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Quelle formation pour les CESF ?

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T roisième année inadaptée,  professeurs parfois peu compétents ou peu impliqués… Hélène Faivre, formatrice depuis 20 ans de conseillers en économie sociale et familiale (CESF) dans le cadre de lycées publics, porte un regard sévère sur la formation de ces professionnels. Et propose des pistes d'amélioration.

« [...] Pourquoi choisit-on la profession de conseillère en économie sociale et familiale ?Sur le plan individuel d'abord, et il me semble inutile d'aller plus loin si cette condition n'est pas remplie, parce qu'on a la passion de l'autre. Il importe de souhaiter rencontrer l'autre dans sa vie quotidienne avec la conviction que c'est le seul lieu de proximité et de vérité. La CESF se situe au cœur même du réel avec la certitude que ce n'est qu'en tentant d'assumer ou de modifier son environnement que la personne développe son autonomie [...]. Cependant, si elle s'appuie sur le quotidien, elle ne perd pas de vue son statut de travailleur social et cherche avant tout à écouter l'autre et à l'accompagner pendant un temps. Mais l'aspect pratique de son travail la démarque nettement de l'assistante sociale, dont la profession s'est recentrée, avec la réforme de la formation dans les années 60, sur le droit, la psychologie ou les méthodes de travail social, à commencer par le “case work”.

[...] La CESF est un travailleur social qui intervient au sein d'une équipe pluridisciplinaire ou en partenariat, en sachant que, face à la complexité du quotidien, face à la globalité humaine, son action reste limitée et qu'elle a par là même besoin des autres pour œuvrer à l'autonomie des personnes dans le cadre d'une activité institutionnelle. Au sein de l'équipe, elle est en quelque sorte le garant de la proximité de l'action.

La première question qui se pose est bien sûr de savoir dans quel cadre la formation de ces professionnelles doit avoir lieu : Education nationale au sein du public, établissements privés ou association loi 1901 garantissant une certaine autonomie et parfois plus de cohésion ? Le cadre associatif favoriserait, à mon sens, une implication plus grande des formateurs, mais seul le cadre public peut permettre une formation unifiée.

Seconde interrogation : cette formation relève-t-elle de formateurs ou de professeurs ? Il faut préciser la différence essentielle entre les deux termes. Le professeur apporte avant tout un savoir spécifique, quand le formateur, qui peut être chargé d'un enseignement, reçoit l'étudiant dans sa globalité, avec ses hésitations, son histoire, ses difficultés, ses richesses, son environnement et l'accompagne dans ses acquisitions tant intellectuelles que comportementales, éducatives, relationnelles ou pratiques. En ce sens, être formateur suppose une volonté de découvrir l'étudiant, de lui faire exprimer sa différence, une capacité de renouveau permanent parce que chaque jour une nouvelle facette peut se révéler. Ce que les étudiants auront à accomplir dans leur travail ultérieur, il faut déjà que les formateurs acceptent d'avoir à l'accomplir à leur égard. Et là parfois l'Education nationale se montre frileuse.

Une rupture dans le cursus

Quels sont donc, plus concrètement, les problèmes que pose cette formation dans certains lycées ? Le premier, très général, est celui des programmes, et plus particulièrement celui de la réforme de la troisième année de formation. Si les trois années d'études des assistantes sociales forment un tout, on ne peut nier qu'il y a, dans la formation des CESF, une rupture. Sans doute est-ce pour favoriser la recherche d'un emploi après le BTS. Mais tout le monde sait que peu d'étudiants s'insèrent réellement dans la vie active à ce stade dans un poste correspondant à leur qualification... [...]

Si la troisième année n'a toujours pas été officiellement réformée, des expérimentations ont lieu en certains endroits, spontanément, à l'initiative des enseignants. Mais les programmes se chevauchent, certains thèmes sont désuets, certaines réalités nouvelles ne sont pas abordées : tout est laissé à l'initiative personnelle. Chacun, selon sa bonne volonté, son sérieux, son temps disponible, tente de faire au mieux... mais certains aussi s'endorment sur l'idée qu'“il n'y a plus de programme”... Ajoutons à cela que, pour beaucoup, il y a méconnaissance du terrain, quand ce n'est pas de la profession...

Les étudiants sont sérieux, ils savent qu'un an après leurs études, ils devront aider des personnes ayant de lourdes difficultés : il est urgent qu'on leur en donne les moyens, à commencer par un programme, certes adaptable, mais qui repose tout de même sur un minimum de consensus entre les différents lieux de formation. Nous frisons actuellement l'escroquerie, tant à l'égard des étudiants que des institutions employeurs. Par ailleurs, en troisième année, les étudiants passent en moyenne 20 semaines en formation théorique et 14 en stage pratique. Comment être préparé à une vie de travailleur social dans le contexte économique et social actuel en si peu de temps, surtout avec un programme en partie caduc ?

A ce problème vient s'ajouter celui, au sein de l'Education nationale, de la qualification des formateurs. Non pas qu'ils ne soient, chacun dans sa spécialité, qualifiés, voire hautement compétents, mais, comme je le soulignais, l'enseignement sans prise en compte globale de l'évolution personnelle de l'étudiant perd une grande partie de son intérêt en ce qui concerne les CESF qui ont besoin avant tout d'une formation humaniste. Par ailleurs, le plus souvent, l'enseignement que dispense un professeur dans un lycée public n'est pour lui qu'un cours parmi d'autres, et non une tâche unique guidée par un souci de professionnalisation. Parfois même, faute de personnel adéquat, on demande à l'enseignant de s'inventer des compétences, de s'improviser, par exemple, spécialiste en psychologie de l'enfant. Quant aux techniques de communication ou de gestion, aux méthodes sociologiques de connaissance du terrain, elles sont bien souvent remplacées par des cours théoriques qui n'apportent pas une compétence pratique. Comment accepter qu'on demande à un professeur d'économie de présenter les modes d'intervention de la CESF, à un professeur d'art plastique de suivre mémoires ou rapports de stage, même si les compétences personnelles “non officielles” et la bonne volonté le rendent parfois possible ? Est-ce normal ? Les CESF, sur le terrain, répondent “non”.

A contrario, les compétences personnelles ne sont pas toujours exploitées, en raison des pressions qui, dans l'Education nationale comme presque partout, donnent souvent plus de poids à une hiérarchie fondée sur le pouvoir qu'aux compétences spécifiques de chacun. Mais, dira-t-on, à défaut de formateurs de l'Education nationale suffisamment compétents pour transmettre une connaissance du terrain, le recours aux intervenants extérieurs ou aux visites d'institutions peut être une solution... En partie, sans doute. Cependant, ces interventions ont lieu à la place de cours déjà trop rares. Positives et indispensables en elles-mêmes, elles peuvent avoir un effet indirect préjudiciable si elles sont mal choisies, mal programmées.

Alors que proposer dans ce cadre ?

Il faudrait, bien sûr, qu'un groupe paritaire (enseignants, cadres de l'Education nationale, professionnels, voire élus) refonde les programmes, en insistant sur le développement des techniques de communication (vidéo, exposition..., mais aussi rapport, synthèse, correspondance, communication téléphonique, enquête et surtout entretien d'aide) avec application en milieu réel, et sur le développement des compétences en informatique et en gestion, de plus en plus nécessaires. Il faudrait aussi donner une compétence réelle en service social. Les travailleurs sociaux, et en particulier les assistantes sociales et les CESF, sont de plus en plus appelés à être “interchangeables”. C'est le cas par exemple dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, même si bien entendu cela implique des réunions de synthèse et une harmonisation fréquentes. Enfin la découverte du terrain serait à développer.

Mais il faut, avant tout, prolonger la durée des études. Si l'on maintient la rupture entre le BTS et la troisième année, dès lors six mois à un an supplémentaires paraissent nécessaires pour effectuer une troisième année en deux ans. Ce qui suppose de trouver des solutions financières pour les étudiants les plus défavorisés.

Un statut novateur pour le coordonnateur

Par ailleurs il faudrait assurer un statut novateur au coordonnateur : d'une part, il doit être enseignant titulaire pour répondre aux attentes de l'Education nationale, mais il faut aussi que ce soit un travailleur social ayant exercé plusieurs années et, si possible, qu'il assure un mi-temps dans le lycée et un mi-temps dans un service social. Il aurait pour rôle majeur de sensibiliser ses collègues à la profession de CESF, voire de leur indiquer les attentes du terrain en matière de formation et d'enseignement, et il assurerait aux étudiants un rapport direct et permanent avec la réalité du travail social, sans cesse à repenser en fonction de l'évolution de la société. [...] Il conviendrait avec ses collègues de la répartition des tutorats, qui pourrait correspondre par exemple à celle des suivis de rapports de stage mais en allant beaucoup plus loin : difficultés de communication, problèmes de logement, interrogations, avancées des travaux écrits pourraient être abordés. Référent, confident, soutien ou aiguillon, ce tuteur assurerait la charge globale de trois étudiants au maximum[...].

Pour conclure, il semble donc que le problème rencontré par la formation des CESF dans le cadre de l'Education nationale vienne de la méconnaissance de sa spécificité, du lien étroit avec le terrain qu'elle implique, de la prise en charge globale des étudiants qu'elle suppose, ce qui rend indispensable la disponibilité des formateurs pour un investissement volontaire. Plus que les moyens, c'est la foi en la profession qu'il faut développer [...]. Les institutions, les élus ont accordé une reconnaissance à cette profession. Il est urgent que l'Education nationale, un des principaux formateurs, fasse de même.

De la même façon qu'il me paraîtrait judicieux de ménager un statut intermédiaire au coordonnateur, la formation des CESF gagnerait, selon moi, à acquérir un statut mixte, interface entre l'Education nationale et le terrain. Il existe bien,  dans le cadre de l'enfance handicapée par exemple, des associations “prête-nom” gérant des fonds de l'Education nationale. Peut-être la formation des CESF dispensée dans un tel cadre serait-elle plus efficace.

Ce ne sont là que quelques réflexions, mais il me semble urgent, au nom de la simple honnêteté, non seulement d'y réfléchir, mais de prendre les décisions urgentes qui s'imposent. »

Hélène Faivre Formatrice : 1, rue du Petit-Paris 21640 Flagey-Echézeaux.

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