Construit, comme le mot « compagnon » dont il dérive, à partir de « cum », avec, et de « panis », pain, l'accompagnement est le pain quotidien de l'éducateur spécialisé. Mais ce pain « n'est pas toujours tendre. Il y a parfois, sous la croûte, une certaine dureté », souligne Joseph Rouzel. Autrement dit : « Le quotidien éducatif, ce n'est pas de la tarte ! » C'est bien, pourtant, avec lui qu'il faut s'efforcer de faire de chaque jour « un bon jour », comme l'enseigne le maître zen sous les auspices duquel l'auteur place sa réflexion.
Aujourd'hui psychanalyste et formateur en travail social, Joseph Rouzel a exercé pendant 20 ans dans le secteur de l'éducation « spéciale », qualificatif qu'il préfère à celui de « spécialisée », en référence à Itard, médecin et pédagogue français qui s'emploiera à « d'hommestiquer » Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron. Cette pratique d'humanisation complexe qu'est une rencontre toujours singulière se réalise, pour 80 % des éducateurs spécialisés, en internat. Dans ces établissements, le quotidien constitue bien la médiation de base de la relation éducative. Levers, toilettes, accompagnements dans divers lieux, repas, soirées, couchers : tel est le théâtre, banal, où se joue l'ordinaire du travail éducatif, dans une répétition qui permet de donner un cadre sécurisant aux personnes aidées.
Mais si tout individu - et toute institution - a besoin de rythmes et de rites, ces derniers ne doivent pas étouffer l'imprévu, l'insu, l'inouï. Il faut laisser une porte ouverte à cette seconde dimension du quotidien qui vient mettre du sel dans la routine. Une organisation trop bien huilée, en effet, présente deux risques majeurs, selon l'auteur qui aime jouer avec les mots : tourner en rond ou tourner au vinaigre. Dans le premier cas, les personnes prises en charge s'ennuient et leurs accompagnateurs aussi : la tête et le cœur sont ailleurs, ou bien nulle part, « et au bout de quelque temps, ce qu'on fait n'a plus de sens ». Parfois aussi, ça tourne mal « et j'allais dire heureusement », parce qu'alors, on est forcé de se réveiller. « Ça commence toujours pareil, explique Joseph Rouzel : un membre de l'équipe se met à râler parce qu'il ne supporte plus, ou bien un résident fait sa crise. »
La vie vient alors rappeler, de façon souvent très angoissante, qu'on peut bien sûr l'ordonner, mais qu'elle n'est pas aux ordres. Les « porteurs de désordre » font ainsi un appel d'air, un appel à de la respiration et de l'invention. Dans ces moments de déstabilisation, l'organisation des tâches quotidiennes peut être revivifiée, précise l'auteur, si tant est que les conditions soient réunies « pour accepter l'étrange en soi et chez l'autre », et l'accueillir comme une force qui vient interroger le cadre de vie.
Le quotidien en éducation spécialisée - Joseph Rouzel - Ed. Dunod - 23 € .