comme une étape à part entière dans le parcours d'insertion.

Afin de favoriser la collaboration entre les services de l'emploi et les acteurs de l'insertion, le texte incite également à la généralisation des conventions de coopération entre l'ANPE et les SIAE, censées permettre, notamment, à l'ANPE d'anticiper au mieux la sortie des parcours d'insertion. Encore faut-il que ces conventions soient effectivement signées. A la mi-mai, malgré les promesses, ce n'était toujours pas le cas pour le Réseau national chantier-école. Par ailleurs, il faut également que ces conventions soient conclues entre deux partenaires égaux et qu'elles ne se limitent pas à un contrat imposé aux structures d'insertion, comme le redoute la Coorace.

Autre aménagement phare de la circulaire pour faciliter l'accès à l'emploi des personnes très éloignées du marché du travail :l'élargissement de la prescription de l'agrément à des intervenants sociaux « qui doivent être pleinement mobilisés et associés à la réalisation du diagnostic de la situation sociale et professionnelle de la personne ». Une mesure qui va, elle aussi, contribuer à renforcer la collaboration entre les organismes de lutte contre l'exclusion et le service public de l'emploi. C'est une victoire pour la Coorace qui avait défendu « le principe d'une “sortie” du tête-à-tête SIAE/ANPE et, par conséquent, un élargissement des interlocuteurs aux prescripteurs “naturels” que sont les intervenants sociaux ». A condition toutefois que l'ANPE ne procède pas à la vérification de l'opportunité de l'agrément mais s'en tienne à la vérification de la situation administrative de la personne. « Nous serons vigilants sur ce point, précise Barbara Tiriou. Car s'il n'est pas respecté, nous reviendrions à la situation antérieure. »

Celle-ci n'était pas si critiquable, rétorque cependant Yann Fradin, puisque, en pratique, les associations du secteur orientaient déjà les personnes en difficulté vers l'ANPE. Ce directeur de chantier d'insertion craint en effet que la nouvelle circulaire ne disqualifie certaines d'entre elles, au motif que les intervenants sociaux prescripteurs sont dorénavant désignés par le préfet, après avis du conseil départemental de l'insertion par l'activité économique. En outre, « la circulaire prévoit que c'est la direction départementale des affaires sanitaires et sociales qui propose les structures alors que cela devrait être du ressort de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle... C'est kafkaïen ! », regrette Yann Fradin, qui dénonce également le fait qu'aucun financement n'ait été prévu pour aider les associations prescriptrices à effectuer ce travail.

Sans compter que certaines incertitudes demeurent. Un intervenant social, par exemple, qui n'est pas habilité à prescrire l'agrément pour une personne devra-t-il s'adresser à une association habilitée ou directement à l'ANPE ? « Avant on reprochait à certains acteurs de faire de l'autoprescription ; avec cette nouvelle circulaire, ce ne sera plus possible », se réjouit néanmoins Philippe Louveau, délégué national du Réseau national chantier-école.

Mais, alors même que la circulaire entre lentement en application, c'est la durée de l'agrément qui suscite le plus d'inquiétudes. Sa neutralisation (voir encadré) est certes bien accueillie. Elle évite en effet des « aberrations ». Comme l'impossibilité pour une personne ayant fait deux ans de prison de réintégrer la SIAE où elle travaillait avant son incarcération au motif que l'agrément est épuisé. Néanmoins nombreux sont les acteurs de terrain déçus par la durée inchangée de l'agrément, fixée à 24 mois. « Deux ans, ça ne me dérange pas, mais il faut que ce soit renouvelable », affirme Yann Fradin. D'autant que la prolongation de six mois accordée dans certains cas est désormais supprimée. « Tout le monde s'accorde à dire que de plus en plus de personnes sont de plus en plus éloignées de l'emploi. Malgré ce constat, les pouvoirs publics ne reconnaissent pas la nécessité de prolonger les parcours si besoin », regrette Jacques Pouly. Le directeur de l'association Semailles à Avignon, également vice-président du Réseau Cocagne, prône donc un agrément d'une durée maximale de cinq ans, renouvelable chaque année en fonction de la pertinence du parcours de la personne. Il n'est pas rare en effet que son chantier d'insertion accueille une personne pour deux ans. Que devient-elle ensuite, alors même qu'elle n'est pas encore employable dans une structure classique ?

Un ou plusieurs agréments ?

« Il n'est dit nulle part qu'une personne n'a droit qu'à un seul agrément dans sa vie », précise néanmoins Barbara Tiriou. Est-il alors possible de demander un nouvel agrément, une fois le premier terminé ? La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle répond par l'affirmative. Pourtant, sur le terrain, certaines agences locales pour l'emploi et certaines directions du travail refusaient jusqu'à présent d'en entendre parler. Cela dit, les SIAE bénéficient d'une marge de manœuvre non négligeable : un contrat conclu avant la fin de la période de 24 mois ouvre droit à l'agrément jusqu'au terme de ce contrat. Ce qui permet, par exemple, d'embaucher une personne dans une association intermédiaire pour quelques mois afin qu'elle renoue avec le travail, puis de l'intégrer dans une entreprise d'insertion pour 24 mois - durée maximale prévue par le contrat à durée déterminé d'insertion  (CDDI). « Au quotidien, ces effets d'annonce qui semblent positifs sont plutôt des contraintes qui freinent le parcours des personnes, dénonce toutefois Sabine Verhaegen, directrice de l'association Ménage Services à Amiens. Le seul intérêt de l'agrément, c'est qu'il permet un contrôle sur la légitimité de notre public à bénéficier des aides dévolues aux SIAE. Ce qui se traduit par une multiplication des justificatifs à fournir. On demande ainsi aux personnes en recherche d'emploi d'être bien dans les bonnes cases et de montrer patte blanche... C'est un véritable parcours du combattant ! » Qui ne manque pas, aussi, d'alourdir le travail de la structure employeur qui a la procédure de neutralisation en charge. « Encore des tâches administratives supplémentaires... », soupire Yann Fradin. « La circulaire est encore trop lourde, reconnaît Didier Piard. Il y a un équilibre à trouver entre trop de garde-fous et trop de souplesse. Faute de pouvoir tout contrôler, l'Etat doit apprendre à nous faire confiance. » Caroline Dinet

LA NEUTRALISATION DE L'AGRÉMENT ANPE

La circulaire DGEFP/DGAS du 3 octobre 2003 stipule que « la période de 24 mois ouverte par l'agrément doit correspondre à une période effectivement travaillée par le bénéficiaire ». Elle dresse donc une liste des périodes qui peuvent « être décomptées de la durée de l'agrément »  : arrêt pour longue maladie, congé maternité, incarcération, période d'essai auprès d'un employeur ne relevant pas de l'insertion par l'activité économique, cure de désintoxication, raison de force majeure et « toute autre situation faisant l'objet d'un accord entre les acteurs membres du comité technique d'animation ». Cette absence de définition stricte des périodes de neutralisation peut laisser penser que certaines intermissions longues liées, par exemple, à des difficultés économiques dans le secteur où le salarié souhaite s'investir, pourraient être prises en compte. C'est, en tout cas, ce qu'espère la Coorace. Quant aux intermissions courtes, fréquentes dans les entreprises de travail temporaire d'insertion  (ETTI) et les associations intermédiaires, elles ne font pas l'objet d'une neutralisation.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2335 du 28-11-03.

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